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Erotique, sophistiquée, extravagante : la Renaissance de tous les excès

150 œuvres exposées au musée des Beaux-Arts de Nancy lèvent le voile sur une période méconnue de l'histoire de l'art : le maniérisme.

Article rédigé par Elodie Ratsimbazafy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
École française, "La Femme entre les deux âges", huile sur toile, 117 cm x 170,2 cm. Rennes, musée des Beaux-Arts. (RENNES, MUSÉE DES BEAUX-ARTS - RMN – GRAND PALAIS / CLICHÉ PATRICK MERRET)

Le terme "maniérisme" vous dit quelque chose ? Non ? C’est normal. Il s'agit d'une période peu appréciée du monde de l’art, qui a donné lieu à de rares expositions. Pourquoi un tel dédain ? Parce qu’on considère que le style maniériste, qui s’est développé après la mort du génie italien Raphaël, en 1520, a "dégradé" les idéaux de la Renaissance.

Portraits sophistiqués bien loin de la pose très nature de la Joconde de Vinci, anatomies allongées rompant avec les canons hérités de l’Antiquité, compositions alambiquées aux couleurs saturées et éclairées comme des scènes de théâtre… Avec "L’Automne de la Renaissance", le musée des Beaux-Arts de Nancy (Meurthe-et-Moselle) nous invite à découvrir, jusqu'au 4 août, un mouvement aussi élégant que bizarre. L’exposition regroupe 150 œuvres, essentiellement des tableaux. Elle est la manifestation la plus conséquente parmi une centaine d’autres consacrées à la Renaissance, qui se déroulent en même temps dans la ville.

Des portraits divins

Les peintres maniéristes ne reculent devant rien pour rendre la majesté des modèles qui les emploient. Imaginez, par exemple, qu'on photographie aujourd'hui François Hollande grimé en Dieu le Père... C'est, toutes proportions gardées, ce à quoi s'emploie Jacob Bunel (1558-1614) en peignant Henri IV dans le costume d'une des figures les plus importantes de la mythologie romaine : Mars, le dieu de la guerre.

Jacob Bunel, "Henri IV en Mars", huile sur toile, 186 x 135 cm. Pau, musée national du Château. (JEAN-YVES CHERMEUX)

Notez les artifices utilisés pour rendre toute la gloire du grand homme : encadrée par des draperies, sa cuirasse rose pourpre ressort particulièrement bien sur le fond sombre. Souriant, le roi foule du pied les armures des ennemis vaincus. La cour de Fontainebleau (grâce à des mécènes tels que Henri IV mais surtout François Ier) est, avec celle de Prague, l'un des foyers les plus importants de l'art maniériste hors d'Italie.

Mais il ne faut pas croire que tous les portraits de l'époque soient aussi exubérants. Celui que réalise Le Greco (1541-1614) durant la même période se situe aux antipodes.

Domínikos Theotokópoulos dit Le Gréco. "Portrait d’homme (Alonso de Herrera ?)", huile sur toile, 79,7 x 64,7 cm. Amiens, musée de Picardie. (MUSÉE DE PICARDIE / CLICHÉ MARC JEANNETEAU)

On peut difficilement faire plus sobre : la silhouette pyramidale de cet anonyme (peut-être un savant, si l'on se fie au livre qu'il tient) est brossée avec une grande économie de moyens. Seules quelques touches de blanc, pour la fraise, et de couleur chair, permettent à l'homme de s'extraire de l'obscurité. Pour autant, ce personnage est peut-être plus expressif que le précédent, car avec cette composition très simple, Le Greco nous force à nous concentrer sur ses mains et son visage. Le peintre est néanmoins plus connu pour ses œuvres "chargées", comme celle que l'on peut admirer sur ce lien, conservée à l'église Santo Tomé, à Tolède (Espagne).

La nature réinventée

Les paysages des maniéristes sont aussi encombrés que leurs portraits ou leurs scènes religieuses. Observez celui-ci :

Paul Bril, "Paysage avec le naufrage de Jonas", huile sur toile, 125 x 169,5 cm. Lille, palais des Beaux-Arts. (RMN – GRAND PALAIS / CLICHÉ RENÉ-GABRIEL OJÉDA)

Le peintre flamand Paul Bril (1553-1626) ne lésine pas sur les effets. D'abord, dans la composition : les nuages, le bateau et le bord de la falaise dessinent deux grandes diagonales. La violence du clair-obscur (le rapprochement de zones très clairs et très sombres) contribue également à dramatiser cette scène de tempête. Paul Bril joue, enfin, sur les proportions : les constructions humaines ne semblent pas de taille à lutter contre les éléments déchaînés. Alors que les grands peintres de la Renaissance, comme Raphaël, cherchent l'harmonie, les maniéristes se délectent du chaos.

Leurs contemporains s'intéressent aussi aux erreurs ou aux manifestations les plus étranges de la nature. C'est au XVIe que se développent les cabinets de curiosité, peuplés d'animaux et de végétaux exotiques : coquillages, œufs d'autruche, noix de coco, coraux... Et c'est dans ce contexte qu'ont été créées les bizarres "têtes composées" d'Arcimboldo (1527-1593).

Giuseppe Arcimboldo, "L’Automne", huile sur toile, 77 x 63 cm. Paris, musée du Louvre. (RMN (MUSÉE DU LOUVRE) / CLICHÉ GÉRARD BLOT)

L'Automne, ci-dessus, faisait partie d'un ensemble de quatre allégories représentant les saisons, commandé par l'empereur Maximilien de Habsbourg pour être offert au duc de Saxe. Gorge constituée d'un tubercule de pomme de terre (le légume vient d'être importé d'Amérique), barbe de sorgho (céréale tardive), col évoquant un tonneau (pour les vendanges) : ce portrait malicieux révèle l'érudition du peintre, qui était également un scientifique. Pour l'anecdote, il faut savoir qu'Arcimboldo, très populaire en son temps, a été oublié par la suite. Ce sont les surréalistes, fascinés par ses portraits animaliers et végétaux, qui le remettent à la mode.

Des corps distordus et érotisés

L'anatomie - souvent féminine - est mise en scène par les maniéristes. Regardez comme la chair rebondie et blanchâtre de cette jeune fille - absolument pas dissimulée par le voile transparent qui la recouvre - ressort dans cette composition très sensuelle.

École française, "La Femme entre les deux âges", huile sur toile, 117 cm x 170,2 cm. Rennes, musée des Beaux-Arts. (RENNES, MUSÉE DES BEAUX-ARTS - RMN – GRAND PALAIS / CLICHÉ PATRICK MERRET)

Le sens du tableau peut paraître obscur aujourd'hui. En fait, en rendant ses lunettes au vieillard, qui compte son argent, la belle lui signifie qu'elle le congédie. Elle serre en revanche le petit doigt de son amant plus jeune, signe qu'elle est prête à le suivre. On trouve plusieurs autres versions de cette scène, prétexte à dénuder et exhiber une jolie fille. Mais aucune ne possède un caractère érotique aussi appuyé. Une même atmosphère voluptueuse émane d'un autre tableau, qui semble cette fois célébrer les amours saphiques.

École de Fontainebleau, "Allégorie de l’Amour", huile sur toile, 130 x 96 cm. Paris, musée du Louvre. (MN (MUSÉE DU LOUVRE) / CLICHÉ DANIEL ARNAUDET)

Observez l'air lascif de la jeune faunesse qui chuchote à l'oreille de Vénus, à gauche. En bas, des amours et des satyres profitent du sommeil de Cupidon pour lui voler ses flèches. A droite dansent les suivantes de Vénus, les trois Grâces... qui permettent de relever une particularité du style de l'Ecole de Fontainebleau. Les femmes sont souvent représentées avec des corps allongés et de toutes petites têtes. Ce qui ne correspond pas vraiment à notre idéal de beauté aujourd'hui !

Informations pratiques :

"L'Automne de la Renaissance" - Jusqu'au 4 août

Musée des Beaux-Arts de Nancy, 3, place Stanislas

10 heures-18 heures (fermé le mardi) - 4 euros / 6 euros

Tél. : 03 83 85 30 72

A lire :

En plus des étonnantes peintures de l'accrochage, le catalogue de l'exposition est truffé de curiosités (le portrait d'un Médicis en mosaïque de pierre, un récipient doré en forme d'autruche, un crocodile naturalisé datant du XVIIe...). En 260 illustrations, ce beau-livre assez épais rend compte de l'exubérance du style maniériste. Les textes pointus permettront aux visiteurs de s'initier aux subtilités de ce courant, qui a aussi engendré des œuvres sobres et harmonieuses.

L'Automne de la Renaissance, collectif, éd. Somogy, 384 p., 39 euros

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