Peder Severin Krøyer, un grand peintre danois à découvrir au Musée Marmottan
Le peintre danois Peder Severin Krøyer, célébré de son temps et peu connu en France, est à découvrir au Musée Marmottan, qui expose ses tableaux de Skagen, un village de pêcheurs au nord du Jutland où une colonie d'artistes a peint la mer et le ciel au crépuscule.
Le musée Marmottan Monet présente la première exposition monographique en France du peintre danois Peder Severin Krøyer (1851-1909), un des plus grands peintres danois qui est au plein air ce que son contemporain Vilhelm Hammershøi fut à la peinture d'intérieur. Très présent à Paris de son vivant, il y avait été oublié depuis sa mort.
L'exposition, qui attendait son public depuis fin janvier, peut enfin ouvrir ses portes le 19 mai (prolongée, elle est prévue jusqu'au 26 septembre 2021).
Il ne s'agit pas d'une rétrospective, elle se concentre sur le travail réalisé par Peder Severin Krøyer à Skagen un village de pêcheurs situé à l'extrême nord du Danemark, là où, au bout d'une langue de sable de deux kilomètres, les eaux de la mer du Nord se mêlent à celles de la Baltique. Un lieu où les soirées d'été sont longues et où on peut particulièrement bien observer "l'heure bleue", un phénomène qui se produit au crépuscule. Une couleur et une lumière particuliers apparaissent alors sur la mer au-dessus de l'horizon, qui ont fasciné les peintres. Krøyer, un artiste célébré de son temps, y a réalisé de très beaux paysages.
Un succès jamais démenti
Peder Severin Krøyer a une histoire familiale lourde. Il naît en Norvège de père inconnu et sa mère souffre de troubles psychiques. Il est élevé à Copenhague par la sœur de sa mère et son mari. Il étudie à l'Académie danoise royale des arts et, dès l'école, il rencontre le succès. Ensuite, ses œuvres seront toujours très bien reçues par la critique. "Il n'aura jamais de problèmes d'argent et petit à petit, il se transforme pour devenir un grand bourgeois. Néanmoins, il se souviendra toujours qu'il a commencé difficilement", raconte Dominique Lobstein, le commissaire de l'exposition. Krøyer aime faire des autoportraits, dans lesquels, progressivement, on peut déceler les signes de l'ascension sociale.
Heinrich Hirschsprung, riche négociant en tabac et grand collectionneur, se prend d'amitié pour lui et lui paie des voyages. Il lui permet de venir étudier à Paris à la fin des années 1870.
Peder Severin Krøyer est absent des collections publiques françaises, si ce n'est un grand tableau, Bâteaux de pêche (1884), qui appartient au musée d'Orsay, et dans lequel on peut admirer la virtuosité du peintre. "La formation classique de Krøyer, on la voit à des détails, il peint tout", remarque Dominique Lobstein.
Un amant de la lumière
Pourtant, l'artiste a régulièrement exposé à Paris, notamment au Salon, où ses œuvres sont appréciées par les critiques. Il excelle dans des genres variés, portrait, scène de genre... Il peut peindre un grand paysage de sable, l'horizon haut, où une petite figure au lointain se perd entre ciel, mer et terre (La Plage au sud de Skagen, 1883), ou la Bourse de commerce de Copenhague où se serrent 50 boursiers en noir, tous identifiables. Un tableau impressionnant qu'on ne verra pas dans l'exposition, puisqu'elle se concentre sur la peinture à Skagen, mais qu'on peut découvrir dans le catalogue (L'heure bleu de Peder Severin Krøyer, co-édition Musée Marmottan Monet / Editions Hazan).
"Krøyer a compris que le public parisien était difficile, qu'il fallait le surprendre en envoyant des œuvres différentes", remarque Dominique Lobstein : une année, il envoie des pêcheurs, l'année suivante un portrait, puis un paysage. Il voyage dans toute l'Europe, exposant à la Biennale de Venise, à Vienne, à Berlin, à Budapest... Il produit beaucoup : des petits tableaux, qu'il offre, des plus grands, pour le marché, de très grands pour les expositions. On a dit de lui que c'était un amant de la lumière "mais c'est aussi un as de la composition", souligne le commissaire.
Plus proche des naturalistes que des impressionnistes
Krøyer est plus proche d'un naturaliste comme Jules Bastien-Lepage que des impressionnistes, dont les Danois aiment le rapprocher. De la même manière que ce dernier peint les paysans, Krøyer aime représenter des forgerons, des ouvriers revenant du travail ou, à Skagen, les pêcheurs à la tâche.
A partir de 1872, une colonie d'artistes se retrouve à Skagen l'été. Krøyer y va pour la première fois en 1882 puis, pendant une vingtaine d'années, il passe six mois à Copenhague pour les commandes officielles, six mois dans ce petit village de pêcheurs encore isolé (un afflux d'artistes et de touristes suivra l'arrivée du chemin de fer en 1890) pour réaliser des œuvres plus personnelles.
Un de ses plus beaux tableaux, icône du musée de Skagen, représente sa femme Marie Triepcke, épousée en 1889, et leur amie Anna Ancher, toutes deux peintres, de dos, marchant le long de la mer (Soirée calme sur la plage de Skagen, 1893). La douce lumière du crépuscule lèche le sable blond et éclaire leurs robes blanches. Les deux figures sont peintes d'après une photographie, et des dessins préparatoires montrent qu'il a longuement hésité pour les situer dans la composition de la toile.
Roses au jardin et enfants à la plage
Car Krøyer faisait beaucoup de photos, et il multipliait souvent les esquisses, comme pour Hip hip hip hourra, Déjeuner d'artistes, Skagen, 1885-1888, un de ses tableaux les plus célèbres : pour cette joyeuse scène de repas de fête en plein air, où la lumière filtrée par le feuillage éclaire les convives, il a essayé de nombreuses installations des personnages avant de décider de la composition finale.
Un autre de ses chefs-d'oeuvre, Roses (1893) est accompagné d'une photographie où l'on voit le couple Krøyer lisant dans des chaises longues, un rosier au premier plan. Dans la peinture, l'artiste a disparu, sa chaise est vide. Le rosier vibrant de lumière et de couleur submerge littéralement la toile. Dans les années 1890, il peint des petits garçons, corps blancs et nus qui jouent dans l'eau scintillante.
Une vente colossale relance l'intérêt pour Krøyer en 1978
A la fin de sa courte vie, Peder Severin Krøyer a des problèmes de santé et perd la vue. Celui à qui la vie semblait avoir toujours souri et que son collègue Karl Madsen décrivait comme "le meilleur des compagnons" souffre aussi de troubles psychologiques. Il meurt à Skagen en 1909 à 58 ans, après avoir réalisé une espèce de tableau testament où il réunit tous les gens importants de sa vie autour d'un feu de la Saint Jean sur la plage.
L'école de Skagen est un peu tombée dans l'oubli pendant quelques décennies. C'est la vente en 1978 de la Soirée calme sur la plage de Skagen au magnat de la presse allemand Axel Springer, pour le prix le plus élévé jamais attribué à un peintre danois, qui a relancé l'intérêt pour Peder Severin Krøyer et ses compagnons de Skagen. A notre plus grand bonheur.
L'Heure bleue de Peder Severin Krøyer
Musée Marmottan Monet
Du mardi au dimanche, 10h-18h, nocturne le jeudi jusqu'à 20h
Tarifs : 14€ / 10,50€
2, rue Louis Boilly, Paris 16
Du 19 mai au 26 septembre
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