Mort d'Alain Delon : quand l'acteur du "Samouraï" inspirait Michael Mann, Quentin Tarantino ou John Woo

Plus reconnu en Italie qu'en France à la charnière des années 1950-1960, Alain Delon s'est ensuite rapidement imposé comme une figure majeure du polar français qui influencera le genre à l'international.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
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Alain Delon dans "Le Samouraï" de Jean-Pierre Melville (1967). (LES FILMS DU CAMELIA)

L'hommage rendu en France et dans le monde à Alain Delon, disparu dimanche 18 août à 88 ans, illustre si besoin était, son immense aura. On connaît moins l'influence dans le monde du cinéma, et notamment à l'étranger de l'acteur, qui fut aussi réalisateur et producteur.

Si Rocco et ses frères (1960), film néo-réaliste de Luchino Visconti, est une date majeure dans la carrière d'Alain Delon, c'est dans le genre policier qu'il va s'imposer la même année en France avec Plein Soleil de René Clément où il crève l'écran.

Film solaire, comme son titre l'indique, se déroulant en pleine mer à bord d'un voilier barré par Maurice Ronet accompagné de Marie Laforêt, l'acteur y compose un rôle des plus sombres qui va l'imposer définitivement en lui dessinant un personnage glaçant qui imprègnera toute sa filmographie, jusqu'à influencer des cinéastes tels que Quentin Tarantino ou John Woo. Ils ne furent pas les seuls à le solliciter, puisqu'il refusa le rôle principal que lui offrait Johnnie To dans Vengeance (2009) remplacé par Johnny Hallyday. Il sera également et peut-être surtout une égérie de la mode dans l'archipel : un ambassadeur de l'élégance française.

"Reservoir Dogs" : l'élégance du diable

Reservoir Dogs (1992) est sans doute le premier à convoquer l'image d'Alain Delon hors l'Hexagone, dans les tueurs incarnés par Harvey Keitel, Tim Roth, Steve Buscemi, Tarantino lui-même et leurs acolytes, dès le début du film. Même costards noirs, chemises blanches et cravates sombres : une élégance classique d'homme d'affaires qui les fond dans le paysage, tout en exprimant leur froideur d'exécuteur des basses œuvres.

La référence à Alain Delon est notamment là, dans cette silhouette nouvelle pour le malfrat des films policiers, désormais élégant et sombre, à l'image du Samouraï imaginé par Melville.

On retrouvera aussi cette image longiligne dans Pulp Fiction, dès la scène d'ouverture du film, où John Travolta et Samuel L. Jackson prennent le relais de ceux de Reservoir Dogs, en tueurs froids et implacables. Le réalisateur trouvera d'ailleurs une équivalence féminine à ce modèle masculin dans l'élégance de Jackie Brown qu'incarne Pam Grier dans le film éponyme.

Toutefois, si la silhouette et les costumes des tueurs de Reservoir Dogs et de Pulp Fiction renvoient à la silhouette de Delon, ils n'ont rien de la froideur de l'acteur français. Plus décontractés, ne dédaignant pas l'humour, leurs sarcasmes les détachent de la figure hiératique du Français.

"Volte/Face" : vous en êtes un autre

"Si le Japonais avait eu la chance d'être blanc, il aurait ressemblé à Alain Delon", déclarait l'acteur avec une once d'autosuffisance au journal télévisé de France 2 en avril 1996. Plus qu'en France, Alain Delon est au Japon, voire en Asie, une "marque" : parfum, cigarettes, chaussures, vêtements portent sa griffe. La froideur mutique de ses rôles ne rappelle-t-elle d'ailleurs pas les acteurs du théâtre Kabuki du pays du Soleil-Levant ?

Ce n'est pas un hasard si son personnage de tueur à gages dans Le Samouraï (1967) de Jean-Pierre Melleville reprend la terminologie nippone qui désigne littéralement "celui qui sert (son seigneur)" jusqu'à la mort. C'est d'ailleurs ce sort qui attend Jeff Costello (dit le Samouraï), dans le dernier plan du film.

Si le côté sombre des personnages incarnés par Delon va s'expatrier dans le cinéma international, il en sera de même de cette élégance hiératique que Melville inventa dans le portrait de son tueur à gages : droit comme un "i", drapé dans son imperméable clair et chapeauté d'un feutre gris.

Comme l'Américain Quentin Tarantino, le Hong-Kongais John Woo ne s'est jamais caché de l'influence de Melville sur ses films. En tête, l'on pense au réalisateur français dans Volte/Face, où Castor Troy (Nicolas Cage), dangereux terroriste, reprend la même silhouette classique qu'il gardera une fois greffé le visage de Sean Archer, agent de la CIA (John Travolta), pour échapper aux forces de l'ordre et pour fomenter ses crimes.

De George Clooney à Park Chan-wook

Alain Delon a influencé nombre de cinéastes internationaux. L'artiste incarne la différence entre le comédien et l'acteur. Le premier passe de rôle en rôle, le second interprète des personnages sur-mesure, écrits pour lui, tel un Jean Gabin ou un Louis de Funès. Alain Delon incarne un style. Ce qui ne l'empêchera pas de passer du flic à voyou, mais toujours avec cette même prestance et élégance qui le caractérisent.

En France, Daniel Auteuil ou Pierre Niney s'en réclament, à l'étranger, George Clooney ou Tom Cruise ne cachent pas s'en être inspirés dans leurs interprétations, dans Hors d'atteinte (Steven Soderbergh, 1998) pour le premier, ou Collatéral (Michael Mann, 2004) pour le second. Le Samouraï aura une influence majeure sur le cinéma mondial : Martin Scorsese (Les Affranchis, 1990), Michael Mann (Heat, 1995) ou Jim Jarmusch (Down by Law, 1986)... Aussi, si l'on identifie souvent la naissance du polar urbain à French Connection (1971) de William Friedkin, il est déjà à l'œuvre dans Le Samouraï, où Delon ne cesse de hanter les rues de Paris.

En Italie, le "poliziottesco" (néo-polar) dérive directement des films de Melville. La Trilogie du milieu (Milan calibre 9, L'Empire du crime, Le Boss) réalisée par Fernando Di Leo entre 1972 et 1973 s'en réclame et tient sa part d'hommage à l'acteur français. Le réalisateur américain Antoine Fuqua, auteur de la franchise The Equalizer (2014-2023) déclare : "Mes plus grandes inspirations ont été les films étrangers des années 1970, vraiment (…). Et bien sûr, tous ces films d'Alain Delon, les films français en particulier, comme Le Samouraï, avec ce genre de rythme lent et de développement des personnages au fur et à mesure qu'il se déroule. C'est le genre de films qui m'inspirent". Il en va de même de Chad Stahelski, avec sa franchise John Wick (2014-2025) qu'interprète Keanu Reeves, qui dit s'être inspiré du Cercle rouge (Jean-Pierre Melville, 1970) et du Samouraï.

La liste des réalisateurs s'inspirant du modèle imposé par Melville est infinie : Yórgos Lánthimos, Jerry Schatzberg, Paul Schrader, Akira Kurosawa, Hayao Miyazaki, Dario Argento, James Gray, Park Chan-wook… Qui peut se prévaloir d'un tel héritage ?

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