Le destin extraordinaire de Musidora, star et première vamp du cinéma, en bande dessinée
Découvrez en BD la vie d’une star que le cinéma français a un peu trop vite oubliée, Musidora, femme libre et icône vénéneuse des débuts du 7e art.
Il y a d’abord ses grands yeux cerclés de khôl. Ils suggèrent l’effroi, indiquent une menace ou deviennent séducteurs. C’est l’époque du cinéma sans parole où le regard fait en grande partie le jeu des acteurs. Musidora utilisera ses yeux mais aussi son corps pour enflammer Paris. Vêtue d’une combinaison de soie noire épousant au plus près les contours de sa plastique, elle incarnera le mal au féminin. Elle deviendra l’hypnotique Irma Vep, anagramme de vampire. Paris tremble dans un feuilleton à épisodes (maintenant on parlerait de série), Les Vampires, qui remplit les salles obscures. Le cinéma, art naissant, prend sa place. Nous sommes en 1915, les Poilus sont déjà dans les tranchées.
Amie de Colette et muse des surréalistes
Avant de devenir vampire, Musidora est née Jeanne Roques en 1889 à Paris, en même temps que la Tour Eiffel. "Rêve à tout ce que tu veux", lui dit sa mère dans la BD Musidora, elle était une fois le cinéma du scénariste Arnaud Delalande et dessinée par Nicolas Puzenat. Sa famille ne connaît pas la fortune. Mais Jeanne est déterminée. Elle veut jouer la comédie, elle rêve d’être une artiste. Elle deviendra Musidora, un nom de scène qu’elle emprunte à un roman de Théophile Gautier. On la verra jouer la comédie à l’Odéon et au Châtelet. Elle dansera aux Folies Bergère. En costume ou parfois nue, elle se produira au music-hall, sera poète, chanteuse, autrice et peintre. Amie intime de Colette, elle deviendra une muse des surréalistes. Marraine de guerre, femme libre, Musidora aura eu mille talents, mille vies.
Au cinéma, elle connaîtra son plus grand succès avec ce personnage érotico-criminel d’Irma Vep dans Les Vampires. Une série de films de Louis Feuillade qui connaîtra dix épisodes de 1915 à 1916. Sensuelle et cruelle, Irma Vep s’affiche audacieuse, farouche et troublante. Musidora va passionner les Français dans une période de guerre où tout est bouleversé. Elle enchaînera avec un autre feuilleton Judex et deviendra productrice puis réalisatrice. Elle commencera par des adaptations de Colette. Et comme un vent romanesque souffle sur son destin, elle se ruinera en Espagne après être tombée amoureuse d’un torero qui la quittera pour une vedette russe. Le passage au cinéma sonore ne lui convient pas. Elle terminera sa carrière toujours dans le 7e art à la Cinémathèque française à Paris. Elle y sera "responsable du service de documentation et de relations avec la presse" de 1942 jusqu’à 1957, année où elle décède.
De la bande dessinée à la série télé
Arnaud Delalande et Nicolas Puzenat replacent avec justesse Jeanne Roques dans son époque. Ils mettent intelligemment en parallèle la vie de l’actrice avec les débuts du cinéma, une période marquée par la Grande guerre. Musidora, elle était une fois le cinéma n’est pas un portrait ciselé et intimiste comme l’a fait en BD l’autrice Catel avec Joséphine Baker, Alice Guy ou Olympe de Gouges. Les auteurs ont fait le choix d’en faire une fresque, le reflet d’une femme étonnante dans une période qui ne l’était pas moins.
Musidora continue aujourd’hui de hanter les écrans. Une série télé d’Olivier Assayas, Irma Vep, est diffusée depuis le 7 juin sur OCS. Huit épisodes commandés à l’origine par la plate-forme américaine HBO. Un casting de choix avec Jeanne Balibar, Hyppolite Girardot, Vincent Lacoste (l’acteur de Riad Sattouf dans Les Beaux Gosses), Vincent Macaigne et Alicia Vikander qui incarne l’héroïne en justaucorps noir. La série fait le récit d’une star américaine en rupture qui arrive à Paris pour jouer dans le remake de la série d’origine, Les Vampires. Un hommage au cinéma teinté d’humour, truffé de références, incluant des extraits interprétés par Musidora. Une œuvre qui, à sa façon, célèbre l’actrice affranchie devenue un mythe du Grand écran. Bien avant Catwoman, féline de DC Comics qui deviendra en BD puis au cinéma, la nouvelle femme fatale toute de noir vêtue.
Musidora, Elle était une fois le cinéma d'Arnaud Delalande et Nicolas Puzenat. Editions Robinson. 15 euros.
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