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Une plongée réjouissante dans le monde de la céramique au Musée d'art moderne de Paris

De l'urinoir de Duchamp et d'une figure de Miro à des pièces utilitaires, vases et assiettes, le Musée d'art moderne explore toutes les facettes et tous les usages de la céramique (jusqu'au 6 février 2022)

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
A gauche, Lucio Fontana, "Concept spatial", vers 1955, Collection Larock-Granoff, Paris - A droite, Ron Nagle, "Captive Morgan", 2012, Collection particulière (A gauche © ADAGP, Paris 2021 - A droite © Ron Nagle, Courtesy Matthew Marks Gallery)

Objets usuels ou objets de culte, pièces utilitaires détournées ou pures œuvres d'art, pièces antiques ou contemporaines, techniques variées, le monde de la céramique fait l'objet d'une grande exposition réjouissante de plus de 350 pièces au Musée d'art moderne de Paris.

Les premiers fours à terre à céramique trouvés au Moyen-Orient datent de 6000 ans avant notre ère, les premiers fours attestés en Egypte et en Mésopotamie au tournant du 5e et du 4e millénaire avant JC, des tablettes en argile ont été le support des premières écritures au 3e millénaire.

"L'âge de la céramique, un art du feu pourtant millénaire, une révolution technique et culturelle majeure, n'a jamais été consacré jusqu'à aujourd'hui", souligne la commissaire de l'exposition, Anne Dressen. "Peut-être parce qu'elle était trop liée à la terre, à une idée de saleté. Trop terre à terre, trop utilitaire, trop amateur, trop féminine aussi", selon elle. Et pourtant de nombreux artistes, de Pablo Picasso à Lucio Fontana, de Gauguin à Cindy Sherman, ont utilisé cette technique.

Anonyme, (site de Fort Harrouard, Sorel-Mousson, France), Statuette féminine, néolithique moyen, Terre cuite modelée, Musée d'Archéologie Nationale, Saint-Germain-en-Laye (© RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / MichelUrtado)

Dépasser les hiérarchies

Cette grande exposition sur la céramique s'inscrit dans une série d'expositions (Decorum et Medusa) "qui cherche à repenser les frontières établies, souvent réductrices, et qui souhaite dépasser les hiérarchies placées entre l'art et le décoratif, entre les arts appliqués et le design, les arts populaires et les arts dits nobles, les formes utiles et les sculptures, les pièces uniques et les multiples, les œuvres anonymes et les œuvres signées, les productions anciennes et très contemporaines", explique Anne Dressen.

Non chronologique, l'exposition s'intéresse aux techniques et aux usages de la céramique et aussi aux messages qu'elle peut conférer, jusqu'à un message politique. On peut y voir aussi bien une statuette féminine du néolithique trouvée en France qu'un Concetto Spaziale de l'artiste italo-argentin Lucio Fontana (1899-1968), disque de terre transpercé de trous, qui côtoie un égouttoir à fromage du XVIIIe ou XIXe siècle.

Elle nous explique les différentes techniques de façonnage de la terre, du simple modelage au montage en colombins, boudins de terre pressés les uns sur les autres puis lissés, présent déjà dans la préhistoire, puis au tournage mécanique qui permet des pièces plus régulières et plus fines. Elle présente différents outils, ou des fours construits par l'artiste contemporain italien Roberto Cuoghi avant d'être transformés en d'étranges figures.

Ettore Sottsass et Anthologie Quartett(Essen, Allemagne, "Théière Lapislazuli", 1987, Centre national des arts plastiques, en dépôt au Musée national Adrien Dubouché, Limoges (© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist, RMN-Grand Palais / Georges Meguerditchian © ADAGP, Paris 2021)

Pièces utilitaires et œuvres d'art

Elle aborde la question de la cuisson et des différents décors, engobe (argile diluée) ou émaillage, avec un Petit pot boule rouge de Daniel de Montmollin, maître de l'émail. Ou bien encore l'utilisation de la céramique en architecture, des usages les plus triviaux au Mur de têtes de l'artiste catalan Miquel Barceló, en briques de formes variées.

Certains artistes font d'un objet utilitaire une œuvre d'art, comme Valentine Schlegel (1925-2021) avec son Vase arbre, d'autres détournent complètement les formes utilitaires de la céramique comme l'Américain Peter Shire qui crée une théière pas fonctionnelle du tout.

Une section est consacrée au difforme, à l'accident (partie intégrante de l'art de la céramique), au "sloppy" (négligé), qu'utilisent voire cultivent certains artistes.

Jean Girel, Bol, 2018, Musée des Arts Décoratifs, Paris (Don T. K. Ngiam, 2019)

Plaisir tactile et sensuel

Anne Dressen veut voir dans la céramique "un emblème de résistance, une forme de contre-culture subversive, une alternative quasi éthique, une antidote possible au dérèglement actuel, qui défend l'idée qu'on peut moins produire et produire mieux. Qui répond aussi par une certaine matérialisation aux méfaits de la grande virtualisation du monde".

Et puis il ne faut pas oublier le côté jubilatoire de la terre : "Cette exposition entend aussi traduire l'immédiateté et le plaisir physique, tactile, souvent sensuel, ressenti par ceux qui manipulent la céramique et qui la pratiquent", dit la commissaire.
On a souvent envie de toucher toutes ces belles pièces, et on est tenté de dire, avec le directeur du musée, Fabrice Hergott : "Quand on sort de cette exposition, les deux seules choses qu'on ait vraiment envie de faire, c'est soit collectionner de la céramique, soit faire de la céramique. On n'a aucune autre possibilité."

Les Flammes - L'Age de la céramique
Musée d'art moderne de Paris, 11 avenue du Président Wilson, Paris 16e
Tous les jours sauf les lundis, le 1er janvier, le 1er mai et le 25 décembre, 10h-18h, nocturne les jeudis jusqu'à 22h
Tarifs : 11 € / 9 €
Du 15 octobre 2021 au 6 février 2022

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