Cinéma : comment Hollywood est devenu maître de l'"univers" (et du box-office)
Le grand public a découvert l'"univers" Marvel avec les "Avengers". Et maintenant, tous les studios hollywoodiens s'engouffrent dans la brèche. Comme Universal, avec "La Momie" qui sort mercredi.
Il y a trois façons d'appréhender la sortie de La Momie dans les salles obscures, mercredi 14 juin. La première, c'est que Tom Cruise porte toujours beau, malgré ses 54 ans, et assure son quota de cascades à couper le souffle, généreusement mises en avant dans la bande-annonce. La deuxième, c'est de se gratter la tête, d'un air perplexe, et demander à la cantonade : "Ils font déjà un remake du film avec Brendan Fraser, qui était sympa, mais pas mal inspiré d'Indiana Jones ? Il date de quand déjà ?" [spoiler : 1999, il y a presque 20 ans tout de même]. Troisième angle d'attaque : se demander pourquoi le remake du remake d'un film de 1932 est la pierre angulaire du nouvel univers cinématographique – le Dark Universe – lancé par Universal pour inonder les salles obscures avec le Docteur Jekyll et Frankenstein. Mais oui, pourquoi, au fait ?
Chez Marvel, tout est prévu jusqu'en 2028
Les univers cinématographiques, Hollywood ne jure plus que par eux. Comprenez : un environnement cohérent de plusieurs personnages, qui vivent des aventures séparées ou en commun, sur grand ou petit écran. Tout a commencé quand, en 2008, les petits geeks de Marvel ont créé le modèle pour imposer leurs produits sur tous les supports. La recette :
- adapter son catalogue, en commençant par les personnages les plus bankables (Iron Man, avec Robert Downey Jr)
- instiller l'idée d'une organisation qui chapeauterait le tout (le patron du Shield, Nick Fury, apparaît dans une scène post-générique)
- faire réapparaître ce personnage-lien dans les autres grosses sorties (Captain America)
- réaliser un film rassemblant tous ces héros : Avengers.
Le résultat tient en un chiffre qui donne le vertige : 10 milliards de dollars engrangés (8,9 milliards d'euros). L'univers Marvel, c'est 47 films ou séries en dix ans, lancés en trois phases, la dernière s'arrêtant en 2018 avec la probable mise à la retraite de Robert Downey Jr et quelques autres figures de ce que les Américains appellent "un arc narratif". Les histoires s'imbriquent tellement qu'il faut de longues exégèses pour déterminer l'ordre dans lequel les voir. La quatrième phase est dans les cartons depuis longtemps : le cerveau du studio, Kevin Feige, laisse entendre qu'il a tout prévu jusqu'en 2028, note le site spécialisé Moviepilot (lien en anglais).
Robert Ludlum contre les "Transformers"
Il suffit qu'un studio ait une bonne idée à Hollywood pour qu'elle soit aussitôt pillée. En 2012 – l'année où le premier Avengers dépasse le milliard de recettes au box-office –, Universal annonce le lancement de son propre univers basé sur son catalogue de monstres des années 1930-1940 (Frankenstein, Dracula, la Momie, et d'autres bestioles oubliées comme l'Etrange Créature du lac noir). Même si le terme n'était pas utilisé à l'époque, Universal avait développé un univers cinématographique, en croisant ses personnages. Dans House of Frankenstein (1944), la créature imaginée par Mary Shelley était aux prises avec Dracula et la Momie. Jusqu'au film de trop, Deux nigauds contre Frankenstein (1948), qui voit le duo comique Abbott et Costello affronter le monstre, Dracula, un loup-garou...
Aujourd'hui à Hollywood, on compte une bonne douzaine d'univers plus ou moins développés, chaque studio raclant son fond de catalogue pour ne pas manquer la vague. Stars Wars, passe encore, les super-héros DC ou de la Fox, admettons... Les jouets Hasbro, qui disposent des Transformers (quatre films sortis, trois autres sur le feu) plus G.I. Joe et d'autres jouets ? La machine est lancée, un lauréat du prix Pulitzer a été recruté pour diriger une équipe de scénaristes. Les romans de Robert Ludlum, avec Dwayne "The Rock" Johnson pour incarner un personnage capable de rivaliser avec Jason Bourne dans un futur crossover ? C'est en cours (lien en anglais). Un retour en grâce de Matrix pour développer un univers, près de quinze ans après la sortie du dernier film ? Warner Bros n'a pas nié (lien en anglais).
Les mots magiques d'Hollywood
Mais la réalité du box-office est parfois douloureuse pour les appétits décuplés des studios hollywoodiens. L'univers que Sony projetait de bâtir autour de Spiderman, avec les méchants s'alliant pour former une équipe de vilains, n'a pas survécu au désintérêt des spectateurs, lassés par un troisième reboot, The Amazing Spiderman 2 (2014), en vingt ans des aventures de l'homme-araignée. A toute chose malheur est bon car on prêtait au studio l'idée de consacrer un film entier au personnage de Tante May. Décidément peu inspiré, Sony a tâté le terrain pour faire de même autour des Ghostbusters, oubliant la règle de base pour se lancer dans cette aventure : une littérature conséquente et une fanbase solide, rappelle le Guardian. L'échec du remake féminin des chasseurs de fantômes a fait capoter le projet.
"Chaque communiqué de presse à propos d'un film se termine avec les mots fatidiques 'univers cinématographique', ironise Joe Keatinge, auteur de comics qui a roulé sa bosse chez Marvel et chez DC, cité par Fast Company (lien en anglais). Si Magnolia [un film dramatique avec Tom Cruise sorti en 1999] était sorti aujourd'hui, on lui aurait collé un univers cinématographique." Il ne croit pas si bien dire. Le public réagit favorablement au design des nouveaux costumes des Powers Rangers, lors de la présentation d'un nouveau film ? Le patron du studio Lionsgate confie à Variety réfléchir à une demi-douzaine de longs-métrages... un an avant la sortie du premier volet. Le réalisateur du Roi Arthur, Guy Ritchie, avait laissé entendre dans Vulture (lien en anglais) avant la sortie du film, en mai, qu'il avait cinq longs-métrages en tête pour développer le personnage. Cent millions de dollars de pertes plus tard (89 millions d'euros), il n'en est plus question...
L'apocalypse est prévue pour 2018
Vous avez dit overdose ? C'est ce que Steven Spielberg et George Lucas annonçaient pour 2013. Mais l'apocalypse cinématographique se produira peut-être en 2018, au calendrier de sorties particulièrement encombré. Comme le note le site américain Cracked, défileront sur les écrans cette année-là cinq films Marvel, deux de l'univers DC Comics, deux longs-métrages autour de Spiderman, un spin-off de Harry Potter, la suite du Dark Universe d'Universal, le Star Wars annuel, et pas n'importe lequel, puisque ce sera le film consacré à Han Solo, sans parler de la consécration de Bumblebee, un des robots stars des Transformers. A ces produits d'univers cinématographiques, il faut ajouter 20 autres blockbusters (comme un Mission Impossible par exemple) concentrés sur quelques dates stratégiques.
A croire que les studios n'écoutent pas la mise en garde de Mark Evans, patron de la Paramount, en 2015 dans Wired : "Nous devons faire très attention à ne pas tomber dans le piège de 'Qui veut gagner des millions ?'. Quand le show était diffusé en prime-time une fois par semaine, le pays entier s'installait devant le poste. A la minute où la chaîne l'a programmé cinq jours par semaine, le jeu avait perdu tout son caractère spécial. Il faut veiller à ne pas saturer le marché."
Dernier hic, ce n'est pas comme si cette profusion d'univers profitait au cinéma en général. Le nombre de tickets vendus dans les cinémas américains est en baisse constante depuis dix ans (lien en anglais). Ce n'est qu'en augmentant le prix du billet que l'industrie peut claironner que le marché est en croissance. Pire, le coût colossal des univers fragilise le reste de l'industrie. Les frais de lancement sont rondelets : Marvel a perdu 50 millions de dollars (44,6 millions d'euros) sur ses trois premiers films, y compris les Iron Man, mais est rentré dans ses frais grâce aux produits dérivés et aux passages télé – la véritable manne des studios hollywoodiens (lien en anglais). Et le succès des blockbusters de super-héros a ainsi considérablement augmenté les budgets des films (+75% entre 2003 et 2013). Conséquence : le Big Six – les six gros studios hollywoodiens – sort moins de longs-métrages (-32% sur la même période), laissant totalement tomber les films à budget moyen. Reste à savoir combien de temps cette configuration peut durer.
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