GRAND FORMAT. "Beaucoup ont encore peur" : après avoir "balancé leur porc", cinq femmes font le bilan du mouvement
C'était il y a près de cinq mois. Dans la foulée de l'affaire Weinstein aux Etats-Unis, des centaines de milliers de femmes ont "balancé leur porc". Sur les réseaux sociaux, message après message, elles ont dénoncé les violences sexuelles qui font le quotidien de nombre d'entre elles. Saluée par certains, critiquée par d'autres, cette libération de la parole fut l'un des faits de société les plus marquants de la fin 2017. Ses pionnières, des "briseuses de silence", ont même été sacrées "personnalités de l'année" par le prestigieux magazine Time.
Mais que reste-t-il aujourd'hui de cet élan ? En France, l'initiatrice du hashtag #BalanceTonPorc, Sandra Muller, fait l'objet d'une plainte pour diffamation. Henda Ayari, qui accuse le prédicateur Tariq Ramadan de viol, essuie un déluge quotidien d'insultes sur les réseaux sociaux. Astrid de Villaines, une journaliste de LCP qui a porté plainte contre un collègue, a quitté la chaîne sur laquelle son agresseur présumé officie toujours.
Que sont devenues les autres, celles dont l'histoire n'a pas fait la une des médias ? Pour le savoir, franceinfo a interrogé quelques-unes des 261 759 internautes – selon le décompte de l'entreprise Visibrain – qui ont "balancé leur porc". Entre petites victoires et grandes désillusions, voici leurs témoignages.
Début octobre 2017, l'affaire Weinstein éclate dans les pages du New York Times. Quelques jours plus tard, Sandra Muller évoque avec une consœur et amie journaliste la vulnérabilité des femmes pigistes. Une fois la conversation terminée et le téléphone raccroché, la colère monte. Le mot "balance" lui vient tout de suite en tête ainsi qu'une photographie de cochon qu'elle a vue dans la presse. Ce vendredi 13 octobre, elle tweete alors le hashtag qui va rythmer les semaines suivantes : le mouvement #balancetonporc est né.
#balancetonporc !! toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends
— Sandra Muller (@LettreAudio) 13 octobre 2017
Après ce premier tweet, elle évoque un de ses propres souvenirs. Elle aussi a subi des remarques inappropriées dans le cadre du travail. Et l'une d'elles la hante particulièrement. En plein festival de Cannes, lors d'un cocktail, Sandra Muller croise Eric Brion, ancien directeur de la chaîne Equidia. "Le type me dit 'T'as des gros seins, t'es mon type de femme, je vais te faire jouir toute la nuit'", raconte Sandra Muller. Elle reste interdite. "Sidérée" même. Finalement, elle demande à un ami de venir la chercher et quitte la soirée.
C'est un comportement inapproprié, c'est irrespectueux et il n'y a pas de question de blague lourdingue ou non… Vous faites une drague lourdingue, vous ne dîtes pas 'je vais te faire jouir toute la nuit'.
Ce souvenir en tête, Sandra Muller hésite à le partager. Il lui faut quelques heures pour "trouver le courage de le faire". "Il fallait dénoncer le comportement de ces hommes inatteignables qui nous prennent pour des choses malléables à merci. Je me suis dit 'ça suffit !'". Elle poste finalement un deuxième tweet.
" Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit" Eric Brion ex patron de Équidia #balancetonporc
— Sandra Muller (@LettreAudio) 13 octobre 2017
Très vite, le hashtag est repris et partagé, bien au-delà du simple réseau journalistique de Sandra Muller. Remarques sexistes, harcèlements, viols… les témoignages se multiplient. "Discrète" sur les réseaux sociaux, la journaliste est très surprise de voir son mot d'ordre autant repris. "Briseuse de silence", elle fait partie des personnalités de l'année mises à l'honneur par le prestigieux magazine Time. Elle est aussi reçue à l'Elysée, parmi les "héros" de l'année 2017.
Ça m'a propulsée sur le devant de la scène et je n'étais pas prête. Je suis journaliste, mon rôle c'est d’observer. Là, je me suis retrouvée à devoir incarner et je ne sais pas toujours comment le faire.
Avec la montée du phénomène, les premières critiques arrivent. Accusée d'encourager la délation, elle encaisse. "J'ai d'abord été attaquée par des journalistes, je ne comprends pas très bien pourquoi, d'ailleurs", explique Sandra Muller. Viennent ensuite les contre-mouvements. Le plus marquant ? La tribune qui défend le "droit d’importuner", cosignée notamment par Catherine Deneuve, Elisabeth Lévy et l’auteure Catherine Millet. "Ça a énormément sali l'image de la France à l'international. Ça me peine", s’émeut Sandra Muller.
Installée à New York, elle préfère évoquer les Etats-Unis où, selon elles, le mouvement #MeToo fait davantage l’unanimité. Elle, en tout cas, assume son tweet. "Evidemment, j'ai pensé à la personne que j'ai dénoncée, je ne suis pas insensible à ce que cet homme peut vivre, assure-t-elle. En revanche son comportement ne change pas et c'est ça qui m'a confortée dans l'idée de le faire."
Si Eric Brion, le "premier porc", garde le silence dans un premier temps, il finit par publier une tribune dans Le Monde, le 30 décembre. "Je ne veux certainement pas me disculper de ma goujaterie d'alors, écrit-il. Je réitère ici mes excuses." Il reconnaît avoir "tenu des propos déplacés" mais insiste sur l'absence de lien hiérarchique entre lui et Sandra Muller. Une quinzaine de jours plus tard, il l'assigne en justice et lui réclame 50 000 euros de dommages et intérêts, 10 000 euros pour ses frais d'avocat et des publications judiciaires. Face à cette plainte, Sandra Muller se dit sereine. "Je n'ai pas de doutes sur notre combat", affirme-t-elle.
Si je perds, je gagne parce que je serai allée jusqu'au bout de ma démarche, même si ça risque de porter un coup au moral des femmes françaises. Mais si je gagne, je gagne pour tout le monde.
Aujourd'hui, Sandra Muller alloue "80% de son temps libre au mouvement". Interviews, réponses aux témoignages d'internautes, veille et médiation de la page officielle Balance ton porc… "Ça a tout changé dans mon quotidien", confie-t-elle. Avec l'aide d’une juriste, elle a décidé de lancer une association, We Work Safe, pour notamment labelliser les entreprises françaises et américaines qui respectent une charte de comportement dans leur environnement. Un nouveau chapitre pour celle qui estime être devenue "la porte-parole d'un mouvement que les victimes ont nourri".
Féministe et très active sur Twitter, Pauline* ne pouvait pas manquer l'émergence de #BalanceTonPorc. Aide à domicile, elle s'apprête aujourd'hui à quitter son emploi, traumatisée par une expérience avec l'une des personnes âgées chez qui elle va régulièrement. "Cette agression était derrière moi, raconte-t-elle. Je pouvais la raconter et assumer les conséquences de ce témoignage."
Au moment des faits, Pauline est étudiante. Elle travaille depuis six mois comme aide à domicile. Un travail difficile et pour lequel elle estime ne pas être suffisamment formée. Ses supérieurs lui confient une nouvelle mission. "Ils m'ont dit que c'était un papy très gentil, je ne me suis pas méfiée", raconte-t-elle. Pourtant, chez ce vieil homme, des effleurements de hanches, des mains retenues un peu trop longtemps après un soin ou des érections pendant les toilettes la font tiquer mais elle se persuade qu'elle exagère. Un jour, il l'invite à s'asseoir à ses côtés sur le canapé. "Il a commencé à me triturer le bras et plus ça allait, plus il s'approchait de mes seins."
J'ai réussi à lui dire non, à lui dire d'arrêter parce que ça me gênait mais ça m'a demandé une force extraordinaire.
Sur le moment, Pauline n'ose pas partir. Angoissée et choquée, elle termine son intervention. En sortant, elle appelle le numéro d'astreinte de l'entreprise qui l'emploie. Pas de réponse. Le lendemain, elle finit par avoir sa supérieure au téléphone. Ni excuses, ni soutien. Non seulement la cadre lui apprend que cette situation s'est déjà produite par le passé, mais en plus, elle insiste pour que Pauline retourne chez cet homme. "Ma supérieure m'a menacée de réduire mes heures de contrat. Financièrement, c'était très compliqué pour moi mais je ne voulais pas y retourner donc j'ai perdu des heures", se souvient-elle.
Elle décide de ne pas porter plainte contre l'agresseur, "trop vieux pour être pénalement responsable", estime-t-elle. En revanche, vis-à-vis de son entreprise, son discours n'est pas le même : elle estime avoir été "mise en danger" par le silence de ses employeurs. Elle se tourne vers l'Inspection du travail, curieuse de connaître les recours possibles contre sa hiérarchie. Là encore, elle ne rencontre aucun soutien. "Ils ne savaient pas ce que je pouvais faire, explique-t-elle. On m'a dit qu'il y avait un vide juridique. Je n'ai pas cherché plus loin, j'ai pensé à autre chose et j'ai avancé."
Le 14 octobre 2017, Pauline sait qu'elle va bientôt quitter son emploi. Pourtant, lorsqu'elle décide de raconter son histoire, elle prend peur. Elle ne laisse rien au hasard : elle retire de ses profils les photos où elle est reconnaissable, ne mentionne pas son employeur...
Avec #balancetonporc, je ne voulais pas que l'entreprise se retourne contre moi, surtout que j'allais enfin être débarrassée de tout ça.
L'anonymat n'est pas la seule angoisse de Pauline. Au mois de juillet, elle a déjà été cyberharcelée, à l'initiative d'un homme qui lui avait envoyé un message déplacé et qu'elle avait repoussé. Inquiète de voir l'histoire se répéter, elle reste aux aguets les jours qui suivent son témoignage. Très rapidement, elle désactive les notifications sur ses tweets #balancetonporc. Son témoignage suscite de nombreuses réactions, son nombre d'abonnés augmente. "J'ai reçu beaucoup de messages, raconte-t-elle. C'était assez oppressant." Elle ferme finalement son compte et en créé un autre.
Je l'ai fait pour moi. Pour mettre un point final à tout ça. Je voulais passer à autre chose.
Depuis, elle a retrouvé une nouvelle activité, dans un "milieu bienveillant", auquel elle dit même avoir eu du mal à s'habituer après cette mauvaise expérience. Elle n'a plus de nouvelles de son ancienne entreprise, mais doute que #BalanceTonPorc ait changé quoi que ce soit pour ses anciennes collègues.
Je trouve positif qu'on libère la parole mais beaucoup de femmes sont restées anonymes, comme moi, parce qu'elles ont encore peur. Le bilan de #balancetonporc est mitigé.
"J'adore ton fessier dans ce jean", "Si tu me laissais ouvrir ton chemisier", "Tu es sexy, j'aimerais enlever ta robe"... Depuis plusieurs années, Amélie*, fonctionnaire à la Sécurité sociale, est harcelée par l'un de ses collègues. Une fois par semaine, elle a droit à son "'compliment'", par e-mail, toujours "teinté de trucs poussés" dont elle préfère taire les détails. Le dernier "exemple en date" des violences sexuelles qu’elle a subies depuis son plus jeune âge, "comme quasiment toutes les femmes".
Cette énième cas a conduit cette femme de 30 ans à adapter son comportement, pour se protéger. "Je ne me maquille plus, je ne me fais plus toute jolie. J'ai essayé une fois de remettre un pull un peu féminin, rien de fou, mais ça n'a pas loupé : j’ai eu tout de suite un regard dégueulasse", confie la jeune femme, installée dans le centre de la France.
Il remarque tout et je sens son regard tout le temps. Il qualifierait sans doute ses commentaires d'anodins, mais moi je ne les supporte plus.
Seul son compagnon est au courant. "C'est un peu l'omerta au bureau, je ne sais pas si mes autres collègues reçoivent des messages", explique-t-elle. Alors, quand le mouvement #balancetonporc est arrivé, Amélie s'est remise à tweeter. Derrière un pseudonyme et loin des oreilles de son entourage, elle a raconté son histoire, en quelques phrases. "Cela ne sert pas à grand-chose parce que je n'ai pas mis mon nom, ni le sien, mais au moins j’ai pu dire ce que j’avais sur le cœur", raconte-t-elle quatre mois plus tard. Elle en a quand même retiré un peu de courage et de confiance en elle.
Le mouvement m'a fait comprendre que j'avais le droit de me défendre, que ça ne faisait pas de moi une harpie, une psychorigide ou l'hystérique de service.
"En tant que femme, on est tellement soumise à ce harcèlement que soit on l'accepte, soit on est malmenée", explique-t-elle. Petit à petit, elle a changé de comportement vis-à-vis de son agresseur. "Je me suis permise de répondre, ce que je ne faisais pas avant. Maintenant, quand il parle de cul, je fronce les sourcils. Et je n'ai pas répondu au dernier e-mail que j'ai reçu alors qu'avant je lui renvoyais 'merci, c'est gentil'", raconte Amélie. Jusqu'ici, elle redoutait trop la réaction de cet homme, "important dans l'équipe", pour faire quoi que ce soit. "J'avais peur qu'il me le fasse payer", résume-t-elle.
En face, l'agresseur a aussi "senti le vent tourner". Dans l'équipe d'Amélie, #balancetonporc a été un sujet de conversation au déjeuner. "Le collègue en question dévie moins systématiquement sur des sujets de sexe et il me laisse beaucoup plus tranquille (...) Clairement, ça l'a calmé", constate la jeune femme. Mais elle n'est pas certaine que ce changement soit durable. "Je ne pense pas qu'il y ait, au fond, une prise de conscience de sa part (...) Il a dû se dire 'Oula, il faut que je fasse attention, ça dénonce', plutôt que 'C'est abusé ce que je fais'", résume-t-elle. Pour preuve, cette requête lors d'une récente série d'entretiens d'embauche : "Il m'a demandé de l'appeler à chaque fois qu'une nouvelle fille se présentait, pour voir..." Elle n'en a rien fait, il le lui a reproché.
Si le mouvement s'essoufle, il recommencera.
Pour Amélie, l'expérience #balancetonporc a été "plutôt positive". Mais elle ne souhaite pas aller plus loin. "Dans l'administration, il vaut mieux se taire, parce que les têtes qui dépassent, on les coupe", redoute la jeune femme. Elle dit n'avoir "absolument aucune confiance" en son employeur, l'Etat, pour mettre fin au harcèlement. "Ou alors, il faudrait que j'aille très loin et cela remuerait énormément de choses, ce serait connu de tout le monde et je n'ai pas du tout envie de me lancer dans un truc comme ça", ajoute-t-elle. Elle a quand même gardé ses messages, au cas où. En matière de harcèlement sexuel, le délai de prescription est de six ans.
"Le harcèlement ? C'est quelque chose que j'ai vécu toute ma vie professionnelle en tant que RH". Avec #balancetonporc, Claire Tellier Couvin repense à toutes ces situations dont elle a été témoin. Ou victime. Le 20 octobre, elle "ressent cette grande libération de la parole". Alors, à son tour, elle évoque son ancien employeur et ses nombreux comportements répréhensibles. La manière dont il collait ses employées, pour les faire rougir et les mettre mal à l'aise, tout en la prenant à témoin. Ces fois où il prenait dans ses bras les nouvelles recrues féminines, jeunes de préférence, qui n'osaient pas réagir, pétrifiées. "Et ça, c'est arrivé dans mon bureau", tempête Claire Tellier Couvin. Et aussi ce jour où, à table, il pose sa main sur son genou, lui faisant remarquer la transparence de ses collants.
En une fraction de seconde, votre cerveau turbine et vous vous demandez ce que vous faites : est-ce que je le prends à la rigolade et ça va s’arrêter ? Est-ce que je vais plus loin ?
Seule femme à table, Claire Tellier Couvin rit, jaune. Mais elle ne se tait pas. "J'ai essayé de lui dire d'arrêter tout ça, mais c'est toujours pris à la rigolade. Tout était tourné en dérision", regrette-t-elle.
Dans son entreprise, la quinquagénaire est l'une des seules à élever la voix contre celui qui l'appelle publiquement "la vieille" : "Il y avait une résignation des femmes de l'entreprise. Elles se disaient qu'il ne fallait pas mal le prendre, qu'il n'était pas méchant et que c'était juste un mauvais moment à passer." Son comportement se retourne contre elle. "A force de dire que non, ça ne se passe pas comme ça, nos relations ont commencé à se dégrader et ont abouti à mon licenciement", retrace la quinquagénaire.
Dans sa série de tweets, Claire Tellier Couvin a décidé de ne pas nommer cet ancien employeur. "Je ne voulais pas avoir l'image de celle qui traîne son patron dans la boue", explique l'ex-DRH. Elle en est certaine, personne dans l'entreprise n'en a entendu parler. Et quand bien même, elle doute aujourd'hui que cela puisse avoir le moindre effet sur son comportement. "Je pense qu'il serait dans le déni s'il lisait mes tweets", déplore l’ancienne salariée.
Après ses publications, elle décide finalement de poursuivre son ancien patron aux prud'hommes pour "licenciement sans cause réelle et sérieuse". "Ce n'est pas forcément lié à #balancetonporc, explique-t-elle. Mais j'ai évoqué ces faits dans la déclaration que j'ai faite au tribunal."
En participant à #balancetonporc, je voulais ajouter un petit 1 aux statistiques qui prouvent que c'est partout. Comme un cancer, ça bouffe de l'intérieur mais ça ne se voit pas toujours.
Depuis octobre, pas une fois Claire Tellier Couvin n'a regretté son tweet. En revanche, elle déplore la façon dont les cas de harcèlement sexuel sont gérés dans les entreprises. Dans la procédure habituelle, la victime ou les RH doivent s'adresser aux médecins du travail. Un dispositif qu'elle juge inefficace et mal ficelé : "Le vrai scandale de non-assistance à personne en danger, il vient de l'impossibilité et du manque d'envie d'agir de la médecine du travail." C'est là, selon elle, qu'il y a "un énorme boulot à faire".
Depuis son licenciement, Claire Tellier Couvin a repris une activité de coach-hypnothérapeute. Dans son travail, elle constate quelques évolutions chez les femmes qu'elle rencontre.
La parole se libère, ça je l'observe. Quand on parle plus facilement d'une chose à l'extérieur, peut-être que ça encourage les femmes à en parler plus librement.
Elle-même a, pendant quelque temps, suivi de près l'évolution du mouvement, s'inscrivant sur divers groupes Facebook dédiés à la libération de la parole. Elle les a quittés peu avant la parution de la tribune sur la "liberté d'importuner" dans Le Monde. "Il y a eu des abus sur ces pages. On est arrivé à un point où j'ai ressenti une colère, voire un appel à la haine contre les hommes, auquel je ne peux souscrire", précise-t-elle. Elle en est convaincue, "si on n'établit pas un échange, un dialogue entre les hommes et les femmes, je ne suis pas sûre que le mouvement fasse effet".
Au départ, Violaine*, 26 ans, n'a pas participé au mouvement. Active sur Twitter, elle se contentait de lire les témoignages qui défilaient. "Si j'ai finalement décidé de prendre la parole, c'est parce que les premières réactions m’ont un peu dégoûtée, raconte cette développeuse informatique. Je me suis dit que j'allais apporter ma pierre à l'édifice. Plus on est nombreuses, plus on peut avoir de poids." Une discussion avec des collègues, confrontées aux paroles déplacées du même homme qu'elle, achève de la convaincre de franchir le pas.
Sur le réseau social, elle raconte brièvement comment, lors d'un week-end organisé par son entreprise il y a quelques mois, un directeur de projet qu'elle ne connaissait pas a tenté de profiter d'elle, alors jeune salariée en alternance. Après avoir précisé qu'il connaissait très bien ses supérieurs hiérarchiques et qu'il pouvait leur parler d'elle, il lui lance, "sans préavis" : "Est-ce que ça te dirait de coucher avec moi ?" Une invitation déplacée, suivie un peu plus tard par une autre question malvenue : "T'es dans quelle chambre ?"
Tout le reste du week-end, j'ai fait mon maximum pour l'éviter. J'étais sur mes gardes.
Si l'homme en est resté là, l'incident a durablement marqué Violaine. "Jusque-là, je n'avais jamais eu aucun problème alors que je travaille dans le domaine informatique, où les hommes sont majoritaires, développe-t-elle. Cet homme a cassé l'image de l'entreprise et le fait que je m'y sentais en sécurité. J'avais l'impression d'être protégée, d'avoir la chance d'être dans une boîte où je ne me faisais pas harceler alors que cela se produit ailleurs. Je me suis dit que c'était partout pareil."
Des amis, qui découvrent l'histoire sur Twitter, lui conseillent d'avertir sa hiérarchie. "J'en parle à mon référent RH lors de mon entretien annuel. Je lui raconte toute l'histoire, que d'autres femmes sont concernées. Il me répond qu'il connaît très bien cette personne, que cet homme fait partie des meubles de l'entreprise et qu'il n'est pas méchant. Qu'il aboie mais ne mord pas", se souvient la jeune femme. Elle comprend rapidement que son responsable cherche à minimiser l'affaire. Violaine lui dit alors qu'elle ne tient pas à ce que les choses aillent plus loin et qu'elle voulait juste son avis.
Il m'a répondu 'De toute façon, même si tu avais envie que ça aille plus loin, je ne peux pas faire remonter ce genre de choses. Ce n'est pas suffisamment important'.
Ce professionnel des ressources humaines lui explique ensuite que l'entreprise est "suffisamment grande" pour qu'elle évite de croiser à nouveau son harceleur et qu'elle n'aura qu'à changer de projet si un jour elle se retrouve avec lui. "Ce sera donc à moi de bouger, pas à lui", résume Violaine. L'histoire se termine là. "Je suis en bas de l'échelle et si je vais plus loin, je risque de me mettre à dos mon responsable RH et un directeur de projet, explique-t-elle. Ce n'est pas possible vu ma situation professionnelle."
L'épisode lui a laissé un goût amer. "Quand j'ai témoigné, je me disais qu'avec ce mouvement, les choses allaient peut-être bouger, se souvient Violaine. Mais là, je me rends compte que c'est limite pire qu'avant : les gens savent et il ne se passe rien." Au-delà de son cas personnel, elle se dit également déçue de la manière dont le mouvement a été perçu.
Au final, malgré tous les témoignages, j'ai l'impression que ce que les gens ont retenu, c'est que #balancetonporc était un mouvement de délation, où les femmes ont exagéré.
La jeune femme regrette d'avoir pris la parole. "Si je n'avais rien dit, j'aurais toujours l'espoir que les choses peuvent changer. Maintenant, je suis un peu résignée (...) Je me dis que la situation ne changera pas de mon vivant. Je vais vivre pendant la période qui va amorcer ces changements. Mais je ne connaîtrai pas le moment où on se dira 'Mais comment a-t-on pu laisser perdurer une situation comme celle-là ?'", explique-t-elle. Après notre entretien, Violaine a supprimé ses tweets.
* Les prénoms ont été modifiés.