Alain Delon et la Nouvelle Vague, l'histoire d'un rendez-vous manqué
L'histoire aurait pu s'écrire autrement. Alain Delon et la Nouvelle Vague, ce sont deux trajectoires aux destins entremêlés, qui se sont pourtant si peu croisées. Pourquoi l'acteur célébré par Visconti et Losey n'a-t-il pas participé à ce mouvement qui a rajeuni l'industrie du 7e art français ? Interrogé sur cette question à plusieurs reprises au cours de sa carrière, l'acteur français, décédé le 18 août 2024 à 88 ans, se montrait réservé, peu bavard sur le sujet. Entre les lignes, le sentiment amer d'un rendez-vous manqué entre l'acteur et les cinéastes phares du mouvement semblait cependant se dessiner. En 1990, Jean-Luc Godard fait finalement appel à Alain Delon pour lui confier un rôle dans un film symboliquement baptisé Nouvelle Vague, corrigeant alors cette forme d'anomalie, dont on peut tenter de supposer les raisons. Retour à la case départ.
Nous sommes au tournant des années 1960. Après avoir donné la réplique à Romy Schneider dans Christine (1958) de Pierre Gaspard-Huit, Alain Delon goûte à son gros succès pour son premier rôle dans Plein Soleil (1960) de René Clément. Trois années auparavant, le terme "Nouvelle Vague" naît de la plume de Françoise Giroud, journaliste pour L'Express. D'abord utilisée pour caractériser ce qui deviendra une nouvelle génération de cinéastes, la formule est reprise par Pierre Billard l'année suivante dans la revue Cinéma 58.
Voici que les critiques et autres observateurs reprennent à leur tour ce libellé, caractérisant l'arrivée de nouveaux réalisateurs dans l'industrie cinématographique. De Jean-Luc Godard à Agnès Varda en passant par François Truffaut ou Claude Chabrol, ce courant informel rassemble des cinéastes qui donnent naissance à leurs premiers longs-métrages et se distinguent autant par l'innovation de nouvelles techniques – caméras plus légères, tournages en extérieur plutôt qu'en studio... – que par leur vision du cinéma.
"Je m'en foutais, mais pas complètement non plus"
"Aux yeux de ces cinéastes, j'étais comme le symbole de l'ancienne vague, révélé par des cinéastes comme René Clément", confiera Alain Delon en 2019 dans un entretien pour Les Inrockuptibles. À cette période, l'acteur français brille de son côté, remarqué dans L'Éclipse (1962) de Michelangelo Antonioni et dans Le Guépard (1963) de Luchino Visconti.
Un succès insuffisant, d'après lui, pour intéresser les réalisateurs de la Nouvelle Vague, en partie pour des "histoires de clans, de chapelles", livrait l'acteur avec un soupçon de regrets. "J'ai tourné à Hollywood ou avec les plus grands cinéastes italiens, mais par contre, impossible de tourner avec Chabrol. Bon, d'une certaine façon, je m'en foutais, mais pas complètement non plus parce que je trouvais que Chabrol avait quand même fait quelques très bons films et que je ne voyais pas pourquoi je n'y aurais pas eu une place".
L'ami et rival Belmondo, grande figure de la Nouvelle Vague
Cette place, c'est le grand rival d'Alain Delon qui l'occupe : Jean-Paul Belmondo. L'acteur, avec qui la rivalité se transformera en amitié, enchaîne les films dirigés par les réalisateurs de la Nouvelle Vague, jusqu'à en devenir l'une des grandes figures. Pourtant, en 1963, c'est sur Alain Delon que le réalisateur Jean-Pierre Melville, considéré comme l'un des "pères" de la Nouvelle Vague – même s'il s'en est toujours défendu (n'a-t-il pas fait une apparition remarquée dans À bout de souffle) –, jette son dévolu pour incarner Michel Maudet dans L'Aîné des Ferchaux (1963). Delon refuse sa proposition. Jean-Paul Belmondo, que le réalisateur connaît bien pour l'avoir déjà dirigé à plusieurs reprises, est appelé à la rescousse. Deux ans plus tard, il joue Ferdinand Griffon dans Pierrot le Fou (1965) de Jean-Luc Godard.
De son côté, Alain Delon ne chôme pas, enchaînant le célèbre Samouraï (1967) du même Melville, La Piscine (1969) avec Romy Schneider, Borsalino, qu'il produit et dans lequel il partage l'affiche avec Belmondo ou Monsieur Klein (1976) réalisé par le cinéaste américain Joseph Losey. Des productions de haut vol, mais qui s'éloignent de ce que proposent alors les réalisateurs nés de la Nouvelle Vague.
Plus d'une décennie plus tard, Jean-Luc Godard pose des mots sur ce rendez-vous manqué avec Delon. "On a vécu la même industrie cinématographique française chacun de son côté. Pendant longtemps, ça ne s'est pas passé, et puis là, j'avais un rôle dans lequel je ne voyais que lui." Ce rôle taillé pour Delon se révèle destiné pour un film nommé La Nouvelle Vague (1990), tout un symbole.
À 55 ans, Alain Delon s'apprête enfin à jouer sous les ordres d'un réalisateur du mouvement éponyme. "J'ai dit : 'd'accord'. Pour le symbole. J'avais l'impression de dire : "je vous emmerde tous, je vais tourner avec Godard, prenez-vous ça dans la gueule", confesse-t-il aux Inrockuptibles. Le film, qui n'a pas marqué son époque, est tout de même présenté au Festival de Cannes en 1990.
Six ans plus tard, peut-être soulagé d'avoir rectifié cette absence dans son imposante carrière, Delon accepte de revenir sur ce rendez-vous manqué dans le quotidien Le Monde. "Je n'en ai pas fait partie, personne ne m'a fait de proposition. On m'a bien fait comprendre à l'époque que je n'étais pas de la même famille, j'étais l'acteur qui faisait du cinéma de papa".
S'il devait lui rester un regret ? Celui de n'avoir jamais été dirigé par François Truffaut. "J'adorais La Chambre verte, je le lui ai dit, il m'a répondu : 'J'ai toujours aimé votre manière de jouer, si je ne vous ai jamais contacté, c'est que vous me faisiez peur.' Quelle connerie ! On ne peut pas savoir ce qui se serait passé, puisque ensuite, il est mort. Je regrette beaucoup qu'on n'ait jamais travaillé ensemble."
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