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"Le Festival de Cannes, c'est l'élégance à la française" pour le couturier Julien Fournié, un habitué des tapis rouges

Les maisons sont habituellement d'une discrétion absolue sur les actrices qu'elles habillent. Pour cette 75e édition, le couturier Julien Fournié dévoile les noms des comédiennes et les robes de sa collection haute couture printemps-été 2022 qui montent les marches du tapis rouge du Festival de Cannes. Rencontre et révélations en exclusivité.

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
L'actrice Frédérique Bel en robe jaune Julien Fournié à la 71e édition du Festival de Cannes, le 10 mai 2018, à Cannes en France (GISELA SCHOBER / GERMAN SELECT)

Lauréat des Grands Prix de la Création de la Ville de Paris en 2010, Julien Fournié a lancé sa marque en 2009. Il défile dans le calendrier officiel de la Fédération de la haute couture et de la mode, en tant que membre invité depuis 2011, et sous le label haute couture depuis 2017.

Rencontré dans son atelier parisien, à moins de quinze jours de l'événement, cet habitué des tapis rouges et du Festival de Cannes dévoile le nom des deux actrices qu'il habille pour cette 75e édition. Des révélations rares puisque les maisons gardent jalousement cette information jusqu'au moment de la montée des marches. Une rencontre sans langue de bois et riche d'anecdotes.

Franceinfo culture : quelle collection est destinée au Festival de Cannes ? 

Julien Fournié : On ne crée pas pour Cannes. Ma maison fait deux collections de haute couture par an - présentées dans le cadre du calendrier de la Fédération de la haute couture et de la mode - qui s'inscrivent dans l'univers que je propose de saison en saison. Ce qui n'empêche pas que pour certaines personnalités, on peut aller chercher dans nos archives des modèles en adéquation avec leur recherche, leur morphologie ou leur souhait colorimétrique - elles n'ont pas toutes envies d'être habillées en super coloré, comme c'est le cas de ma dernière collection très colorfull et powerfull (ndlr : couture printemps-été 2022). Ainsi, de temps en temps, on peut ressortir une robe hollywoodienne réalisée il y a quatre ou cinq saisons car des clientes veulent s'inscrire dans mon univers et ont vraiment envie de porter une de mes robes. 

Mais dès lors qu'un modèle a été vendu, on ne le ressort pas. Jamais ! On a un contrat moral avec nos clientes. Les modèles vendus ne ressortent plus en presse, sauf en cas d'énorme demande d'une star internationale, d'une comédienne engagée dans l'intelligentia - on parlerait d'une Nicole Kidman, d'une Audrey Fleurot. Si jamais elles voulaient un modèle, déjà vendu, alors nous contactons la cliente pour lui demander la permission de le faire... c'est elle qui va donner son feu vert ou pas. 

Le choix du créateur peut être déterminant pour une actrice ? 

C'est à elle de décider si elle veut s'inscrire dans une histoire ou être tendance. Celles qui viennent chez nous veulent y être à long terme. Elles veulent s'inscrire, créer une légende, raconter comme une Audrey Hepburn avec un Hubert de Givenchy, une Jeanne Moreau avec Pierre Cardin. A côté, il y a ces jeunes qui veulent être tendance : en portant une robe couture elles vont vouloir taguer Dior, Chanel... mais ce choix ne sera pas en adéquation avec ce qu'elles sont. 

Qu'est-ce que je revendique en portant du Julien Fournié ? 

Que je suis une femme émancipée, que j'assume mes formes... on sait très bien que j'aime mettre les seins, les hanches en avant. Elles savent qu'elles vont porter un vêtement qui est toujours un peu contraignant : mon style c'est d'être près du corps, c'est l'élongation des corps vers le haut. Elles seront dans le redressement d'elle-même et pas dans un style nonchalant ! Lors de la montée des marches, elles viennent chercher quelque chose qui va souligner cet instant et qui sera en adéquation avec leur imaginaire du moment.

Est-ce que vous refusez d'habiller certaines personnalités ? 

Oui, on a déjà refusé car certaines jeunes femmes ne correspondaient pas à l'image que la maison Julien Fournié souhaitait véhiculer. C'est toujours moi qui décide qui on habille ou pas !

Qui habillez-vous à Cannes ? 

En ce moment, on travaille avec Vanille Lehmannune jeune fille qui va être dans le premier court-métrage de Deborah François (ndlr : pour la promotion talents Adami cinéma 2022). C'est la première fois qu'elle va monter les marches. Cette très belle fille a peur du fashion faux pas, donc elle s'est concentrée sur une robe noire bustier très simple.

Fourreau en georgette de soie, hommage à Minnie, de la collection First Love Julien Fournié haute couture printemps-été 2022 que portera l’actrice Vanille Lehmann au Festival de Cannes en mai 2022 (Delphine Royer)

A côté, une jeune femme comme Deborah François - qui elle aussi va monter les marches avec ses comédiennes le 23 mai - a déjà porté plein de fois Julien Fournié. Elle sait que les photos de la montée des marches sont très importantes car elles vont rester sur les médias, elles sont persistantes sur le net. Du coup, elle va bien réfléchir à montrer différentes facettes de son personnage, circonscrit à son univers : c'est une jeune femme très élégante qui aime la couture et les grandes robes, elle l'a montré plein de fois à Cannes. Cette saison, elle assume l'utra colorisation et va prendre l'immense jupe en faille de soie bayadère avec bustier cage de rubans élastiques. Elle m'a dit "je veux absolument ça car c'est de l'innovation. Mais cela reste tes codes, toujours très près du corps".

Robe à bustier cage de rubans élastiques et à effet parachute en soie à motif de rayure bayadère de la collection First Love Julien Fournié haute couture printemps-été 2022 que portera  Déborah François sur le tapis rouge du Festival de Cannes en mai 2022 (Delphine Royer)

Quelles sont leurs envies ? 

Les comédiennes me disent : attention, à Cannes il fait chaud, on est assise pendant des heures à regarder des films. Les "traînasses", elles n'en peuvent plus, elles ont en marre qu'on leur marche dessus. Il faut des robes forme parachute qui peuvent s'envoler rapidement et peuvent les laisser se mouvoir, des matières qui ne se froissent pas car elles restent longtemps assises. Si je regarde sur les dix dernières années, même si les clientes adorent les grandes robes avec des traînes, lors du dernier essayage, on coupe, on coupe, on coupe. Elles veulent pouvoir bouger. Elles sont de moins en moins sur les meringues géantes, elles laissent cela à des influenceuses qui n'ont pas une vie de business à assurer. A Cannes, tu es obligé de faire ton lobbying, d'aller voir les réalisateurs, les casting directors (ndlr : directeurs de casting)... Elles me disent que cela enlève de la proximité ces grandes robes. C'est comme si elles étaient cristallisées ! 

Il peut aussi y avoir un échange avec le couturier sur l'ensemble d'une garde-robe. Elles n'ont pas que des besoins pour la montée des marches. Il y a aussi un certain nombre de représentations dans la journée, comme les interviews et les dîners par exemple.

Comment s'est passée la rencontre avec Deborah François et Vanille Lehmann ? 

C'est un travail qui s'est fait sur le long terme. Au début, il y a eu l'intervention de stylistes comme Gayanée Pierre. C'est la meilleure styliste pour les comédiennes françaises : elle a habillé Marilou Berry, les Coquettes, Deborah François... Elle est capable d'habiller n'importe quel corps et d'écouter vraiment leur besoin de représentation. On commence à travailler deux à trois mois avant l'événement. Pour le Festival, Gayanée Pierre a réfléchi au besoin de ses clientes avant de nous contacter. Elle privilégie les relations en amont à Paris plutôt que de se retrouver à courir à droite et à gauche à Cannes. Elle y est allée très souvent et connait le rythme effréné. Les comédiennes veulent de moins en moins ça, cela ne les rassurent pas, et surtout elles ne veulent pas de ces looks choisis dans l'urgence et pas toujours à bon escient.

Même si maintenant Deborah vient me voir seule, je fais des photos que j'envoie à Gayanée et ce sont elles deux qui auront le dernier mot sur le choix du vestiaire. Pour Vanille Lehmannc'est le bouche-à-oreille. Cooptée par Deborah François, elles sont venues à l'atelier et on a choisi ensemble. Je prépare tout, même les valises avec les robes de ma collection rangées dans du papier de soie. C'est clef en main. 

Quel est l'enjeu du tapis rouge ?

Pour une comédienne c'est un gros enjeu, car c'est une image médiatique qui va faire le tour du monde, surtout dans le cas du tapis rouge de Cannes. C'est important car cela marque la carrière : ce sont des images qui restent et qui remontent sur le net car elles ont été tellement cliquées. Finalement le clic, c'est le buzz ! Un réalisateur qui cherche des images de comédiennes sur le net va souvent trouver celles des Red Carpet.

Après ces prêts, deviennent-elles des clientes ? 

Les comédiennes achètent de temps en temps mais pas des robes qui coûtent un bras car elles doivent changer tout le temps de modèles. En revanche des artistes comme Marina Viotti, la plus grande mezzo suisso-française, a par exemple eu besoin de robes et d'accessoires à porter lors de récitals.

Quels sont les codes fashion du Festival de Cannes ?

Il y a un grand truc qu'il ne faut pas faire, c'est s'habiller en rouge sur un Red Carpet rouge : car là tu n'existes plus ! Je porte une traîne ou une grande robe, si je sais me mouvoir avec ! Je veux bien que le corps soit libre et qu'il faut le libérer mais un peu plus de tissu, cela peut être pas mal sur certaines robes. 

Cannes, est-ce obligatoirement l'effet "waouh" ?

Non. J'ai habillé certaines comédiennes d'une façon incroyablement élégante et glamour mais avec sobriété. Cette année il y en a qui se sente un peu moins bien dans leurs baskets, surtout après le Covid-19, et qui sont un peu dans un repli, dans la discrétion. Elles optent finalement pour un joli tailleur, une robe plus simple, en se disant qu'avec la guerre en Ukraine ce n'est pas le moment d'arriver en jouant les reines du monde ? Cela ne les met pas très à l'aise. 

Tenues courtes ou longues ?

Tout dépend du corps. Le couturier est garant pour cacher les imperfections et montrer les meilleures choses. Mais il n'y a plus de dogme, chacun vient se raconter comme il le souhaite. Mais attention, on n'est pas déguisé comme au MET Gala, Cannes, c'est l'élégance à la française !

Que pensez-vous des partis stylistiques hors normes ?

Le plus souvent, c'est pour des grands coups. Ainsi la comédienne espagnole Victoria Abril était habillée d'une simple veste de costume et d'une culotte pour son rôle dans Kika de Pedro Almodovar. Cela se justifiait, le couturier signait les costumes du film ! C'était fort mais il y avait une justification, aujourd'hui ce n'est pas toujours le cas. 

Cannes ouvre des portes ?

Pour les couturiers cela fait de très jolies images que l'on peut ventiler sur les réseaux sociaux. Oui, cela apporte de la visibilité, évidemment cela crée du buzz. Tout de suite on voit sur les réseaux sociaux que tout le monde va sur le site et on assiste à des ventes d'accessoires exponentielles. Cela fonctionne dès lors que tu as des petits produits... tout le monde peut s'offrir une petite part du rêve. Au départ, cela ne me plaisait pas du tout de m'occuper de cela mais maintenant que j'ai "ma team" de comédiennes, quand je dessine ma collectio je sais quelle robe va aller à qui ! Sur 100% d'une collection, j'ai 5 ou 6 modèles qui sont des robes Red Carpet. 

Comment chiffrer les retombées de Cannes ?

C'est compliqué ! On peut voir le nombre de like sur Instagram, par exemple. Mais il y a aussi la confiance qui se crée. Quand Laure Kalamy a reçu, en 2021, le César de la meilleure actrice, elle portait du Julien Fournié. On avait commencé à l'habiller la saison d'avant, une connaissance mutuelle s'était faite. 

2022 est-elle une année particulière en raison du contexte actuel ?

Plus de Canal+, plus de gros sponsors.... cette édition sera peut-être l'ouverture à une autre façon de réfléchir mais on sait très bien que l'image de Cannes est très mercantile.

Des anecdotes ? 

Oui. L'actrice Frédérique Bel m'a fait un très beau cadeau : l'année ou je suis rentré dans le calendrier haute couture, elle a monté les marches de Cannes dans une robe jaune portée avec un petit chapeau rouge. Elle a fait toutes les covers (ndlr : couvertures) de tous les quotidiens avec ce modèle et, désormais, il y a une très belle photo de deux mètres sur deux mètres à l'entrée du Palais des Festivals. Et j'ai donc toujours une robe à la montée des marches ! 

L'actrice Frédérique Bel en robe jaune Julien Fournié à la 71e édition du Festival de Cannes, le 10 mai 2018, à Cannes en France (GISELA SCHOBER / GERMAN SELECT)

Quand la chanteuse et actrice chinoise Li Yuchun, dite Chris Lee, a porté une robe noire immense en vinyle avec un grand décolleté en V, ce n'est pas compliqué dès qu'elle a mis la photo de mon modèle sur ses réseaux sociaux, en un quart d'heure j'ai eu 14 000 followers de plus. Oui, cela a un impact sur la maison !

Li Yuchun (Chris Lee) en robe noire Julien Fournié à la 69e édition du Festival de Cannes, le 14 mai 2016 à Cannes, en France (STEPHANE CARDINALE - CORBIS / CORBIS ENTERTAINMENT)

Derniers conseils ?

Le plus compliqué à Cannes, c'est d'être soi-même, de capter l'attention sans en faire trop. Donc, Mesdames, choisissez la bonne robe en adéquation avec votre corps. N'oubliez pas que trop de coiffure tue la coiffure, trop de maquillage tue le maquillage et trop de parure tue le bijou. Tout est une histoire d'équilibre ! 

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