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Au procès d'Harvey Weinstein, l'accusation dépeint "un violeur" et la défense accable les plaignantes

Article rédigé par Valentine Pasquesoone - Envoyée spéciale à New York (Etats-Unis)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
L'ancien producteur de cinéma Harvey Weinstein, poursuivi pour viols et agressions sexuelles, arrive à la Cour suprême de New York, le 22 janvier 2020.  (TAYFUN COSKUN / ANADOLU AGENCY / AFP)

Après deux semaines de sélection des jurés, le procès d'Harvey Weinstein est entré dans le vif du sujet, mercredi à New York, avec la présentation des arguments des deux camps.  

Harvey Weinstein est arrivé en costume noir, le dos voûté, boitant et l'air vieilli. A ses côtés, une équipe confiante de cinq avocats rodés à l'exercice, parmi lesquels Donna Rotunno, apprêtée et le sourire serein. Trois femmes, représentant l'accusation, ont pris place à leur droite, devant un jury populaire novice, mais attentif, composé de cinq femmes et sept hommes. En cette matinée du mercredi 22 janvier, le procès du producteur pour agressions sexuelles et viols est entré dans une phase décisive, au 15e étage de la Cour suprême de New York (Etats-Unis) : celle des plaidoiries d'ouverture – un résumé détaillé de leur argumentaire – après deux semaines de sélection des jurés.

"Il l'a laissée détruite, inconsciente sur le sol" 

La procureure adjointe Meghan Hast, l'une des représentantes du gouvernement dans ce procès, est la première à prendre la parole. D'une voix posée pleine d'assurance, elle évoque, face aux jurés, ce "célèbre et puissant producteur d'Hollywood, ce new-yorkais futé" qu'était Harvey Weinstein. "L'homme qui est assis dans cette salle d'audience, malgré ce que vous pouvez voir, n'est pas un vieux monsieur inoffensif. Les témoignages et les pièces à conviction vous montreront que cet homme est aussi un prédateur sexuel, un violeur". Le ton est donné. 

À la fin de ce procès, il sera clair que le prévenu était un violeur, agressant sexuellement et violant des femmes quand elles refusaient ses avances, usant de son pouvoir pour s'assurer de leur silence. Ces femmes ont intériorisé pendant des années leurs traumatismes.

Meghan Hast, procureure

au procès d'Harvey Weinstein

Des photos affichées sur grand écran le montrent sur les tapis rouges, ou aux côtés de Bill Clinton. Elles tranchent avec les descriptions cliniques de la procureure. Dont celle de la rencontre entre Annabella Sciorra, actrice originaire de Brooklyn et vue dans la série Les Soprano, et Harvey Weinstein, dans les années 1990. Un soir d'hiver, rentrée chez elle après un dîner au restaurant avec le producteur, "Annabella Sciorra a entendu frapper à sa porte." Derrière la porte, Harvey Weinstein.

"Il l'a attrapée puis l'a poussée sur le lit. Il pesait 135 kilos, elle 50. Malgré les tentatives de la victime pour l'arrêter, Harvey Weinstein a continué et a inséré son pénis dans son vagin pour la violer", décrit froidement la procureure. L'accusé prend quelques notes et échange avec son avocate. "Le cauchemar a continué pour elle", ce soir-là, poursuit Meghan Hast. "Le prévenu lui a fait un cunnilingus sans son consentement, puis l'a laissée émotionnellement et physiquement détruite, inconsciente sur le sol."

Des femmes jeunes, débutantes et fragiles 

Avec une même précision, l'accusation esquisse ensuite les témoignages des deux plaignantes de ce procès : Miriam "Mimi" Haleyi et Jessica Mann, jusqu'alors restée anonyme. Des femmes qui, comme Annabella Sciorra, étaient jeunes et débutantes au moment des faits. Des victimes piégées par des promesses de travail, tactique de celui que les procureurs dépeignent en "prédateur sexuel""Elles ne savaient pas qu'il mentait pour les attirer. Elles croyaient que leur carrière décollait enfin", insiste Meghan Hast. Celle-ci évoque en outre "l'enfance difficile" de ces femmes, fragilisées par des "violences familiales" vécues au cour de leur jeunesse, et leur instabilité financière. 

Il était comme la vieille dame de la maison en pain d'épices qui attire les petits enfants chez elle.

Meghan Hast, procureure

lors du procès d'Harvey Weinstein

Quand Miriam Haleyi rencontre Harvey Weinstein en 2004, puis au Festival de Cannes en 2006, elle est en pleine recherche du travail en tant qu'assistante de production. Le producteur lui propose une réunion dans son hôtel, raconte la procureure. Mimi Haleyi y décline sa proposition de le masser, mais accepte une mission pour sa société, The Weinstein Company. "Aux yeux d'Harvey Weinstein, Miriam avait passé le premier test", analyse Meghan Hast. Traduction : en disant "oui" à cette promesse de travail, elle disait "oui" à une relation intime. Même logique pour Jessica Mann, lorsqu'elle donne son numéro de téléphone au titan d'Hollywood, à la fin d'une soirée à Los Angeles, en 2013. "Elle pensait que cela pourrait être une bonne opportunité professionnelle, certainement pas quelque chose de romantique ou de sexuel. Pour Harvey Weinstein, Jessica avait passé le test initial." 

Et la procureure de détailler, en des termes glaçants, les violences sexuelles que Miriam Haleyi et Jessica Mann affirment avoir subies. Harvey Weinstein, témoignent-elles, leur a fait un cunnilingus sans leur consentement et les a violées. "En fin de compte, nous vous demanderons de décider si cet homme a agressé sexuellement chaque victime, pas si les réactions de ces victimes après ces agressions étaient les meilleures", alerte la procureure face aux jurés. 

Des SMS intimes échangés après les faits 

C'est toute la ligne de défense d'Harvey Weinstein, développée par l'avocat Damon Cheronis. Son argumentaire est soigneusement ficelé : Miriam Haleyi et Jessica Mann ont maintenu des contacts, voire des relations avec le magnat, après les faits. "Nous avons attendu patiemment en entendant les mots ‘prédateur', ‘violeur'… Ce n'est pas facile pour M. Weinstein d'entendre cela", entame l'avocat.

Vous allez entendre les conversations que Jessica et Miriam ont eues avec l'homme qu'elles appellent désormais 'prédateur'.

Damon Cheronis, avocat d'Harvey Weinstein

lors du procès

En projetant une "chronologie" des rencontres entre Harvey Weinstein et Miriam Haleyi, Damon Cheronis retrace les "multiples fois" où la plaignante a recontacté celui qu'elle accuse. "En septembre 2006, elle le contacte ainsi que son assistante pour les voir à Londres", "en mai 2007, elle l'appelle et le voit au Festival de Cannes", énumère-t-il. Dans un autre message datant de 2009, la jeune femme propose au producteur une nouvelle collaboration. De quoi semer le doute sur les intentions de l'ancienne assistante de production, estime l'avocat de la défense. "En octobre 2017, elle entend rester anonyme, puis engage Gloria Allred, l'une des avocates les plus célèbres" et médiatiques du pays, ironise l'avocat. Sa consœur visée écoute attentivement, depuis le premier rang. 

Damon Cheronis embraye et défend comment "une relation consentie", une "relation amoureuse" même, s'est développée entre Harvey Weinstein et la deuxième plaignante, Jessica Mann, pendant cinq ans. Ses preuves ? "Le calendrier, les communications, et le bon sens." Le 18 mars 2013, "il n'y avait pas une once d'anxiété, pas une larme à ce déjeuner" qui a suivi son viol présumé dans une chambre d'hôtel, attaque-t-il. Le discours est rodé. Damon Cheronis multiplie les exemples de messages écrits par Jessica Mann et révélateurs, selon lui, de rapports consentis : "Cher Harv, j'ai un nouveau numéro. Appelle-moi quand tu veux", ou encore "Tu me manques, mon gros". Jusqu'à ce dernier message datant du 28 février 2017 : "Je t'aime, toujours, mais je déteste avoir l'impression d'être un plan cul." "Ce n'est pas comme cela que vous parlez d'un prédateur", argumente avec force l'avocat de la défense.

Vous ne pouvez pas traiter Harvey Weinstein de violeur, de prédateur, alors que vous lui proposiez de lui présenter votre mère en 2014 !

Damon Cheronis

au procès d'Harvey Weinstein

A la barre, la procureure rappelle combien il est commun, pour des victimes de viols dont l'agresseur est souvent une connaissance ou un proche, de nier les faits, de "ne pas résister physiquement", de "ne pas porter plainte immédiatement", voire de "recontacter son agresseur" et le revoir. A l'invitation de l'accusation, Barbara Ziv, psychiatre spécialiste des violences sexuelles, doit d'ailleurs apporter son éclairage sur ce point dans les prochaines semaines. Son expertise s'annonce capitale pour aider les jurés à se prononcer.

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