Exposition "Alaïa/Kurumata. La légèreté en création" : la surprenante rencontre entre mode et design
L'exposition Alaïa/Kurumata. La légèreté en création, c'est vingt pièces de mobilier et objets d’exception de Shiro Kuramata (1934-1991) présentées en regard de vingt créations haute couture d’Azzedine Alaïa. Cette première exposition sur le design à la Fondation Azzedine Alaïa offre un face-à-face où se retrouvent poésie des formes, radicalité d’une coupe, choix subtil d’une couleur et raffinement des transparences.
Admirateur inconditionnel, Azzedine Alaïa entretint aussi une amitié étroite avec son épouse Mieko Kuramata, qui joua un rôle essentiel dans la constitution de sa collection riche de pièces essentielles, parmi lesquelles Pyramid, Luminous chair, OBA-Q, Glass Chair, How High is the moon, Twilight Time… Seul Miss Blanche - fauteuil d’acrylique et de roses - n’avait pas rejoint la collection du couturier. Comme la lune est haute dans le ciel - fauteuil en maille d’acier conçu en 1986 - est une des vingt-cinq pièces qu’Azzedine Alaïa a souhaité collectionner à partir des années 2000. "Pour s’échapper du chiffon" aimait à dire le couturier qui appréciait chez le designer la légèreté, l’humour et la relation à la sculpture qu’ils partageaient tous les deux.
"Azzedine avait une collection de mobilier importante, supérieure à celles de peintures ou de sculptures qu'il a pu avoir. Le mobilier était vraiment une disciple sur laquelle il a posé son regard très tôt, notamment sur l'œuvre de Jean Prouvé, au même titre que la mode. Il était vraiment friand. Sa collection est importante sur les noms comme Kuramata, Mark Newson, Martin Szekely. C'est un choix très particulier dans le design, très manifeste, très radical, pas décoratif. En travaillant sur l'exposition et en confrontant leurs œuvres [d'Alaia et Kuramata], j'ai été surpris de certaines robes d'Alaia que je regarde différemment" explique Olivier Saillard.
Le commissaire d'exposition rajoute : "L'art qu'il collectionnait était peut-être une petite cerise sur le gâteau mais cela n'a pas pris la dimension pléthorique des collections design ou de la mode".
Un même socle de pensée
Admirateur inconditionnel, Azzedine Alaïa avait de son vivant, en 2005, consacré une exposition au designer disparu en 1991. Vingt années plus tard, et pour la première fois, la Fondation Azzedine Alaïa célèbre à nouveau l’un des plus grands designers de son temps en y associant un choix rigoureux de robes et de créations de mode du couturier. Réunie selon des impressions de matériaux, de formes ou d’esprits communs, la maille lurex d’une robe épurée répond au métal tricoté d’une assise, l’acrylique transparent d’une étagère dédale résonne dans les mousselines arachnéennes d’un modèle haute couture.
D’une infinie légèreté, les œuvres réunies face à face affirment les volontés d’abstraction communes. La disparition des lignes chez l’un et la recherche d’une couture invisible chez l’autre associent leurs créations sur le même socle de pensée et les unissent. Les meubles de formes irrégulières de l’un - avec par exemple l’étagère pyramidale de 1970 - évoquent des mêmes déhanchés que les robes à bandelette du second. Toutes les créations et œuvres de présentées ici sont issues des collections de la fondation Azzedine Alaïa.
Shiro Kuramata, designer du minimaliste et de la légèreté
Né à Tokyo en 1934, il grandit dans un logement d'entreprise située dans les locaux de l’Institut de Recherche Physique où travaille son père. Au contact du maître charpentier Monsieur Seta, il nourrit le vœu de devenir architecte. À l'issue d’un apprentissage dans un lycée technique, il obtient en 1956 le diplôme de la Kuwasa design school. Il y reçoit un enseignement spécialisé dans le design et particulièrement celui d’intérieur. Il débute sa carrière en concevant des intérieurs pour le grand magasin Matsuya à Tokyo. En 1965, il crée son agence, le Kuramata Design Office. Pyramide furniture en 1968 est une forme que Shiro Kuramata conçoit à partir d’un éventail de tiroirs empilés et mobiles. Pièce maîtresse dans son œuvre, elle préfigure le design des années 1980. Dès 1969, lorsque le designer installe des piliers de lumières traversant du sol au plafond les espaces showroom de la compagnie Edward, la lumière devient un élément fondamental dans son travail et la conception des objets.
Je ne fais pas de croquis. Je dessine tout dans ma tête. Les images arrivent toujours en premier. Lorsqu’on dessine, on a tendance à se préoccuper des aspects périphériques (…) et avant que vous ne puissiez vous en rendre compte, cela pourrait finir par remplacer les questions plus essentielles à prendre en compte
Shiro Kuramata.
Dans ses premiers travaux, il est possible d’observer des mots-clés qui reviendront sans cesse : transparence, légèreté, tiroir et humour. Fasciné par les possibilités des nouvelles technologies et des matériaux industriels dans les années 1970 et 1980, Shiro Kuramata concentre sa création et sa production vers les objets en acrylique, verre, aluminium et treillis d’acier qui défient les lois de la gravité et les techniques d’assemblage, et libère des formes d’une infinie légèreté. En 1972, il reçoit le Prix Mainichi du design Industriel.
En 1976 il réalise la plus emblématique de ses œuvres : Glass chair composée de feuilles de verres assemblées. Il reçoit le Japan Cultural Design Award en 1981. Il puise son inspiration dans la culture japonaise et dans la créativité du groupe Memphis auquel il est associé de 1981 à 1983. En 1986, ce sera How high is the moon, un fauteuil en maille d’acier devenue icône du XXe siècle. En 1988, sa chaise Miss blanche tient son nom du personnage du film Un tramway nommé désir. Des roses sont figées dans l’acrylique, symbole de la fuite du temps arrêté un instant. À son sujet Shiro Kuramata dira : "L’une des inspirations dès le départ pour produire cette chaise était l’envie de la présenter à Paris". Inspiré par les mêmes principes créatifs que son mobilier, il travaille à l’architecture intérieure des boutiques d'Issey Miyake. En 1990, le gouvernement français lui décerne la médaille de l’Ordre des Arts et Lettres. Il décède à Tokyo en 1991.
"Le plus grand problème, expliquait le designer japonais, c’est la gravité, nous devons réfléchir à un moyen de l’effacer." Ses créations sont des réponses à l’équilibre des choses et des objets. Glass Chair, Broken Glass Table, Twilight Time conjuguent l’effacement et le souvenir d’une chaise ou d’une table. Qu’il s’agisse de fauteuils, de lampes, son mobilier d’acrylique efface toute impression de structure et chasse l’impureté visuelle que le designer redoutait.
Azzedine Alaïa, maître de la coupe et collectionneur
Le couturier franco-tunisien (1935-2017) a réalisé une œuvre exceptionnelle dans le domaine de la mode qui lui vaut d'être considéré comme l'un des plus talentueux créateurs de sa génération.
Ce fils d'agriculteurs, né en Tunisie, a travaillé chez une couturière de quartier pour financer ses études aux Beaux-Arts avant de tenter sa chance à Paris. À son arrivée en 1956, il exerce son métier de couturier pour une clientèle privée. Il est influencé par l'élégance intemporelle de certaines d'entre elles comme Louise de Vilmorin, Arletty, Simone Zehrfuss, Cécile de Rothschild ou Greta Garbo. Il présente sa première collection de prêt-à-porter en 1982. Il s'est fait connaître dans les années 1980 en inventant le body, le caleçon noir moulant, la jupe zippée dans le dos... des modèles qui ont contribué à définir la silhouette féminine sexy et conquérante d'alors. Il sera toujours au plus près des femmes dont certaines seront ses muses, Grace Jones ou Tina Turner par exemple. Il contribuera à lancer la carrière de mannequins : Naomi Campbell, Farida Khelfa, Stephanie Seymour, Tatjana Patitz, Cindy Crawford, entre autres…
Je dessine juste pour garder la mémoire de mon travail. Je trace un patron sur papier-calque, je le découpe et je l'accroche avec une épingle sur une feuille. Ensuite, je démarre sur un mannequin d'atelier, mais il faut quelqu'un pour l'essayage. Car une femme marche, son corps bouge, et j'ai besoin de voir comment le tissu se comporte sur elle.
Azzedine Alaïa
Il figure parmi les derniers couturiers à maîtriser toutes les étapes de la conception et de la réalisation d'un vêtement. Artiste de la coupe, héritier des maîtres de la couture, il est aussi un grand collectionneur ayant acquis plus de 15 000 pièces, témoins des créations de l'histoire de la mode au XIXe et XXe siècles. C'est au 18 rue de la Verrerie, lieu de l'exposition, que cette figure atypique de la mode a travaillé et vécu. C'est dans ce lieu que le couturier présentait ses défilés selon son propre calendrier, à l'écart de la frénésie des Fashion Weeks et sans mise en scène spectaculaire.
La Fondation Alaïa, lieu de mémoire
En 2007, le couturier décide de protéger son œuvre et sa collection d'art en fondant l'Association Azzedine Alaïa, conjointement avec son partenaire de vie, le peintre Christoph von Weyhe, et son amie l'éditrice Carla Sozzani afin qu'elle devienne la Fondation Azzedine Alaïa. Ses missions : la conservation et la mise en valeur de l’œuvre du couturier, des œuvres qu’il a collectionnées dans les domaines de l’art, la mode et le design, l’organisation d’expositions et le soutien d’activités culturelles et éducatives. La Fondation attribue également des bourses à des jeunes talents visionnaires de la mode.
Elle abrite les trésors de la maison et de son créateur, décédé en novembre 2017, et expose son travail et les œuvres d'art de sa collection personnelle, à Paris, et à Sidi Bou Saïd, la ville qu'il a tant aimée. Ce collectionneur d'œuvres issues de l'art, de la mode, du design, du mobilier et de la photographie, aimait aussi lire des ouvrages consacrés à ces univers et aux artistes qui l'inspiraient. En mémoire de cette passion, son Association a ouvert fin 2018 une librairie dans la cour intérieure de la maison où il vivait et travaillait.
Exposition Azzedine Alaïa collectionneur. Alaïa/Kurumata. La légèreté en création jusqu'au 16 février 2025. Fondation Azzedine Alaïa. 18, rue de la Verrerie. 75004 Paris.
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