Festival de Cannes : le Japonais Hirokazu Kore-eda pour la huitième fois sur la Croisette avec "Broker"
Hirokazu Kore-eda, cinéaste japonais et lauréat de la Palme d’or 2018, revient au Festival de Cannes, en compétition officielle, avec son dernier film "Broker". Le long métrage se penche une nouvelle fois sur la famille à travers le prisme des baby boxes de Corée du Sud, des boites où abandonner son enfant anonymement.
Une nouvelle fois sélectionné au Festival de Cannes, Hirokazu Kore-eda y présente Broker, deuxième film de sa carrière tourné en dehors du Japon. L’histoire se déroule en Corée du Sud, où les baby boxes - des boites destinées à recueillir les bébés abandonnés anonymement - se développent depuis que les lois sur l'adoption se sont durcies. Le thème de la filiation est le sujet de prédilection du réalisateur.
Né à Tokyo en 1962, Hirokazu Kore-eda a grandi auprès d’une mère cinéphile qui lui fait découvrir les grandes comédiennes de sa jeunesse : Ingrid Bergman, Joan Fontaine ou encore Vivien Leigh. Il continue son initiation au cours de ses années d’études : au lieu d’aller à l’université à laquelle il est inscrit, il passe son temps dans les salles obscures. Il y visionne les œuvres de Rossellini, Cassavetes ou Truffaut. Mais c’est grâce à Fellini qu’il découvre sa vocation de cinéaste.
Sa carrière commence à la télévision avec la réalisation de documentaires. Il développe une manière de filmer proche du reportage qu’il appliquera à son cinéma. Son tout premier film, Maborosi, met en scène la vie d’une jeune femme marquée par la disparition de ses proches. Il reçoit le Prix Osella à la 52e Mostra de Venise, en 1995. Ses longs métrages seront par la suite plébiscités par des festivals du monde entier, dont celui de Cannes. Le festival déroule le tapis rouge à Hirokazu Kore-eda, le cinéaste de la famille et de ses fêlures.
Habitué du Festival de Cannes
Hirokazu Kore-eda fait partie des habitués du Festival de Cannes. Sur l’ensemble de sa carrière, il cumule huit sélections en compétition et dans la section un Certain regard. En 2018, le cinéaste obtient la Palme d’Or pour son long métrage Une Affaire de famille. Le film raconte la vie d’une famille japonaise miséreuse qui décide d’adopter une fillette maltraitée par ses parents. Malgré leur pauvreté, la maisonnée semble être heureuse, jusqu’à ce qu’un événement révèle des secrets peu reluisants.
Le cinéaste filme la complexité des liens, du sang ou non, qui unissent les membres d’une même famille. En s’inspirant d’un fait divers - l’histoire d’une fratrie de chapardeurs japonais qui revendait des objets volés pour vivre - il dénonce la société japonaise, et ses laissés-pour-compte. La caméra de Kondo Ruyto, directeur de la photo, réussit à capter dans des espaces confinés plusieurs valeurs de plans qui se superposent, une accumulation de détails, comme lors des dîners. La scénographie a tapé dans l'oeil du jury cette année-là : "Il y a de la grâce dans ce film, dans la mise en scène", justifiait Denis Villeneuve.
Documentariste dans l'âme
La démarche documentaire irrigue le cinéma de Hirokazu Kore-eda. Et pour cause, le réalisateur a commencé sa carrière en tant que reporter pour la société de production TV Man Union. Sur le terrain, il récolte lui-même ses témoignages. De retour en studio, il fait ses montages en solitaire. Hirokazu Kore-eda a sorti plusieurs documentaires comme Without memory (1994) sur un père de famille qui, après une opération bâclée, perd la mémoire immédiate. Le cinéaste creuse le sujet du souvenir avec son long métrage fantastique, After Life.
Dans ce film, vingt quatre morts défilent devant "le bureau des limbes" où chacun doit choisir un souvenir qui fera l’objet d’un film à emporter avec lui pour l’éternité. Pour ce faire, le réalisateur a enregistré les souvenirs de femmes et d'hommes ordinaires, à la manière d'un journaliste. Au total, il a récolté 500 interviews, dont certaines ont été utilisées dans le film, parfois même jouées par ceux qui les avaient racontées. Il montre les acteurs en plan séquence, assis à une table face à des "immortels".
Fin observateur de la famille
Décortiquer subtilement les liens familiaux et leurs carences est la spécialité de Hirokazu Kore-eda. Il puise son inspiration dans sa propre histoire. Durant son enfance, son père est addict aux jeux d'argent et peine à trouver un travail stable. Les jours de paye, il disparaît avec son salaire quelque temps, laissant sa famille dans la crainte d’un départ définitif. Sa mère assume toutes les responsabilités. Hirokazu Kore-eda n’a qu’une peur : qu’elle les abandonne à son tour. Il porte cette angoisse à l’écran dans Nobody knows, une fratrie livrée à elle-même.
Au-delà de la défaillance des parents, Hirokazu Kore-eda s’intéresse à la filiation : appartenir à une même famille signifie-t-il toujours être du même sang ? Le cinéaste, lui aussi papa, interroge le rapport entre lien biologique et affectif à travers plusieurs films dont Tel père, tel fils. Le long métrage met en scène la découverte d’un échange de bébé à la naissance des années plus tard. Le réalisateur traite aussi de la vie après la perte d’un proche dans Still walking : l’histoire d’une famille qui commémore chaque année la mort d’un fils en présence du responsable. Une œuvre qui a permis au réalisateur de faire le deuil de sa propre mère.
Cinéaste de l’enfance
Personne ne filme l’enfance comme Hirokazu Kore-eda. Sur le tournage de Nobody knows, le cinéaste joue avec les enfants avant de sortir du cadre et continuer à les filmer. Il réalise des gros plans sur les visages - leurs expressions - mais aussi les mains, notamment lorsque les enfants dessinent sur des pots de nouilles instantanées. Sa caméra capture des scènes du quotidien le plus spontanément possible, en laissant place à l'imprévu.
Comme les cinéastes de la Nouvelle vague française, il ne craint pas l’accident de tournage, au contraire. Hirokazu Kore-eda privilégie l'improvisation. Pour le film Une affaire de famille, les enfants arrivent sur le plateau sans texte, Hirokazu Kore-eda leur souffle les répliques à l'oreille. Jamais ils ne doivent préparer une scène. Lorsqu'il y a un scénario, le réalisateur passe son temps à le réécrire pour y insérer les idées et propositions des jeunes. Une souplesse, une immédiateté qui fait l'authenticité de son cinéma.
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