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"J'aime les films imprévisibles" : rencontre avec le réalisateur Fatih Akin pour la sortie de "Rheingold"

Le réalisateur Fatih Akin, connu pour sa double culture allemande et turque, se penche pour son 13e long-métrage sur la vie mouvementée d'un ancien réfugié kurde devenu une star du rap allemand. Pourquoi ? Comment ? Il a répondu à Franceinfo Culture.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6 min
L'acteur Emilio Sakraya (qui incarne Xatar), le réalisateur Fatih Akin et le vrai Giwar Hajabi alias la star du rap allemand Xatar, le 22 octobre 2022 au festival de Cologne (Allemagne). (MALTE OSSOWSKI/SVEN SIMON / SVENSIMON)

Connu pour son énergie rock et son tropisme pour la thématique du déracinement, le cinéaste allemand d'origine turque Fatih Akin est de retour avec Rheingold. Il s'agit du biopic de Giwar, un ancien réfugié kurde passé par le grand banditisme et la prison, devenu une star du rap allemand sous le nom de Xatar. Pour raconter cette incroyable histoire vraie, ce parcours hors norme riche en rebondissements, le réalisateur et scénariste (Head-On, Soul Kitchen, The Cut, In The Fade) s'amuse à emprunter à tous les genres, passant du film de série B des années 70 au drame sociopolitique et au film de gangsters. Lors de notre rencontre mi-juin à Paris, souriant et détendu mais toujours précis dans ses réponses, il nous a offert un éclairage sans langue de bois sur son 13e long-métrage.


Quel a été le plus gros challenge en réalisant Rheingold ?

Fatih Akin : Le plus gros challenge a été de le réaliser, en fait. Le financement n’a pas été simple, et ça a été un tournage très difficile. Nous l’avons filmé durant le Covid, en plein confinement. Or le film se déroule dans plein d’endroits différents. Nous avons tourné dans 130 lieux au total. Et avec une énorme équipe, parce que c’est un film historique, d’une certaine façon. Or, nous n’avons pas pu faire de repérages ni de répétitions et nous sommes arrivés masqués sur le tournage. J’ai alors réalisé que beaucoup de choses ne fonctionnaient pas telles que je les avais écrites – je n’avais d’ailleurs même pas totalement bouclé l’écriture du scénario lorsque nous avons commencé à filmer. Résultat, c’était la pagaille. Je n’ai même pas filmé les scènes dans l’ordre chronologique – ce que je fais habituellement. Et mon père est mort pendant le tournage. Ce n’est que lorsque le film a été entièrement terminé, quelques jours avant sa sortie en Allemagne (en octobre 2022 NDLR) que j’ai compris en le visionnant que finalement ça fonctionnait.

"Rheingold" navigue entre différents genres, du drame à la comédie et au film de gangsters. Pour quelle raison ?
La vie elle-même est une expérience éclectique. Un jour ma vie est une comédie, le lendemain une tragédie. Mon père est mort pendant le tournage et le jour suivant je riais sur le plateau. Ce qui m’a donné envie de faire ce film c’est exactement ça. Ce type a eu une vie incroyable, une vie de dingue qui part dans tous les sens. Je me suis dit que si j’arrivais à capturer un peu de cette folie, ça donnerait un bon film, éclectique. J’aime certains films coréens parce qu’ils peuvent démarrer d’une certaine façon et se terminer tout autrement. Prenez Parasite : ça commence comme une comédie et ça se termine en massacre, en film d’horreur. J’aime que ce soit imprévisible et qu’on ne puisse pas ranger le film dans une case. J’aime le fait de mixer les films de série B des seventies avec les films d’arts martiaux, et les comédies avec une façon de filmer à la Dogme95 – comme pour la scène où la mère lui rend visite en prison. J’ai adoré mélanger tout ça même si c’était difficile. 

Avec cette histoire, j’aurais pu faire un film façon documentaire à la Gomorra de Matteo Garrone, qui est un grand film que j’adore. Mais j’ai choisi une autre approche, plus glamour.

Fatih Akin

à Franceinfo Culture

Dans le film "Rheingold", Giwar (joué par Emilio Sakara) apprend à se battre, et une fois bien entraîné se venge de ses harceleurs. Il y  gagne le surnom de Xatar (le "dangereux" en kurde). (BOMBERO INT / WARNER BROS / GORDON TIMPEN)

Etant donné qu’il raconte l’histoire d’un immigrant essayant de survivre dans la rue et de se faire une place dans le monde, peut-on aussi parler de film politique ?
Oui, si vous voulez. Mais si vous me demandez si je poursuis un but politique avec mes films, ce n’est pas le cas. Je vis juste au sein d'une société et j'essaye de comprendre ce qu'il se passe autour de moi. Je me contente d’observer. Plutôt que politique, je dirais que ce film est résolument ironique. Sinon je ne l’aurais pas appelé L’or du Rhin. En Allemagne, il y a beaucoup d’ironie lorsqu’on parle de cet opéra de Wagner, qui était un musicien raciste et antisémite aimé par Hitler. Que j’aie pu faire un film intitulé L’or du Rhin avec tous ces Sémites du Moyen-Orient, Arabes, Kurdes, Iraniens, qui ne font pas partie de la culture allemande, et qui en plus volent l’or comme les personnages de cet opéra, c’est très ironique. 

En Allemagne, le film fait un peu grincer des dents … comment avons-nous osé nous emparer de "leur" Wagner, de ce fleuron de la culture allemande ?

Fatih Akin

à Franceinfo Culture

 

L’histoire de Giwar devenu Xatar est si riche qu’elle pourrait faire une bonne série télévisée. Cela ne vous tente pas ?
Non, ça ne m’intéresse pas. J’aime trop le cinéma. Et je suis si reconnaissant que le film ait eu un tel succès en Allemagne ! C’est un véritable blockbuster. Personne ne s’y attendait. Surtout pas moi. Beaucoup de jeunes l’ont vu, ce qui prouve que le cinéma n’est pas mort. Lorsque j’ai demandé à des jeunes de 16 ans s’ils n’avaient pas trouvé le film un peu confus, ils m’ont répondu : "pas du tout, on l’aime parce que c’est différent de ce qu’on voit d’habitude."

L'acteur Emilio Sakraya est le rappeur allemand d'origine kurde Xatar dans le biopic "Rheingold" de Fatih Akin. (BOMBERO INT / WARNER BROS ENT / GORDON TIMPEN)


A part la mère de Giwar, qui tient un rôle fort, il n’y a pas beaucoup de femmes dans ce film, qu’on pourrait qualifier de macho.
Le peu de visibilité des femmes je peux l’entendre. C’est une question. Ce n’est pas que Giwar soit misogyne mais un peu quand même. Je voulais parler davantage de son épouse, dont on ne sait pas grand-chose, c’est vrai. Parce que Giwar est issu du monde islamique, un monde très patriarcal, je n’ai pas eu l’accès que j’aurais voulu à sa femme. J’aurais aimé discuter avec elle, y compris de sexualité, pour savoir quel genre d’amant est Giwar. Parce que la sexualité et une bonne façon de connaître les personnes. Mais c’était impossible. Chaque fois que j’échangeais trois mots avec elle, il était autour. Je ne pouvais pas non plus lui dire : Hey, pourrais-tu nous laisser discuter tous les deux une heure ou deux ?. Dans ce monde il faut respecter certains codes et j’ai dû l’accepter. Mais j’ai plutôt des raisons de m’en féliciter aujourd’hui. Parce que beaucoup de familles musulmanes, parents et enfants, sont allées voir le film au cinéma en Allemagne, comme j'ai pu le constater en tournée. Ils n’auraient pas pu supporter des scènes de sexe. Hollywood est déjà trop dénudé pour eux. C’est donc devenu un point positif pour mon film. Je l’ai aussi montré au Moyen Orient, où il a également eu beaucoup de succès.

C’est un film à voir en famille. Comme un Disney, où on ne verra jamais le bout d’un sein. J’ai donc fait un film Disney arabe…sans le faire exprès. L’expérience était intéressante. (sourire)

Fatih Akin

Franceinfo Culture

La musique est très importante dans "Rheingold", comme dans beaucoup de vos films. Quelle place tient la musique dans votre vie ?
Je fais tout en musique. J’écoute de la musique tout le temps. Je collectionne les disques et la musique est ma vie. Je ne suis pas musicien mais j’ai appris à jouer d’instruments pour mieux la comprendre. Pour mes films, je suis très précis concernant la musique, je sais ce que je veux et où placer les séquences sonores et les breaks. Je pense que je suis une sorte de musicien mais ma façon de jouer des instruments, c’est de faire des films.

Pouvez-vous me citer quelques-uns de vos musiciens préférés ?
J’en écoute tellement, c’est difficile de choisir. Mais je peux vous dire que j’adore la musique de Prince. Je peux l’écouter tout le temps. Je pourrais écrire une thèse sur Prince. Il est très inspirant, y compris lorsque je réalise mes films.

"Rheingold" de Fatih Akin au cinéma le 28 juin

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