Cet article date de plus d'un an.

De Nadar à Valérie Belin, la BnF expose enfin sa grande collection de photographies en noir et blanc

On l'attendait au printemps 2020 au Grand Palais. Après diverses péripéties liées à la pandémie de Covid, la grande exposition sur la photographie en noir et blanc a enfin pu être accrochée à la BnF. Du 2 janvier à sa fermeture le 21 janvier 2024, elle est ouverte sept jours sur sept sur des horaires élargis.
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7min
À gauche, Koichi Kurita, "Melting Snow on a Rock", Nagano, Japan, 1988. À droite, Ray K. Metzker, "Kayak", Frankfurt, 1961. BnF, département des Estampes et de la Photographie. (KOICHI KURITA / ESTATE RAY K. METZKER)

Dès 1849, la photographie est entrée à la BnF, qui a toujours porté une attention particulière au noir et blanc, même quand la couleur commençait à dominer. C'est à partir de sa collection qu'elle a imaginé une exposition qui révèle et explore toutes les possibilités esthétiques de la photographie monochrome à travers 300 images de 206 artistes de toutes époques et de tous horizons.

L'exposition était prévue pour le printemps 2020 au Grand Palais. Premier confinement. Reportée à l'automne, elle était accrochée et prête à accueillir le public. Deuxième confinement. Très peu de gens l'avaient vue, des contenus en ligne étaient publiés. Finalement, elle était officiellement annulée en janvier 2021, le Grand Palais devant fermer pour travaux. Ça y est, l'exposition Noir et blanc, une esthétique de la photographie a ouvert ses portes, à la BnF cette fois. À la maison en quelque sorte. Car elle est constituée entièrement d'images issues de la collection de la Bibliothèque nationale de France.

C'est "une exposition qui explore le noir et blanc à partir de ses grandes lignes de force esthétiques et thématiques", explique Héloïse Conésa, cheffe du service de la photographie au département des Estampes et de la Photographie de la BnF et co-commissaire de l'exposition avec Sylvie Aubenas, Flora Triebel et Dominique Versavel. Une exposition qui n'est possible que grâce à la dimension de la collection de la BnF, plus de 7 millions d'images de plus de 10 000 photographes. Elle présente aussi bien des photographies de mode que des photographies d'auteur.

André Kertész, "1er janvier 1972 à la Martinique", 1972. BnF, département des Estampes et de la Photographie. (CENTRE POMPIDOU / MNAM-CCI / DIST. RMN-GRAND PALAIS / PHILIPPE MIGEAT)

L'idée de cette exposition est née d'une discussion entre la BnF et la direction culturelle du Grand Palais en vue de présenter un florilège de cette collection à un large public, explique Sylvie Aubenas, la directrice du département des Estampes et de la Photographie. Une collection "extrêmement vaste, qui va des débuts de la photographie à aujourd'hui", précise-t-elle.

Le "vrai" langage de la photographie

"Il fallait un sujet, or un point fort, un fil rouge de notre collection, c'est l'attention qu'on a toujours portée au noir et blanc", explique Sylvie Aubenas. Avant l'invention de la couleur par les frères Lumière en 1904, la photographie est monochrome. Le noir et blanc ne disparaît pas avec l'invention de la couleur. Même dans les années 1960 et 1970 où la couleur devient à la mode. On continue à travailler en noir et blanc, parfois pour des motifs économiques : il est moins cher de tirer ses photos soi-même, ce qui est possible en noir et blanc, très compliqué en couleur.

Mais au-delà de cet aspect économique, "certains photographes considèrent que le vrai langage de la photographie, son esthétique, sa manière de ne pas être un pur enregistrement du monde extérieur, c'est le noir et blanc. Avec la distance et l'intemporalité qu'il procure", souligne Sylvie Aubenas, citant Henri Cartier-Bresson comme "un de ceux qui l'a le mieux exprimé."

Gustave Le Gray. "La Grande vague, Sète" n°17, 1857. (BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE / DEPARTEMENT DES ESTAMPES ET DE LA PHOTOGRAPHIE)

À la même époque, le conservateur Jean-Claude Lemagny est chargé en 1968 de s'occuper de la photographie à la BnF. "Il a accompagné cette interrogation sur le noir et blanc et a encouragé les photographes à travailler en noir et blanc. Nous avons donc été à un moment acteurs d'une histoire qui a commencé avant nous et qui se continue aujourd'hui."

L'exposition n'est pas chronologique, mais procède par focus, autour de la lumière, du contraste, de la nuit… Mais elle s'ouvre sur une première salle consacrée à la photographie avant 1904, "un petit florilège de ce qu'était le noir et blanc avant l'apparition de la couleur". Avec une magnifique vague de Gustave Le Gray, un tirage de 1857 viré à l'or, réalisé à partir de deux négatifs. Ou deux magnifiques portraits de Sarah Bernhardt, encore jeune inconnue, par Nadar. Un grand négatif papier où l'inversion des valeurs fait imaginer un tronc d'arbre éclairé la nuit, par le Britannique Benjamin Brecknell Turner (1852-1854). Et puis les six tirages par Zola, photographe amateur, d'un portrait de ses enfants, sur des papiers différents. "C'est passionnant, ça montre qu'à partir d'un même négatif, beaucoup d'interprétations sont possibles, et que ce travail sur les tirages a existé très précocement", commente Sylvie Aubenas.

Contraste

Une section met l'accent sur le contraste que permettent le noir profond des sels d'argent et le blanc du papier baryté, qui s'impose au XXe siècle : blanc d'une nappe dans un café sombre par Bernard Plossu, grands visages sculpturaux de Valérie Belin. Un contraste qui s'exacerbe dans la photo de neige, exercice délicat mais prisé des photographes. Un contraste qui peut confiner au dessin, avec les rondes de prêtres de Mario Giacomelli (1961-1963).

Alexandre Rodtchenko, "Jeune fille au Leica", 1934, département des Estampes et de la Photographie. (ADAGP)

La photographie est conditionnée par la lumière. Les photographes jouent avec les ombres, les contrejours, les rayons et les motifs qu'ils forment, structurant l'image. De L'Ombre d'un porche (1916), Paul Strand fait une abstraction géométrique, Alexandre Rodtchenko plonge sa Jeune fille au Leica (1934) dans un damier en noir et blanc. Un kayak blanc sur une eau très sombre, prise de haut par Ray Metzker, devient aussi presque abstrait.

Impossible au XIXe, les négatifs n'étant pas assez sensibles, la photographie de nuit devient à partir de 1920 un autre sujet de prédilection des artistes qui en captent la violence (Wee Gee à New York dans les années 1940) ou la poésie (une tour Eiffel illuminée d'Ilse Bing, toute petite à côté d'une cheminée au premier plan). Eleanor (1949), la femme de Harry Callahan, nue, au loin, toute petite, est comme un point lumineux dans l'obscurité.

Le noir, le blanc et le gris

Si William Klein, qui a si bien traduit l'effervescence de New York dans les années 1950, avait opté pour de forts contrastes, le noir au blanc, c'est aussi le gris, toutes les nuances de gris. "Il y a des sujets où il n'y a même que cela", disait le photographe français Emmanuel Sougez.

Mario Giacomelli, "Je n’ai pas de main qui me caresse le visage", 1961-1963. BnF, département des Estampes et de la Photographie. (ARCHIVES MARIO GIACOMELLI / SIMONE GIACOMELLI)

Et les commissaires de l'exposition ont eu l'idée géniale d'imaginer ce qu'elles ont appelé un "nuancier" : une installation d'une cinquantaine d'images d'artistes d'horizons et d'époques différents qui courent dans un cadre unique autour d'une grande salle, du plus blanc au plus noir en passant par toutes les nuances de gris. D'une bouteille de lait sur fond blanc de Rossella Bellusci (1988) à un paysage très sombre de Jun Shiraoka où on pense distinguer une barrière au-dessus de l'eau.

"Entre les deux, on a voulu insister sur la présence des demi-teintes, du gris qui est une composante essentielle de la création en noir et blanc, et ce déroulé nous permet d'insister sur la puissance de ces demi-teintes qui permettent le meilleur rendu des effets de matière, de relief et de texture", explique Héloïse Conésa.

"Noir et blanc, une esthétique pour la photographie"
BnF – François Mitterrand
Quai François-Mauriac, Paris XIIIe
Du 17 octobre 2023 au 21 janvier 2024
En raison du succès, l'exposition est ouverte exceptionnellement sept jours sur sept du 2 janvier au 21 janvier 2024, sur des horaires élargis :
Lundi 14h-19h, mardi et mercredi 10h-19h, jeudi-vendredi-samedi 10h-20h, dimanche 10h-19h
Tarifs : 10 euros / 8 euros (billet couplé deux expositions, 13 euros / 10 euros)

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.