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Qui est Robert Kirkman, "l'idiot" qui a créé "The Walking Dead", dont le dernier tome sort aujourd'hui en France

Article rédigé par Elodie Drouard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Le scénariste Robert Kirkman (2ème à droite) pose à l'occasion des dix ans de sa série "The Walking Dead" lors du Comic-Con de San Diego (Californie, Etats-Unis), le 19 juillet 2013. (JASON KEMPIN / GETTY IMAGES / AFP)

Ce gamin du Kentucky est devenu mondialement célèbre grâce à sa série de bandes dessinées mettant en scène un groupe de survivants dans une Amérique infestée de zombies.

"C'est la fin de The Walking Dead. Ça y est… C'est terminé… On est arrivés au bout." Le 2 juillet dernier, à la fin du numéro 193 tout juste sorti aux Etats-Unis, Robert Kirkman annonce à ses lecteurs qu'ils viennent de lire le dernier épisode. Sans annonce préalable, après presque seize années de publication, le scénariste de ce comic book, traduit en 30 langues et disponible dans plus de 60 pays, met fin à la série qui l'a rendu mondialement célèbre.

Ce coup de théâtre surprend même certains de ses proches collaborateurs. Pour préserver le secret, le dessinateur Charlie Adlard avait été jusqu'à réaliser les illustrations des couvertures des trois numéros suivants. "POURQUOI n'a-t-on rien annoncé à l'avance, afin que les fans puissent avoir le temps de se préparer ? Et bien, à titre personnel, je déteste savoir ce qui va se passer", écrit Kirkman. "The Walking Dead a toujours été bâti sur la surprise, poursuit le scénariste. Ignorer ce qui va se passer quand on tourne la page, qui va mourir et comment… Ça a toujours été une composante ESSENTIELLE du succès."

Couverture du numéro 196 de "The Walking Dead", conçue pour laisser penser que la série continuait après le numéro 193. (IMAGE COMICS)

Cette décision qui a provoqué la stupeur parmi les fans du titre n'est pas si étonnante, quand on connaît l'auteur. Cette fin brutale est en adéquation avec les méthodes du scénariste. "Tout le monde était tellement persuadé que la série irait au moins jusqu'au numéro 200 que c'est un coup de maître en termes de communication", juge Thierry Mornet, responsable éditorial de la branche comics des éditions Delcourt, qui publient Kirkman en France. "Mais Robert est assez familier de ce genre de choses."

Le lancement de sa dernière série, Die ! Die ! Die !, n'a par exemple jamais été annoncé aux Etats-Unis. "Ils l'ont juste imprimée en plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires et envoyée gratuitement aux libraires en leur disant : 'Voici le dernier titre de Kirkman, on vous le donne, maintenant vendez-le !'", raconte l'éditeur. Preuve, parmi tant d'autres, que l'homme aime par-dessus tout surprendre son monde. Ce goût pour le secret ne date pas d'hier.

Un fou de Spider-Man pas doué pour dessiner

Né le 30 novembre 1978 dans le Kentucky (Etats-Unis), Robert Kirkman a grandi à Cynthiana, petite ville de cet Etat agricole que les Américains surnomment le "bluegrass state" ("l'état de l'herbe bleue") en raison de ses nombreux pâturages. Il commence à s'intéresser aux comics au collège, mais un seul magasin en propose : un supermarché Walmart, à une heure de voiture, qui ne vend que des Marvel. Robert Kirkman passe son adolescence à dévorer les aventures des X-Men et surtout celles de Spider-Man, raconte le site Indiewire*. Les aventures de l'homme-araignée le marquent à tel point que quinze ans plus tard, il appelle son fils Peter Parker (la véritable identité du Tisseur).

Kirkman comprend rapidement qu'il n'est pas fait pour une vie de labeur. Etudiant en art paresseux au lycée, il passe ses journées à faire du skate plutôt qu'à étudier, raconte-t-il au magazine Rolling Stone*. Sans surprise, il décide de ne pas aller à l'université et vit d'abord de petits boulots, avant de tout arrêter et de se consacrer à sa passion : le comic-book.

Mon rêve était d'écrire et de dessiner mes propres comics, parce que mes livres préférés étaient écrits et dessinés par des artistes qui faisaient tout eux-mêmes.

Robert Kirkman

au magazine "Rolling Stone"

L'ado préfère ne pas s'étendre sur le sujet auprès de ses parents. Pendant deux ans, il leur fait croire qu'il va travailler tous les jours, alors qu'il planche seul sur Between the Ropes, sa première bande dessinée, qui se déroule dans le milieu de la lutte. Présentée à Diamond Comic Distributors, ce premier titre est refusé, au motif qu'il n'est pas de qualité professionnelle. Un avis que partage Kirkman aujourd'hui. Ce coup d'essai était une "horrible petite merde", écrit-il sur le site spécialisé CBR*.

En grandissant, j'ai réalisé que je n'étais pas assez bon pour dessiner, ce qui m'a d'abord un peu attristé. Puis j'ai compris que l'écriture était plus fun, et moins chronophage.

Robert Kirkman

au magazine "Rolling Stone"

Conscient de ses limites, il décide de s'associer avec Tony Moore, un ami d'enfance. Ils auto-éditent Battle Pope en 2000. Dans ce comic book parodique, le héros est un pape porté sur la bouteille, mais féru d'arts martiaux, que Dieu condamne à sauver saint Michel, avec l'aide de Jésus.

La couverture du premier tome de "Battle Pope", initialement paru en 2000. (SKYBOUND / IMAGE COMICS)

Les éditions Image Comics (le quatrième plus gros éditeur de comics aux Etats-Unis) le repèrent et lui proposent de scénariser une mini-série sur le héros SuperPatriot, avec le dessinateur Cory Walker. Au début des années 2000, le jeune homme enchaîne alors les projets, mais le succès se fait attendre.

Un fan frustré des films de zombies

Fin 2002, il leur propose les cinq premières pages d'une histoire d'invasion mondiale de zombies, dessinée par Tony Moore. Le pitch ne convainc pas. Les éditeurs lui suggèrent de complexifier l'intrigue. Au site IGN*, Kirkman raconte qu'il choisit alors de mentir. Le scénariste annonce qu'il maintient ce premier tome en l'état, mais qu'il révélera que des extra-terrestres ont causé le soulèvement des zombies pour affaiblir les forces militaires humaines et envahir la Terre. Les éditeurs sont conquis.

Evidemment, Kirkman n'envisage pas son histoire sous cet angle. Son ambition est tout autre : écrire une série comme "un film de zombies qui ne se termine jamais, et dure des années et des années". Le jeune homme de 24 ans est obsédé par le genre, marqué par La Nuit des morts-vivants de George A. Romero, vu dix ans plus tôt en cachette, parce que ses parents lui interdisaient les films d'horreur. Un plaisir défendu qui n'a eu qu'un seul effet, fasciner à vie l'adolescent.

Subjugué par cette histoire de "personnes prisonnières d'une maison assiégée par des zombies", Kirkman achète tous les films du réalisateur et les regarde chaque nuit, pendant des mois, raconte-t-il à Rolling Stone. Pourtant, une chose le chagrine, ces films se terminent beaucoup trop vite.

J'adore les films de zombies, mais j'ai remarqué qu'aucun d'entre eux n'imagine les choses sur le long terme (...). J'avais plein de questions et je voulais voir quels étaient les angles de ce genre fabuleux qui n'avaient jamais été explorés.

Robert Kirkman

à Yahoo

Plus qu'une "simple histoire de zombies avec de l'action, du sang et des personnages épais comme du papier à cigarette qui servent de chair à canon", Robert Kirkman envisage The Walking Dead comme un soap opera de la survie. Les zombies y évoluent "en toile de fond et servent uniquement à pimenter les histoires", explique-t-il au blog Des séries et des hommes.

Le titre ne tarde pas à trouver son public. En 2004, le premier tome des aventures du groupe de survivants emmené par le shérif Rick Grimes arrive dans le top 10 des meilleurs ventes de comics de l'année, selon le site Comichron*. Ça tombe bien, Kirkman a des tonnes d'idées pour développer son histoire. Entre temps, le dessinateur Charlie Adlard a repris le flambeau, Tony Moore ayant du mal à tenir la cadence. En France, après un premier lancement raté en 2004 chez les éditions Semic (aujourd'hui disparues), Delcourt reprend les rênes trois ans plus tard.

Une des premières pages du tome 1 de "The Walking Dead" publié aux éditions Delcourt en 2007. (DELCOURT)

Le tournant s'opère en 2010. Au début de l'année, la chaîne câblée AMC annonce vouloir adapter la série à la télévision. Robert Kirkman est nommé producteur exécutif et intègre la "writers' room". Il doit même quitter son Kentucky natal pour s'installer à Los Angeles. Le projet propulse le tout premier tome américain de The Walking Dead en tête des ventes. Il décroche le prix de la meilleure série régulière aux Eisner et aux Harvey Awards, les cérémonies les plus importantes de la BD américaine. Porté par ce succès, Kirkman crée son propre label, Skybound, au sein d'Image Comics. 

Après des années de galère, Kirkman devient l'un des scénaristes les plus demandés aux Etats-Unis. Financièrement, il peut enfin souffler. "Lorsque j'ai commencé à gagner de l'argent, j'avais 40 000 dollars [environ 36 000 euros] de dettes, confie Kirkman à Rolling Stone*. (...) A un moment, j'avais douze cartes de crédits sur lesquelles je prélevais 3 000 dollars [environ 2 700 euros] par mois, juste pour payer les frais."

Un bosseur qui veut "sauver les comics"

Une reconnaissance méritée, selon son éditeur français. "Il a non seulement une façon d'écrire très feuilletonesque, qui tient en haleine ses lecteurs d'un mois sur l'autre, note Thierry Mornet, mais c'est également un dialoguiste exceptionnel, capable de créer des personnages qui vont générer une empathie avec le lecteur". Admiratif, l'éditeur ajoute : "C'est aussi quelqu'un qui a une impressionnante régularité de travail."

Je me demande clairement quand ce mec dort !

Thierry Mornet

à franceinfo

Robert Kirkman travaille sur trois à quatre séries simultanément, pour lesquelles il doit écrire plus de vingt pages de scénario chaque mois. "J'ai toujours ma tablette avec moi et je suis en permanence en train de prendre des notes", raconte-t-il au Guardian* en 2016. "Peut-être que quelqu'un va dire une phrase que je pourrais imaginer dans la bouche de Negan dans The Walking Dead", ajoute-t-il, alors qu'il s'active sur le tournage d'Outcast, adaptation télé d'une autre de ses histoires.

Celui que ne voulait pas d'un métier fatigant comme celui de son père métallurgiste, est debout la plupart du temps à 5 heures du matin. Il consacre les premières heures de sa journée à l'écriture de ses scénarios. Très impliqué dans son milieu, il publie à l'aube de ses 30 ans une vidéo manifeste, dans laquelle il déclare refuser désormais de travailler pour les "Big Two", Marvel et DC Comics, afin de conserver toute sa créativité et "sauver toute l'industrie des comics".

Rolling Stone* l'a un jour comparé à Jeff Albertson, le vendeur de BD dans la série Les Simpsons, en moins sarcastique et plus énergique. Mais sous ses airs bonhommes, Robert Kirkman cache un véritable angoissé que le succès n'a pas apaisé. "Au début, c'était juste un comic book dans lequel je rendais hommage à tous les films de zombies que j'avais vus, raconte-t-il à Variety* en 2018. Aujourd'hui, c'est devenu ce truc avec des centaines de milliers, si ce n'est des millions de fans impliqués, et je me dois de raconter une histoire cool qui progresse."

Toujours sous pression malgré le succès mondial de The Walking Dead, le scénariste redoute encore que cette réussite, longtemps attendue, ne finisse par s'arrêter brutalement. "C'est un métier difficile, confiait-il à Vulture* en 2017. Quelle que soit la popularité de The Walking Dead, je pourrais tout à fait tomber dans l'oubli un jour." Et d'ajouter à Rolling Stone*, "si j'avais une baguette magique et la possibilité de rendre The Walking Dead moins célèbre pour que le monde aille mieux, je le ferais sans hésitation. Je me sens parfois comme un misérable profiteur."

Sur ma pierre tombale, on lira 'Ci-gît l'idiot qui a fait The Walking Dead'. (...) Et ça ne sera pas la fin du monde.

Robert Kirkman

à Rolling Stone

Ce 15 janvier, The Walking Dead achève sa publication en France avec un 33e tome de plus de 70 pages. Les éditions Delcourt en profitent pour lancer quelques jours plus tard le premier volume de sa nouvelle série, Die ! Die ! Die !, "un James Bond sous amphétamines complètement frappadingue", selon l'éditeur Thierry Mornet. Une série co-créée avec Scott M. Gimple, l'un des producteurs de la série télé The Walking Dead.

La couverture du dernier tome de la série "The Walking Dead", publié en France le 15 janvier 2020. (DELCOURT)

Quant à The Walking Dead, il ne faut peut-être pas l'enterrer. Lors d'une conférence de presse suivie par le site SyFy*, au dernier Comic Con de San Diego, Robert Kirkman a laissé entendre qu'il pourrait un jour rempiler. "Negan est toujours vivant (...) Il pourrait y avoir une histoire à raconter (...), il n'y a aucun projet pour le moment, mais il y a clairement une option." D'ici là, il sera l'invité d'honneur du prochain festival international de la bande dessinée, à Angoulême, du 30 janvier au 2 février 2020, qui lui consacre une exposition inédite. L'occasion de rencontrer enfin le scénariste qui viendra pour la première fois officiellement en France. Et de se tenir prêt pour sa prochaine surprise.

* Tous les liens suivis d'un astérisque sont en anglais.

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