Festival de Cannes 2022 : qui est Kelly Reichardt, en compétition officielle et lauréate du Carrosse d'or de la Quinzaine des réalisateurs ?
En compétition officielle du Festival de Cannes avec son huitième film, "Showing Up", la réalisatrice américaine Kelly Reichardt reçoit cette année le Carrosse d’or de la Quinzaine des réalisateurs. Décryptage de son cinéma audacieux.
Après Nanni Moretti, Agnès Varda, ou encore Jane Campion, c’est au tour de l’Américaine Kelly Reichardt de recevoir cette année le prestigieux Carrosse d’or de la Quinzaine des réalisateurs. Tous les ans, cette sélection parallèle du Festival de Cannes récompense un ou une cinéaste "qui a marqué l’histoire du cinéma contemporain, par son audace, son exigence et son intransigeance dans la mise en scène". Née en 1964, Kelly Reichardt coche toutes les cases. Reconnaissable par son rejet des codes hollywoodiens, la réalisatrice pose un regard nouveau sur les mythes et légendes qui façonnent les Etats-Unis. Ce qui lui a valu une rétrospective de son oeuvre au Centre Pompidou en octobre 2021.
Originaire de Miami – où son seul lien à la culture est un jeu de société prétextant la vente de tableaux aux enchères - elle choisit de s'installer à New York, à 23 ans. Elle s’initie là à la réalisation avec Hal Hartley et Todd Haynes. Après un bref retour dans sa terre natale pour le tournage de son tout premier long métrage, River of Grass, elle prend la direction de l’Oregon, qui devient son territoire de cinéma. Elle y tourne la quasi-totalité de ses huit films avec pour actrice fétiche Michelle Williams.
À l’affiche de Wendy et Lucy (2008) et de La Dernière piste (2010), l'actrice revient pour une quatrième collaboration avec Kelly Reichardt dans le film Showing Up, en compétition officielle du Festival de Cannes. Ce dernier long métrage met en scène une artiste à la veille d’un vernissage décisif. Retour sur cinq facettes de l'étonnant cinéma de Kelly Reichardt.
Figure du cinéma indépendant américain
1995, Kelly Reichardt se lance dans la création de son premier film, River of Grass. Sur son curriculum vitae, pas d’école de cinéma, aucun tournage réalisé par ses soins, pas même un court métrage. Elle débarque à Miami et tourne en dix-neuf jours, sans budget ni autorisation. Le film remporte le Prix du grand jury au festival de Sundance. Cette première expérience pose les jalons de son cinéma : autonome, à la fois dans les méthodes de production, le choix des sujets, mais aussi le rythme de sortie.
En vingt-sept ans de carrière, elle n’a réalisé que huit longs métrages. "J’aime me concentrer sur les personnages et sur l’histoire. Aller plus lentement, c’est mon rythme naturel", confie-t-elle dans un livre d’entretiens, Kelly Reichardt, l’Amérique traversée, édité à l’occasion de la rétrospective de son œuvre au Centre Pompidou en 2021. Kelly Reichartd est libre de son temps : elle est indépendante financièrement. Quand elle ne tourne pas, elle enseigne au Bard College à New York, au contact d’étudiants et d’enseignants qui sans cesse nourrissent sa réflexion autour du cinéma.
Un style minimaliste
Kelly Reichardt privilégie l’épure. Des paysages nus, d’importantes profondeurs de champ, une lumière naturelle… Cette manière de filmer s’adapte en réalité à son économie : des budgets et équipes resserrés pour des tournages courts. Sur le plateau de Wendy et Lucy, l’actrice Michelle Williams aide à ranger le matériel entre deux prises, et les membres de l’équipe technique font de la figuration. La cinéaste imagine les plans de tournage dès l’écriture du scénario. Plutôt que les aventures grandiloquentes, elle préfère les scènes du quotidien, toujours à la recherche du détail.
Dans La Dernière piste, un western racontant la laborieuse traversée de trois familles chrétiennes vers l’Ouest, la caméra s’attarde sur une femme en train de laver de la vaisselle dans l’eau d’une rivière. Pour Wendy et Lucy, elle filme une structure en fer rouge - où la chienne de Wendy est attachée puis disparaît - sur un parking. Un lieu minutieusement choisi. Pour le trouver, Kelly Reichardt a parcouru une vingtaine d’Etats américains. Elle a finalement tourné sur le parking de la supérette de quartier de son coréalisateur Jonathan Raymond.
Les invisibles au premier plan
Kelly Reichardt aime observer ceux que l’on ne voit pas. Avec First Cow (2021), elle plonge le spectateur dans des moments d’histoire inexplorés. Le film raconte l’amitié d’un cuisinier et un immigré chinois dans l’Oregon de 1820. Ensemble, ils confectionnent des gâteaux à partir d’un lait qu’ils volent de la première vache arrivée sur le territoire, appartenant à un potentat local. Kelly Reichardt filme aussi les femmes (Certain women, 2016) et les exclus de la gentrification (Old Joy, 2006).
Pour capter ces figures de l'invisible, son œil s’est d'abord aiguisé à travers la photographie. Les premiers clichés qu’elle observe sont ceux pris par son père, officier de police, sur les scènes de crime. Pour ses 12 ans, il lui offre un Pentax k1000 et lui donne ses restes de pellicule. "J’ai passé beaucoup de temps à prendre des photos sur Miami Beach", se souvient-elle dans un entretien recueilli dans Kelly Reichardt, l’Amérique traversée.
L'Oregon, son territoire de cinéma
"Pour certains films, ça commence avec le lieu même. Par exemple, nous avions très envie de tourner dans des parties du haut désert de l’Oregon que nous avions découvertes pendant les repérages de Wendy et Lucy", raconte Kelly Reichardt dans sa série d’entretiens. Alors, avec son coréalisateur, Jonathan Raymond, elle imagine le scénario de La Dernière piste sur les terres arides de son Etat coup de cœur.
Le film s’ouvre sur la traversée d’un homme et deux bœufs tirant une charrette de cow-boy au travers d’une rivière. En bande sonore, le bruissement de l’eau. À travers ces larges plans de paysage, le spectateur voit, entend, sent. Kelly Reichardt offre ainsi une représentation sensible et sensuelle de la nature et du lien entre l'homme et l'animal.
Les genres revisités
La cinéaste s’empare des grands genres du cinéma américain et s’amuse à les détourner. En s’appuyant sur les mythes et légendes du pays de l'Oncle Sam, elle propose une autre histoire de l’Amérique. À commencer par la conquête vers l’Ouest souvent présentée sous la forme du western : fini les cow-boys exaltés, dans La Dernière piste, elle montre des familles perdues, des êtres errants. Pas de désert ni de chevaux dans son second western, First Cow, mais les forêts verdoyantes de l'Orégon, et une vache.
Peut-être inspirée des histoires d'un père policier, elle revisite aussi le genre du polar. Elle dit de sa première réalisation, River of Grass, qui aborde la fuite d'une mère de famille et de sa malencontreuse rencontre : "c'est une aventure criminelle sans crime." Night Moves (2013), son cinquième long métrage, est lui aussi un thriller ... au ralenti. Trois jeunes écologistes sabordent un barrage hydroélectrique, avant de s’enfuir dans la nature. Les personnages sont vidés de tout héroïsme : mutiques, presque en sous-régime. Et le jeu d'acteur le plus épuré possible, comme le cinéma de Kelly Reichardt.
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