Récit Mort d'Alain Delon : une carrière jalonnée d'histoires d'amour, de grands films et de quelques flops

Article rédigé par Linh-Lan Dao
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Alain Delon dans le film "Mélodie en sous-sol", réalisé par Henri Verneuil, en 1963. (MARCEL DOLE / CITE FILMS / CCM / CIPRA / PHOTO12 / AFP)
L'acteur est mort dimanche à l'âge de 88 ans. Star mondiale ayant tourné dans plus de 80 films, il laisse derrière lui une carrière d'exception longue d'un demi-siècle.

Regard azur perçant et charisme silencieux, il fait partie des monstres sacrés du cinéma. Alain Delon s'est éteint dimanche 18 août à l'âge de 88 ans. Affaibli par plusieurs accidents vasculaires cérébraux et placé sous curatelle forcée, il a vécu des dernières années difficiles. L'acteur laisse derrière lui une filmographie exceptionnelle de plus de 80 films, irradiant le cinéma français et européen de son talent pendant un demi-siècle. Pour l'ensemble de sa carrière, l'interprète du Guépard et du Samouraï a reçu la Parme d'or d'honneur au Festival de Cannes en 2019.

Flic ou voyou à l'écran, son parcours personnel n'était pas un long fleuve tranquille : ses nombreuses histoires d'amour, qu'il considérait comme sa "plus grande drogue", ses liens avec le grand banditisme, ses choix de carrière parfois étonnants, sa proximité avec l'extrême droite, les conflits au sein de son entourage... Franceinfo retrace la vie, photos à l'appui, de celui qui était devenu acteur par "accident".

Coup de pouce et coup de foudre

Alain Delon débute sa carrière au cinéma en 1957, à l'âge de 23 ans. Sa beauté lui vaut d'être remarqué par Michèle Cordoue, l'épouse du réalisateur Yves Allégret. Sur conseil de sa femme, qui entretient une liaison avec le jeune homme, il lui offre un petit rôle dans la comédie policière Quand la femme s'en mêle, aux côtés d'Edwige Feuillère, Bernard Blier et Sophie Daumier, future compagne de Guy Bedos. C'est aussi son premier baiser sur le grand écran.

Sophie Daumier et Alain Delon dans le film "Quand la femme s'en mêle", d'Yves Allégret, sorti en 1957. (SUNSET BOULEVARD / CORBIS HISTORICAL / GETTY IMAGES)

Entre Romy Schneider et Alain Delon, quelques mois plus tard, le courant ne passe pas immédiatement. Elle le choisit sur photo pour lui donner la réplique dans Christine. Il l'accueille à l'aéroport d'Orly avec un bouquet "trop rouge", le 1er novembre 1958, sous le crépitement des flashs. L'actrice de Sissi (1955) est déjà célèbre, lui est une étoile montante qu'elle trouve "trop beau, trop jeune, trop bien coiffé, trop à la mode". Lui la trouve "à vomir" ce jour-là. C'est pourtant le début d'une histoire d'amour mythique, tumultueuse, qui va durer cinq ans.

Pendant cinq ans, les acteurs Romy Schneider et Alain Delon ont formé un couple mythique du septième art. (ARCHIVES DU 7EME ART)

Alain Delon rompt les fiançailles et quitte Romy Schneider pour Nathalie, une jeune femme qu'il fréquente en cachette et qu'il épousera finalement en 1964. Elle restera sa seule et unique épouse

L'année 1960 marque l'explosion de l'acteur. Il crève l'écran dans Plein Soleil, de René Clément, adaptation du roman Monsieur Ripley (1955) de Patricia Highsmith. Il y joue un imposteur qui usurpe l'identité de son "ami" Philippe, dont il jalouse la réussite insouciante et luxueuse. Un film noir sous le soleil de la Côte d'Azur, avec un Alain Delon sulfureux, ambigu et meurtrier.

Eblouissant chez Visconti

"Il m'a appris le cinéma, il m'a appris mon métier, il m'a appris le cadre, il m'a appris l'objectif", dira-t-il de René Clément. Séduit par sa performance, le cinéaste italien Luchino Visconti poursuit sa "formation" avec Rocco et ses frères, mélodrame récompensé par le Lion d'argent à la Mostra de Venise.

Alain Delon dans un de ses premiers grands rôles, dans le film "Plein Soleil" du réalisateur René Clément (1960). (CARLOTTA FILMS)

A 28 ans, l'acteur donne désormais la réplique à Claudia Cardinale dans Le Guépard (1963), l'un des plus grands films de Luchino Visconti. Cette fresque sur le déclin de l'aristocratie italienne, adaptation du roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, est couronnée de la Palme d'or en 1963. Il y incarne Tancrède Falconeri, jeune noble désargenté trouvant un nouveau souffle dans la révolution de Garibaldi. La mythique scène de bal, qui clôt le film, aura demandé 40 nuits de tournage.

Claudia Cardinale et Alain Delon incarnent respectivement Angelica et Tancrède, dans la mythique scène du bal du film "Le Guépard" (1963), de Luchino Visconti. (PATHE PRODUCTION / TITANUS)

Les films cultes s'enchaînent pour l'acteur que le septième art s'arrache. Cette même année 1963, Alain Delon partage l'affiche avec l'une de ses idoles, Jean Gabin. Il l'appelle même "patron" sur le plateau de Mélodie en sous-sol, d'Henri Verneuil. Il y incarne Francis, un jeune délinquant s'associant à un truand expérimenté pour cambrioler un casino à Cannes. Les dialogues sont signés Michel Audiard.

Le prince du polar

En plus d'être un succès critique, récompensé du Golden Globe du meilleur film en langue étrangère, c'est le "casse du siècle" pour l'acteur, qui touche plusieurs millions de francs après avoir accepté d'être payé en droits de production.

Jean Gabin et Alain Delon dans "Mélodie en sous-sol" (1963), polar d'Henri Verneuil. (MARCEL DOLE / MARCEL DOLE)

L'image du voyou lui colle longtemps à la peau. Toujours affublé d'un imper et d'un feutre, Alain Delon est un tueur à gages mutique et solitaire dans Le Samouraï (1967), de Jean-Pierre Melville. Son personnage, ainsi que l'esthétique glaciale du film, fascineront une génération de cinéastes asiatiques, comme le Hongkongais John Woo. Le héros de son film d'action noir Le Syndicat du crime (1986) n'est pas sans rappeler Jef Costello, alias "le Samouraï". 

Nathalie Delon et Alain Delon dans "Le Samourai" (1967), de Jean-Pierre Melville. (COMPAGNIE INDUSTRIELLE ET COMMER)

En 1968, il propose à Mireille Darc de jouer avec lui dans Jeff, premier film qu'il produit. Couple à l'écran, puis couple à la ville. Cette histoire d'amour iconique dure quinze ans. Mais l'actrice, atteinte d'une maladie cardiaque, ne peut pas avoir d'enfants, alors qu'Alain Delon en veut. "Il avait besoin de faire sa vie (...) il voulait une famille", confiait-elle à Gala en 2011. "Elle était la femme de ma vie. Nous avons été si heureux ensemble, et heureux de tout", se souvenait l'acteur en 2017 auprès de Paris Match, peu après la mort de son ex-compagne. 

Alain Delon et Mireille Darc, en couple, et le réalisateur italien Sergio Leone, lors de l'ouverture de la discothèque "Le Grand Cabaret", le 15 janvier 1977 à Nice (Alpes-Maritimes). (AFP)

Dans les années 1970, Alain Delon enchaîne les polars : il retrouve Jean Gabin dans Le Clan des Siciliens (1969) d'Henri Verneuil, joue les gangsters dans Le Cercle rouge (1970) de Jean-Pierre Melville, et Borsalino (1970) au côté de son "rival" Jean-Paul Belmondo.

Des retrouvailles dans "La Piscine"

Ce duo de monstres sacrés attire quatre millions de spectacteurs. "Il y avait une compétition mais aussi une sorte de stimulation entre nous. Ça m'aurait vraiment emmerdé qu'il ne soit pas là. Qu'est-ce que j'aurais foutu sans lui pendant cinquante ans ?", plaisantait Alain Delon à son sujet en 2018 dans Paris Match.

Les acteurs Jean-Paul Belmondo, Alain Delon et Jean Gabin, dans les années 1960 à Paris. (AFP)

En 1969, La Piscine marque ses retrouvailles torrides à l'écran avec Romy Schneider, sous la caméra de Jacques Deray (avec lequel il tournera neuf films). Tandis que défilent les noms d'actrices comme Natalie Wood, Angie Dickinson et Leslie Caron pour le rôle principal de ce huis clos psychologique, Alain Delon souffle celui de son ex-compagne. Ce qui contribuera à relancer la carrière de Romy Schneider.

En 1969, Alain Delon retrouve Romy Schneider dans "La Piscine", de Jacques Deray, un drame français ayant pour décor une villa à Saint-Tropez. (SNC/ TRITONE CINEMATOGRAFICA)

En parallèle éclate l'affaire Markovic, du nom de cet ex-garde du corps de l'acteur et amant de Nathalie Delon. Son corps est retrouvé dans une décharge des Yvelines en 1969. François Marcantoni, un truand et ami d'Alain Delon, est accusé de l'assassinat, et l'acteur est entendu par un juge d'instruction. Les rumeurs autour de l'affaire éclaboussent notamment la compagne du président Georges Pompidou. François Marcantoni est acquitté huit ans plus tard, faute de preuves.

L'acteur Alain Delon arrive au tribunal de Versailles pour une audience au sujet du meurtre de son ancien garde du corps Stevan Markovic, le 29 septembre 1973. (AFP)

En duo avec la mythique Dalida, il connaît un succès international en 1973 avec la chanson Paroles paroles... notamment au Japon et au Mexique. La chanson se vend à 200 000 exemplaires en France, atteignant la 10e place des ventes. Les deux stars, qui se connaissaient depuis les années 1950, ont connu une brève et très discrète idylle dès 1962 à Rome, alors que l'acteur tournait dans Le Guépard.

Dalida et Alain Delon ont un temps vécu ensemble dans un hôtel particulier au 11 bis rue d'Orchampt, à Paris. (JAMES ANDERSON / GETTY IMAGES)

La décennie 1970 continue d'être marquée par les films d'action, avec des rôles de héros et anti-héros. Monsieur Klein (1976), de Joseph Losey, lui permet de s'éloigner de son image de séducteur. Il campe un collectionneur d'art insouciant, confondu avec un homonyme juif sous l'Occupation.

Deux César et un fiasco

Le film est salué par la critique mais constitue un échec commercial (à peine 700 000 entrées). Alain Delon ne remporte pas le prix d'interprétation au Festival de Cannes, alors que le cinéaste Costa-Gravas, membre du jury, s'est battu pour lui. Mais le long-métrage remporte toutefois le César du meilleur film l'année suivante.

Les acteurs Juliette Berto et Alain Delon dans "Monsieur Klein" (1976), réalisé par Joseph Losey. (NANA PRODUCTIONS/SIPA / SIPA)

Malgré des choix commerciaux souvent critiqués, Alain Delon se montre peu intéressé par les sirènes d'Hollywood. Il réalise et produit son premier film, Pour la peau d'un flic (1981), tient la double casquette d'acteur-producteur dans Trois hommes à abattre (1980), Parole de flic (1985), Ne réveillez pas un flic qui dort (1988)... Pourquoi tant de "flics" ? Pour des raisons commerciales, selon l'homme d'affaires, qui obtient la consécration de ses pairs avec le César du meilleur acteur, en 1985, grâce à son interprétation d'un garagiste alcoolique dans Notre histoire (1984), de Bertrand Blier.

Les acteurs Nathalie Baye et Alain Delon dans le film "Notre histoire", de Bernard Blier (1984). (MEUROU/SIPA / SIPA)

En 1987, il fait la connaissance de la mannequin néerlandaise Rosalie ven Breemen sur le tournage d'un clip. De cette relation naissent deux enfants : Anouchka en 1990 et Alain-Fabien en 1994. Le couple se séparera au bout d'une quinzaine d'années.

Les années 1990 sont un enchaînement de déceptions. Il apparaît notamment comme une caricature de lui-même dans Le Jour et la Nuit (1997), réalisé par l'écrivain et philosophe Bernard-Henri Lévy. Malgré un beau casting, il s'agit d'un fiasco commercial et critique, et de l'un des plus grands échecs de l'acteur, qui déclare mettre fin à sa carrière deux ans plus tard.

Alain Delon embrasse sa partenaire de jeu Lauren Bacall, en pleine promotion du film "Le Jour et la Nuit" (1997) de Bernard Henri-Lévy au festival de Berlin, en Allemagne, le 17 février 1997. (ADENIS/SIPA / SIPA)

La légende fait toutefois un come-back rapide. Il se fait connaître auprès d'une nouvelle génération en incarnant le commissaire de police marseillais Fabio Montale en 2002, dans une mini-série de TF1 adaptée de l'œuvre de Jean-Claude Izzo qui affiche de très belles audiences. Il incarne ensuite Frank Riva, un ex-commissaire, dans la série du même nom sur France 2, où il retrouve Mireille Darc en 2003.

"Paraît-il, je suis une star"

Finalement, Alain Delon s'offre une épitaphe en Jules César, pleine d'autodérision, dans Astérix aux Jeux olympiques (2008), qui attire six millions de spectateurs, son plus gros succès en termes d'entrées en France.

Alain Delon dans la comédie "Astérix aux Jeux olympiques" (2008) de Thomas Langmann et Frédéric Forestier. L'acteur interprète un très autoparodié Jules César. (PATHE RENN PRODUCTIONS / LA PETI)

En mai 2019, l'heure est aux adieux et à l'humilité, qu'il n'a pas toujours affichée. Lorsqu'il reçoit la Palme d'or d'honneur que lui décerne le Festival de Cannes, il y voit un "hommage posthume", mais de son vivant, et remercie les spectacteurs en ces termes : "Et paraît-il, je suis une star. Mais si je suis une star – et c'est pour ça que je veux vous remercier –, c'est au public que je le dois et à personne d'autre".

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