La première rétrospective du photographe de mode Paolo Roversi au Palais Galliera : un moment suspendu et poétique, une quête de la beauté

L'exposition qui réunit 140 œuvres dont des images inédites, des tirages Polaroid et des archives (magazines, catalogues…) dévoile le parcours professionnel et artistique de ce photographe de mode. Bluffant de maîtrise et de poésie.
Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 8min
Le photographe de mode Paolo Roversi au Palais Galliera à Paris le 14 mars 2024 (DIMITAR DILKOFF / AFP)

L’exposition Paolo Roversi à découvrir jusqu'au 14 juillet au Palais Galliera dévoile 50 ans de photographies et révèle comment l’artiste s’est emparé de la mode pour créer une œuvre unique. Italien, Paolo Roversi s’installe à Paris en 1973 où il travaille pour des magazines prestigieux et collabore avec les plus grands créateurs. Dès ses années d’apprentissage, le choix du studio, de la chambre grand format et du Polaroid définit sa manière de travailler et son esthétique.

Sa signature est reconnaissable : tonalités douces et sépia des noir et blanc à la lumière du jour, densité et profondeur des couleurs à la lumière de la lampe torche.

Pour cette rétrospective, la première pour cet artiste vivant, 140 clichés ont été réunis : portraits intenses en noir et blanc des fidèles comme Kate Moss ou Natalia Vodianova, nus sublimes, clichés de mode mêlant flou et touches de couleur, qui témoignent du style du photographe aimant faire poser ses modèles en studio, jusqu'à faire naître l'émotion et créer des moments uniques. 

Avec l'architecture du XIXe siècle du Palais Galliera en toile de fond, le musée de la mode a été divisé en sept salles pour offrir plus d'intimité aux photographies exposées : la lumière, élément central du travail du photographe, y occupe une place d’honneur. Ici, pas de cartels indiquant le nom du mannequin, le couturier et la date, mais un livret distribué à l'entrée permettant de découvrir ces éléments habituellement inscrits sous les noms des œuvres. Si cela semble au premier abord dérangeant, c'est un moyen de prendre le temps de la contemplation des images photographiées en lumière artificielle ou naturelle. Une plongée hors du temps, une quête de la beauté, un moment rare.

"Je suis un artisan"

La première photographie prise par Paolo Roversi est celle de sa sœur, 18 ans, qui s’apprête à partir au bal dans une robe faite pour l’occasion. Élégance et intimité, mode et portrait sont liés chez ce photographe qui n’a de cesse de rechercher la beauté dans chacune de ses images.

Arrivé d’Italie à Paris en 1973, Paolo Roversi mène une carrière de photographe de mode. En 1980 s’appropriant le procédé instantané du Polaroid à contre-courant des usages, il s’affranchit des règles pour mieux créer son espace de liberté. Le choix du studio et de la chambre grand format, son rapport au temps et à la lumière font qu'il renoue avec les gestes de la photographie du XIXe siècle pour affirmer "Je suis un artisan".

En 2008, l’adoption du numérique se fait dans la continuité de ses recherches. Ses collaborations avec les créateurs de mode les plus prestigieux sont au cœur de son travail. Comme des Garçons, Yohji Yamamoto, Romeo Gigli, Dior l’ont accompagné tout au long de sa carrière. Au-delà des vêtements et des silhouettes, il photographie les corps, les visages, les regards, et l’émotion que ceux-ci suscitent.

L'exposition Paolo Roversi au Palais galliera à Paris, le 14 mars 2024 (DIMITAR DILKOFF / AFP)

"Ma première lanterna magica, c’était ma chambre à coucher à Ravenne où les lumières qui entraient par les persiennes formaient sur le plafond et les murs des figures fantomatiques et mystérieuses. Ma vraie lanterna magica depuis, c’est mon studio". En 1985, Paolo Roversi réalise le catalogue de la collection hiver 1985-86 de Yohji Yamamoto avec un fond blanc et quelques lumières colorées. C’est un moment décisif pour affirmer son style. Pour la collection printemps-été 1997 de Comme des Garçons, il utilise pour la première fois un éclairage à la torche qui deviendra sa signature. Il choisit d’accentuer les reliefs des corps en focalisant des halos lumineux sur des parties spécifiques.

Avec cet éclairage particulier, le moment du shooting se rapproche alors de la performance. Grâce à l’instantanéité du Polaroid et, aujourd’hui du numérique, il invente un monde d’obscurité et de lumière. Il fait apparaître ou disparaître les figures, dessine les vêtements d’un trait de lumière, laisse les visages se dissoudre dans le noir ou se liquéfier dans les blancs.

Un long temps de pose, c'est laisser l'âme le temps de faire surface. Et laisser au hasard le temps d'intervenir"

Paolo Roversi

Au fil des années, Paolo Roversi renouvelle son langage photographique. Il ne cache pas son admiration pour Man Ray et Erwin Blumenfeld, des photographes qui expérimentent dans leur studio ou dans leur laboratoire. Manipulation des négatifs, jeux avec la lumière sous l’agrandisseur, ces actions opérées par les photographes surréalistes inspirent le photographe. Les longs temps de pose laissent la part belle aux flous et aux dédoublements des silhouettes. Le développement parfois hasardeux des Polaroid provoque des surprises. Roversi assume ce côté aléatoire : "Les pas en avant, les évolutions dans mon travail sont nés d’accidents", explique-t-il.

Lorsqu’il commence la série Nudi avec un portrait d’Inès de La Fressange pour Vogue Homme en 1983, il prolonge l’exercice de la commande professionnelle, pour le transformer en un moment de création personnelle. Le dispositif qu’il imagine lui permet d’interroger le corps du mannequin, au-delà des stéréotypes. S’extraire de la séance de mode, se dépouiller de ses artifices lui permet d’accéder à la vérité de ses modèles qui posent de face, en pied, regardant l’objectif. Il traite le nu de manière pudique et naturelle. Paradoxalement, alors que les images sont désincarnées, presque éthérées, elles révèlent toujours des femmes fortes, uniques.

Exposition Paolo Roversi au Palais Galliera, mars 2024 (GAUTIER DEBLONDE PARIS MUSEES)

S’inscrivant dans la filiation des photographes du XIXe siècle, tel Félix Tournachon dit Nadar, Paolo Roversi fait le choix du studio, et s’installe dans un atelier d’artiste parisien où les grandes fenêtres laissent passer la lumière du nord.

Sa préférence pour un simple fond en studio permet d'éliminer les éléments perturbateurs et de bannir le superflu. La chambre grand format guide la prise de vue : long temps de pose, lenteur et patience vont de pair.

L'exposition Paolo Roversi au Palais galliera à Paris, le 14 mars 2024 (DIMITAR DILKOFF / AFP)

Dans le studio, le photographe travaille avec le moins de personnes possible. La séance se déroule dans le calme et l’intimité, sans décor ni accessoires. Il fait en sorte que le mannequin délaisse les poses conventionnelles au profit d’un état d’abandon. Il cherche "la ressemblance intime" chère à Félix Nadar. Le photographe ne se place pas derrière mais à côté de l’appareil, ce qui lui permet d’échanger un regard direct avec son modèle, sans passer par le viseur. Pris à la lumière du jour, ses portraits ont une intensité et une forme d’évanescence. 

Exposition "Paolo Roversi" au Palais Galliera. 10, avenue Pierre 1er de Serbie. 75016 Paris. De 10h à 18h du mardi au dimanche. Nocturnes les jeudis jusqu'à 21h. Le musée est fermé les lundis, le 1er mai, le 25 décembre et le 1er janvier.

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