Hausse des tarifs du Louvre : le musée vise "la grande masse de visiteurs étrangers", estime l'économiste Françoise Benhamou
À six mois des JO de Paris, le musée du Louvre augmente sensiblement ses tarifs. Le billet d'entrée, qui n'avait pas bougé depuis 7 ans, passe lundi 15 janvier de 17 à 22 euros, soit une augmentation de 29%. La direction espère ainsi financer un projet d'ouverture d'une deuxième entrée (en plus de celle sous la Pyramide) mais aussi acquérir de nouvelles œuvres.
L'économiste Florence Benhamou, professeure émérite à l'Université Sorbonne Paris Nord et ancienne conseillère de Jacques Lang au ministère de la Culture, a livré son analyse à franceinfo. Selon elle, le musée le plus visité au monde choisit de faire payer "plein pot" certains publics pour qu'un "volet important" de visiteurs, notamment les jeunes, puisse bénéficier de la gratuité.
franceinfo : Le musée du Louvre augmente son billet d'entrée de 5 euros en période d'inflation. N'avait-il pas d'autre choix ?
Françoise Benhamou : C'est une option qui s'imposait. On aurait pu imaginer qu'elle se fasse par plusieurs étapes, mais c'est une option qui s'impose parce que les musées coûtent cher en fonctionnement, en entretien, au niveau des collections, etc... Et c'est vrai que cette augmentation pouvait paraître légitime de ce point de vue là. En même temps, c'est vrai que c'est une augmentation qui est relativement importante puisque c'est de l'ordre de 30%.
Cette politique tarifaire est-elle unique dans le paysage des musées français ?
Souvent, le musée du Louvre donne le la donc on peut penser qu'il va y avoir d'autres augmentations en France. Après, il y a des politiques très différentes entre les musées municipaux et les musées nationaux. Les musées municipaux ont tendance à choisir plutôt la gratuité des collections permanentes et puis des expositions qui, elles, sont payantes. Le Louvre a fait un choix de ce point de vue là, qui est très, très différent, qui consiste à avoir un billet unique. C'est le plus grand musée du monde, un musée très riche par ses collections, qui est au cœur de Paris et qui reçoit beaucoup de touristes. Il faut savoir qu'en gros, 70% des visiteurs sont des visiteurs étrangers au Louvre.
franceinfo : Ailleurs en Europe, de grands musées nationaux proposent des billets moins chers voire une entrée gratuite comme le British Museum ou la Tate Modern à Londres. Comment expliquer cette différence ?
Alors il faut savoir qu'au Louvre, à peu près 40 % des visiteurs ne payent pas [les moins de 25 ans, chômeurs, bénéficiaires des minima sociaux, handicapés et accompagnants, enseignants, professionnels de la culture et journalistes]. Donc il n'y a pas gratuité contre paiement. C'est plus compliqué que ça. Le cas des musées britanniques est très, très différent. Si vous prenez la Tate, le British, etc..., ce sont effectivement des musées qui sont gratuits pour tout le monde et tout le temps. Mais premièrement, on va demander aux gens de donner quelque chose et les gens donnent en moyenne l'équivalent de cinq à dix euros. Et d'autre part, les expositions (temporaires) sont payantes et sont relativement chères afin de compenser pour partie cette gratuité. On est dans une logique qui est très, très différente au Royaume-Uni.
"En France, on a fait ce choix d'avoir un volet important de gratuit et, en compensation, des gens qui payent 'plein pot' si je puis dire, dont cette grande masse de visiteurs étrangers."
Françoise Benhamou, économiste de la cultureà franceinfo
Je me rappelle il y a des années, Jack Lang revenant d'un dimanche gratuit au Louvre et disant : "Dans le fond, qui on finance, qui on subventionne quand on est gratuit le dimanche ? Est-ce que ce n'est pas tout simplement les tour-opérateurs ?" Et c'est une vraie question qu'on peut se poser. Le Louvre a fait ce choix d'être un musée particulièrement important, attractif, avec un tarif qui - si vous le comparez aux Etats-Unis, par exemple - est relativement plus faible - mais avec un gros volet de gratuité.
Vous disiez qu'une augmentation de 30% est objectivement élevée. Quel serait le juste prix d'un billet d'entrée, selon vous ?
C'est une excellente question. En fait, ça se fait par tâtonnements. Les économistes ont beaucoup travaillé sur cette question. Je dirais, il n'y a pas de tarification idéale. Par exemple, le musée du Louvre a changé de mode de tarification il y a de quelques années du temps où Jean-Luc Martinez était président [d'avril 2013 à août 2021] en disant : "Ce qu'on veut faire c'est un billet unique expositions et collections permanentes parce que dans le fond, on veut mettre en avant l'idée que les deux sont liés". C’est-à-dire qu'il n'y a pas d'un côté la construction d'une politique d'expositions et de l'autre côté, des gens qui voudraient voir la Joconde, Samothrace et quelques autres œuvres. Dans le fond, un seul billet a beaucoup plus de sens culturellement. Et puis, il y a la question de savoir à quelle hauteur on met ce billet.
"C'est très compliqué de mesurer la sensibilité du public au prix."
Françoise Benhamou, économiste de la cultureà franceinfo
Moi, ce que je trouve intéressant, ce sont les politiques qui mêlent une part de gratuité pour les publics les plus jeunes et les publics en difficulté, et une autre part des prix nettement plus élevés, sans être complètement fous, pour des gens qui ont les moyens, qui ont le temps, etc... Et puis, on peut ajouter aussi une politique peut-être différenciée à certaines heures. Il y aurait une soirée soit gratuite, soit moins chère, qui permettrait à la fois de mieux répartir la visite dans la journée et dans la soirée et de créer des pôles d'attractivité [c'est le cas au Louvre chaque premier vendredi du mois entre 18h et 21h45]. Parce que les gens aiment bien venir le soir ou ne peuvent pas faire autrement.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.