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Les infox de l'Histoire : "L'affaire Markovic, Georges Pompidou face à la calomnie"
Le 1ᵉʳ octobre 1968, près d'Elancourt, dans les Yvelines, un ferrailleur découvre par hasard le cadavre d'un homme dans une décharge publique. Rapidement identifié par la police, on apprend qu'il est yougoslave, s'appelle Stéphane Markovitch et a été probablement victime d'un règlement de comptes. Personne n'imagine encore que ce fait divers allait devenir en quelques jours une affaire d'Etat mettant en cause la femme d'une des personnalités politiques les plus importantes de la cinquième République, Georges Pompidou, qui fut pendant six ans le Premier ministre du général de Gaulle et qui lui succèdera à l'Elysée en juin 69. En ce mois d'octobre 1968, en réserve de la République, il n'a aucune raison de penser que lui et sa femme seront mêlés à cette affaire. S'il intéresse d'abord les journalistes, c'est parce que l'enquête s'oriente vers une figure du grand banditisme, François Marcantoni, et surtout une célébrité du cinéma français, Alain Delon.
Patrice Gelinet : Rappelons peut être d'abord le contexte dans lequel l'affaire Markovitch a commencé en octobre 1968. À ce moment là, Georges Pompidou n'est plus Premier ministre depuis le mois de juin, au lendemain des événements de Mai 68, il a été remplacé à l'hôtel de Matignon par Maurice Couve de Murville. Et il est, comme le disait le général de Gaulle lui même, en réserve de la République.
Arnaud Teyssier : Oui, il est en réserve de la République parce que de Gaulle a commencé son second mandat il n'y a pas si longtemps que ça, en 1965, mais il est âgé, et puis surtout, il y a eu le choc de 68, l'épreuve de 68 que de Gaulle et Pompidou ont affronté dans des conditions difficiles, avec des désaccords entre eux. Et même si la majorité présidentielle a remporté largement les élections de juin 68 grâce au coup de génie de la dissolution, et bien de Gaulle et Pompidou sont un peu désenchantés et les difficultés demeurent. Et la question de la succession, même si elle ne se pose pas dans l'immédiat, agite de Gaulle parce qu'il sait bien qu'il lui faudra un successeur à brève échéance.
Et c'est la raison pour laquelle il dit "Vous êtes un président de la République". Pompidou, d'ailleurs, ne cache pas du tout son intention, au fond, de succéder un jour au général de Gaulle. A ce moment là, il y a un lieu où il se retrouve avec ses fidèles c'est Jacques Chirac, c'est Edouard Balladur, c'est Michel Jobert. Mais comme il est candidat, si je puis dire, présumé ou potentiel à la présidence de République, il a quand même des ennemis dans l'entourage du général de Gaulle.
Oui, et au sein du parti dont il a pris le contrôle parce qu'il a été un Premier ministre de grande envergure. Il a été Premier ministre pendant six ans et il a été en fait le chef de la majorité présidentielle, puisque De Gaulle a toujours refusé de se mêler des affaires de l'ENR devenue UDR. Mais évidemment, comme il y a plusieurs possible successeurs, encore qu'aucun ne se détache vraiment à part lui, Pompidou a des ennemis. Et puis il y a eu le grand conflit autour de la participation autour de la politique sociale. Il y a les gaullistes de gauche qui considèrent que Pompidou trahit l'héritage gaullien avant même que de Gaulle ait quitté la scène, comme René Capitant, et cetera, qui étaient des hostiles. Et puis je pense que Pompidou, qui est un homme assez autoritaire, s'est fait des ennemis. On ne peut pas faire autrement que de se faire des ennemis.
Dans les dîners en ville, dans les salles de rédaction, commence à parler de madame Pompidou, son nom commence à circuler. Il est vrai que le couple Pompidou avait un train de vie qui était très différent des hommes politiques de l'époque. Il fréquentait des artistes, le milieu du spectacle, il allait en vacances à Saint-Tropez, il roulait en Porsche.
Oui, aujourd'hui, ça nous paraît banal. Mais à l'époque, ce n'était pas le genre de la maison de Gaulle Maurice Couve de Murville, Michel Debré. L'entourage de De Gaulle était plutôt janséniste, je dirais. Pompidou aimait la vie mondaine, il avait travaillé chez Rothschild. Il aimait le monde de l'art, le monde de l'argent, le monde du spectacle. Il aimait s'y mêler. Il voulait un peu le meilleur des deux mondes. Pompidou, il aimait le pouvoir et son côté janséniste à la de Gaulle, mais aussi il voulait ménager sa vie personnelle. On sait qu'il était amateur d'art contemporain. Il aimait la vie mondaine, il aimait sortir en ville et il fréquentait des milieux d'acteurs, de personnalités du show business. Et de Gaulle s'en est inquiété. Il lui avait fait passer le message en lui disant "Faites attention, vous allez peut être me succéder, donc il faut peut être vous éloigner un peu de ce milieu là", parce que ce n'était pas le genre de De Gaulle.
C'est à ce moment là que commencent des rumeurs sur madame Pompidou. Il faut savoir qu'à l'époque, il n'y avait pas de réseaux sociaux. La radio et la télévision étaient plutôt sous tutelle de l'État. C'est donc la presse écrite qui commence à évoquer la présence d'une femme politique dans l'entourage justement de Markovitch et surtout d'Alain Delon. Le rôle de la presse écrite à l'époque a été important.
Mais oui, c'est un peu de patriotisme à l'ancienne. C'est un peu la. Politique à l'ancienne. On dit souvent que de Gaulle, c'était une sorte de mainmise sur les médias. C'est à moitié vrai, et même pas du tout vrai en réalité. Sur la radiodiffusion, sur la télévision peut être, mais sur la presse écrite, non. Et il faut bien savoir qu'à l'époque la presse écrite est massivement contre le régime. Elle ne lui fait aucun cadeau, même la presse de droite bourgeoise, De Gaulle a des mots très durs sur elle. Donc c'est un climat politique difficile. Et encore une fois, le régime a été violemment ébranlé par Mai 68. C'est difficile à imaginer aujourd'hui parce qu'on a une image toute puissante de De Gaulle. Mais le régime a failli basculer quand même.
Avec "Les infox de l’Histoire", la deuxième saison du podcast de la Fondation Descartes en partenariat avec franceinfo, voyagez à travers les époques au cœur des grands épisodes de désinformation. Patrice Gélinet et ses invités exposent et analysent les infox qui ont défrayé la chronique de l’antiquité à nos jours. Complotisme, désinformation, rumeurs, calomnies, emballements médiatiques… Une saison 2 de 8 épisodes pour décrypter les mensonges de l’Histoire.
Producteur : Patrice Gélinet
Réalisatrice : Vanessa Nadjar
Documentaliste/Attachée de production : Juliette Marcaillou
Technicien : Tahar Bouflika
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