En compétition au Festival d’Annecy, "Rock Bottom" de Maria Trénor rend hommage au musicien Robert Wyatt avec un film d’animation luxuriant
L'animation a cela d’exceptionnel qu’elle offre un permis illimité à l’imagination pour se déployer. La réalisatrice espagnole Maria Trénor s’en empare avec une créativité luxuriante pour son premier long-métrage d’animation, Rock Bottom, une merveille librement inspirée de la vie tumultueuse du musicien britannique culte Robert Wyatt.
Projeté en avant-première mondiale mercredi 12 juin au Festival international du film d'animation d’Annecy, où il est en compétition, Rock Bottom reprend le titre de l’album considéré comme le chef d’œuvre du génial musicien illuminé sorti en 1974 et produit par Nick Mason de Pink Floyd. Un disque qui fête ses 50 ans en ce mois de juin et dont on ne pouvait rêver plus belle célébration.
Pour rappel, Robert Wyatt, âgé aujourd’hui de 79 ans, fut durant quatre ans le batteur et le chanteur de Soft Machine, un groupe fusionnant rock psychédélique et jazz, qu’il quitta en 1971. Son destin prend un tournant tragique le 1er juin 1973 : lors d’une soirée londonienne, où drogues et alcool coulent à flots, il chute de quatre étages depuis la fenêtre d’une salle de bains. Les jambes en miettes, il est miraculé mais devient paraplégique.
Pourtant, il a toujours vu dans ce drame le début de sa maturité et l’occasion de s’exprimer de façon encore plus juste au travers de sa musique. Troquant la batterie pour les claviers, il finalise durant sa convalescence ce qui deviendra le vertigineux Rock Bottom, un album étrange aux mélodies poignantes.
Deux artistes amoureux sous le soleil de Majorque
Maria Trénor, qui a rencontré Robert Wyatt il y a quelques années et a obtenu son accord pour réaliser cette odyssée musicale, raconte surtout une histoire d’amour entre deux artistes. Celle, intense et un temps auto-destructrice, de Bob et Alif, inspirée de celle du musicien avec Alfreda Benge. Cette artiste, devenue son épouse en 1974, a illustré depuis toutes ses pochettes d’albums tout en faisant office de manageuse et de parolière à l’occasion, et travailla pour le cinéma avec Nicolas Roeg. Dans la version de Maria Trénor, elle est plasticienne et réalisatrice de films expérimentaux.
Rock Bottom n’est pas un biopic de Robert Wyatt, insiste son autrice. Le film "tente de capturer l’essence de son expérience artistique et personnelle, en traduisant en images et en récit les hauts et les bas émotionnels de sa vie", explique la scénariste et réalisatrice. Elle nous téléporte au début des années 70, en pleine période hippie, et nous balade des rues mal famées de New York (au lieu de Londres dans la réalité) à Majorque, où Bob, comme Wyatt, passait avant son accident le plus clair de son temps avec son amoureuse.
Alif et Bob vivent d’abord un bonheur sans nuage sur cette île des Baléares paradisiaque, leur créativité à son summum, elle sur ses films expérimentaux et lui sur ses compositions fêlées et novatrices, plongeant de nuit dans des criques magiques où ils dansent leur amour dans de sensuels ballets subaquatiques. Une époque d’insouciance et de créativité foisonnante, où la jeunesse vit sa révolution sexuelle à moitié nue et découvre les drogues, du cannabis à l’héroïne et au LSD.
La réalisatrice excelle à rendre les fêtes exubérantes et les états de conscience altérés avec une profusion inouïe de couleurs et d'effets psychédéliques enchanteurs. Le récit fait se chevaucher les époques et les évènements, entremêle habilement le rêve et la réalité, et la bande originale du film synchronise avec tact les six chansons originales de l’album Rock Bottom ainsi que d’autres compositions de Robert Wyatt.
Prouesses visuelles
Maria Trénor varie aussi régulièrement les styles, passant de l’animation à partir de véritables acteurs aux aquarelles artisanales et aux films surréalistes en noir et blanc (ceux que réalise Alif). Ces prouesses visuelles compensent les lenteurs du scénario, qui prend son temps pour exprimer les affres de la création, de la toxicomanie et de la passion, puis de la routine tue-l’amour.
Car l’abus de drogues, qui provoque des hallucinations rendues elles aussi avec une acuité extraordinaire dans le film – les hérissons parlent et les ours dansent -, vient bientôt assombrir les rapports du couple. L’automne venu, accros à l’héroïne et sans le sou, ils perdent chacun leur inspiration et se déchirent. Jusqu’à la rupture et au retour à New York, seul, de Bob, resté pourtant éperdument amoureux, et à cet accident qui aurait pu être fatal. "Je me fiche de ce qui m’est arrivé. Du moment que tu es avec moi", dira Bob à Alif, accourue à son chevet. Sur cette base romantique d’amour fusionnel et de résilience par la musique, Maria Trénor signe un film sensible d’une grande beauté.
La fiche
Genre : Film d’animation musical
Réalisatrice : Maria Trénor
Pays : Espagne, Pologne
Durée : 1h26
Sortie : prochainement
Synopsis : À travers la musique de Robert Wyatt, cette comédie musicale animée vous plonge dans l'histoire d'amour passionnée de Bob et Alif, deux jeunes artistes immergés dans le tourbillon créatif de la culture hippie du début des années 1970.
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