À Sète, les arbres du peintre Pierre-Luc Poujol transforment le musée Paul Valéry en une magique forêt
Du 23 mars au 26 mai 2024, le musée Paul Valéry présente l’exposition Pierre-Luc Poujol - Arborescences, réunissant un ensemble de plus de 70 peintures et sculptures sur bois. Avec un unique et seul thème, l'arbre. Une exposition à parcourir comme une promenade dans les bois avec ses mystères et ses contemplations.
Au printemps 2020, le musée Paul Valéry exposait déjà Pierre-Luc Poujol. Après un voyage à Giverny dans les jardins de Claude Monet, il réinterprétait le thème des nymphéas. Dans sa nouvelle exposition, Arborescences, le visiteur retrouve cette influence de Monet, mais aussi celle de Pollock, de Hantaï ou de Théodore Rousseau.
Les arbres, les compagnons du peintre
Pour comprendre la fascination du peintre pour l'arbre, il suffirait de se rendre dans son atelier. C'est à Saint-Gély-du-Fesc, sur les hauteurs de Montpellier. L'immense baie vitrée donne directement sur la forêt. Ainsi à proximité, sa source d'inspiration. Des retrouvailles avec son enfance aussi. Son grand-père était paysan, et les souvenirs de vacances d'été racontent les prémices de cette passion, nous dit-il en parcourant sa nouvelle exposition muséale : "Depuis que je suis tout petit, je faisais des siestes pendant les vacances au pied des arbres en regardant les feuillages et le soleil qui perçait à travers les feuilles, donc j'ai été baigné et j'ai évolué avec la nature". Ce frétillement de la lumière a toujours été un défi pour les peintres.
Pour en observer l'allure, la silhouette, le peintre a un rapport quasi charnel avec les arbres. "Je les touche, je leur parle, c'est vrai que j'ai besoin de ce contact régulier et récurrent (...). On s'aperçoit alors que ce n'est pas que du végétal."
Revenons au parcours de l'artiste pour comprendre ses toiles. Après un lycée agricole, encore et toujours la nature et des études aux Arts appliqués de Bordeaux où il peaufine sa main de dessinateur, il file aux États-Unis. L'abstraction lyrique américaine l'inspire alors, Jackson Pollock, Sam Francis ou Joan Mitchell et leur énergique geste de peintre.
Jackson Pollock invente une nouvelle façon de travailler, en posant ses toiles sur le sol, puis la peinture gicle, elle est déversée sur la toile, carrément jetée. Poujol dans son atelier aussi pose ses toiles sur le sol, des grands formats voir de très grands formats, son rapport physique à la toile est moteur de sa création. "J'ai un rapport physique avec ma peinture, je suis en immersion, d’où les grands formats pour renforcer le côté immersif, c'est presque un combat". Et il rajoute qu'il y a peu de repentir, pour lui, la peinture est un risque.
L'appel de la forêt
Le résultat : des toiles monumentales au lyrisme certain. Le visiteur est, soit à l'orée d'une clairière, soit plongé dans un massif d'arbre, soit la tête en l'air, admirant les cimes. Pierre-Luc Poujol, comme les grands paysagistes, immerge les spectateurs.
Une de ses séries se nomme L'Appel de la forêt. Traduisons l'appel par l'attraction, la sensation, le mystère des forêts, quand lors des promenades, les sens s'emmêlent et nous comprenons la peinture de Poujol.
Cette volonté d'emprisonner le spectateur dans ces massifs est renforcée par une scénographie réussie. Une dizaine de kakémonos pendent du plafond. Le visiteur peut effleurer, bousculer les peintures comme un marcheur arrivant dans une clairière écartant les derniers branchages.
Cet appel de la forêt est aussi hélas un appel au secours, tant parfois ces forêts sont mises à mal et détruites par l'homme. Mais cela, nous y reviendront plus tard.
Des empreintes et des écorces
Ses premiers tableaux étaient inspirés par l'écorce. Cette matière qui protège l'arbre est rugueuse. Le poète Michel Collot, qui connaît bien la peinture de Poujol en parle comme "d'une tonalité sourde, qui fait la part belle aux gris, aux tons de rouille ou de mousse". L'arbre durant sa vie change dans ses couleurs et ses tons, les tableaux de Poujol aussi changent de brillance et de teinte. Quand on travaille sur l'écorce de l'arbre, on travaille sur son passé, "sur ses cicatrices, sur ce qu'il a pu traverser", dit le peintre. C'est une manière "d'être au plus proche de son histoire", rajoute le peintre.
Dans la série Empreintes, tous les tableaux de Poujol ont le même nom : Empreintes suivies d'un numéro. Comme le catalogue raisonné des forets qui l'entourent. Et chaque numéro renverrait à une saison, à un moment de la journée, à un point de vue. La matière du végétal devient peinture. Et de réaliste, l'arbre devient abstraction. Ce que Poujol résume dans le magazine Métropolitain comme être "sur la crête entre l'abstraction et la figuration." Le vénérable Claude Monet n'est jamais bien loin, avec ses Nymphéas qui ont fini par devenir des beautés abstraites.
Cette route entre figuratif et abstrait est sinueuse. Pierre-Luc Poujol nous dit : "Aujourd'hui, on a l'impression que dans la peinture tout a été dit, tout a été fait, d'où mon idée de casser les matériaux, de changer d'outil, de me rapprocher de la nature puisque j'ai troqué aujourd'hui mes pinceaux contre des branches d'arbres, et d'utiliser de la cendre."
Ainsi les dernières créations de Poujol dans les ultimes salles de l'exposition au musée Paul Valeéry racontent une forêt en cendres et une terre en souffrance.
L'appel au secours d'une forêt qui brûle
Comme une coïncidence de programmation, depuis début mars, au Petit Palais, à Paris, est présentée La Voix de la forêt, soit l'œuvre du peintre paysagiste Théodore Rousseau. Cet artiste, en 1850, avec les peintres de Barbizon s'élève contre les coupes massives et le développement du tourisme, favorisé par l'arrivée du train à Melun. Rousseau interpelle le ministre de l'Intérieur de l'époque, pour demander la préservation de la forêt. Un combat fructueux puisque dès 1853, une "réserve artistique" est créée.
Poujol, près de deux siècles plus tard, en amoureux des forêts, ne peut que s'inquiéter des hectares qui depuis quelques années brûlent et brûlent encore. Le danger est bien plus grand qu'à l'époque de Théodore Rousseau. Poujol a inscrit sur les murs ce chiffre : 42 millions, soit le nombre d'arbres abattus chaque jour. "Je me garde d'être un artiste engagé, mais par contre, c'est vrai que montrer cette fragilité et en même temps cette résilience m'importe beaucoup", conclut le peintre le regard un peu dans le vague sachant le combat douloureux.
Son combat sera donc artistique comme cette performance aboutissant à un tableau émouvant. Dans une forêt calcinée, détruite par les feux, l'artiste a déposé sa toile face à un arbre mort par le feu. Arraché, balancé contre la surface immaculée, l'arbre a laissé sa dernière empreinte faite de blessures et de traces de cendre. La toile tendue est devenue le récépissé de l'assassinat de cet arbre au passé majestueux.
Plus loin dans l'exposition, c'est ce carré blanc griffé par un acrylique noir profond, fouetté par des branches, des jets de cendres et d'aiguilles de pins qui clôt la promenade dans les bois. Elle qui avait commencé dans les temps où la nature semblait être un abri pour rêve d'enfant qui se fait peur, finit dans une désolation brûlante, mais peut être résiliente.
Pierre-Luc Poujol "Arborescences" du 23 mars au 26 mai 2024
musée Paul Valéry, rue François Desnoyer, 34200 Sète
Tél : 04 99 04 76 16
Site de Pierre-Luc Poujol : www.pierrelucpoujol.com
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