"Je serais heureux que les a priori changent sur Barbès" : Hassan Guerrar présente son premier film "Barbès, little Algérie" à Angoulême

Portée par Sofiane Zermani, la fiction évoque la binationalité, fait l'éloge de la solidarité dans un quartier et interroge sur le sort des sans-papiers. Entretien avec Hassan Guerrar sur ses débuts derrière la caméra.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 9 min
Le cinéaste Hassan Guerrar le 31 août à Angoulême, pendant le Festival du film francophone où son premier long métrage, "Barbès, little Algérie", est en compétition. (AHMED AIT ISSAD)

Attaché de presse cinéma, c'est avec sa nouvelle casquette de réalisateur qu'Hassan Guerrar a débarqué au Festival d'Angoulême (27 août-1er septembre 2024). Son premier film Barbès, little Algérie, l'un des dix films en lice pour le Valois de diamant, raconte l'histoire de Malek qui renoue avec ses racines algériennes à Barbès où il vient d'emménager.  

Franceinfo Culture : Qu’est-ce qui a provoqué cette envie de faire du cinéma ?
Hassan Guerrar : Je ne sais pas si j’éprouvais vraiment une envie mais je me suis pris au jeu. J’ai décidé de faire ce film pendant le Covid. Audrey Diwan [réalisatrice et scénariste] m’a poussé à écrire avec elle. Nous avons fait une première version et on a eu le soutien de la région Ile-de-France. Et c'est comme ça que l'aventure a commencé. 

Vous faites un zoom sur les Algériens d'un célèbre quartier multiculturel du XVIIIe arrondissement de Paris où l'on retrouve aussi des Indiens ou des ressortissants de plusieurs pays africains. Pourquoi une fiction sur Barbès ?

Parce que je prends la première partie de Barbès. Je ne vais pas plus haut. C’est à la fois le quartier le plus connu et le plus méconnu de la capitale. On en a une fausse image. Il fait l'objet de nombreux a priori. Je serais heureux qu’ils changent : je vous annonce que je deviens Mohamed Poulain de Barbès (large sourire). Dans ce film, je voulais démontrer que ces gens, qui sont en galère, ont tout de même une joie de vivre, cette solidarité que j’ai connue. Quand je parle de bénévolat dans le film, c'est un chemin que j’ai fait pendant le premier confinement [lié au Covid et qui a démarré le 18 mars 2020]. La pandémie nous a fait perdre nos repères mais elle nous a permis d'en trouver d'autres.

"Barbès, little Algérie" démarre dans une espèce de légèreté et se fait de plus en plus grave sur une multitude de sujets...
J’y vais avec beaucoup de légèreté mais il y a une question qui est posée dans ce film. Comment ces sans-papiers, qui ont des mains en or, qui débarquent en Europe et trouvent la liberté, ne peuvent-ils pas travailler ? Du moins autrement que dans des marchés, des cafés, ou bien dealer ou encore voler… On les renvoie ensuite chez eux et ils reviennent trois mois après. Qu’est-ce qu’on fait ? C’est une question que je pose. C'est important et il y a encore plus important, à savoir cette histoire de bénévolat. C'est quelque chose que je fais. Les femmes qui jouent dans le film sont mes binômes dans la vraie vie. J’espère que les spectateurs le remarqueront : on a collé un QR Code sur le générique du long métrage. Le film permettra de récupérer un peu d’argent pour pouvoir continuer les distributions alimentaires.

Vous parlez de cette mauvaise image mais pour l'évoquer, vous en prenez le contrepied parce qu'on entre à Barbès avec ce jeune entrepreneur franco-algérien qu'est Malek...
Je voulais d'abord rendre hommage aux binationaux. Malek, joué par Sofiane (Zermani) qui est d'une puissance rare, décide d'aller dans une boucherie. Il y rencontre par hasard une personne qui connaît sa famille avec laquelle il a un problème. Malek est un beur : en France, il est un vrai Français et en Algérie, il est un vrai Algérien. Je pense qu’il n’y a pas eu de film encore sur un vrai binational algérien, moderne, élégant, éduqué… Ce qu’est Malek, le personnage, et Fianso [nom de scène de Sofiane Zermani] qui l’incarne. C’est quelqu’un d’extrêmement élégant dans sa posture, par sa beauté. Il est brillantissime.

Votre complicité avec Sofiane Zermani est évidente. Pourquoi est-il devenu votre Malek ?
Je l’avais vu dans la série Les Sauvages dans un rôle qui aurait pu lui coller à la peau, celle d’une petite frappe, mais il lui a donné une autre couleur. J’ai aussi découvert dans une vidéo qu’il avait un regard intense dans lequel on sent une fêlure. Ça m’intéressait d’aller chercher ça.

En retournant s'installer à Barbès, Malek redécouvre un univers socioculturel qui lui est familier mais qui ne faisait plus partie de son quotidien...
C’est quelque chose qu’il a en lui, mais ce n’est pas enfoui. Il connaît, par exemple, la religion mais pas aussi bien que les gens de Barbès qui vont lui apprendre des choses. Malek fait son ramadan, ne fait peut-être pas ses prières mais c'est un croyant. 

Il y a beaucoup de vous dans le personnage de Malek ? 
Oui (il hoche la tête). 

Le réalisateur Hassan Guerrar, à gauche, et le comédien Sofiane Zermani prennent la pose lors de la cérémonie d'ouverture du Festival du film francophone d'Angoulême le 27 août 2024, à Angoulême. Le premier film de Hassan Guerrar, "Barbès, little Alger", est en compétition pour le Valois de diamant. (FB/FRANCEINFO)

Découvrir votre film où il est question de binationaux alors qu'ils ont été pointés du doigt par l'extrême droite lors des dernières législatives interpelle. Votre projet date de plusieurs années mais rejoint une actualité. Qu'avez-vous pensé de tout ça ? 

J'ai livré le film le 10 mars 2024, avant les élections. Quand j'ai commencé à entendre "Les binationaux... ", je me suis dit que c'était drôle. J'avais déjà pris le contrepied. Par conséquent, rien ne m'a étonné. Et surtout, moi-même, je suis un binational.

Comment vivez-vous cette binationalité ? 
Il y a un gros problème sur la binationalité. Là où on vit, que ce soit en France, en Allemagne, n’importe où, on n’est pas chez nous. Et quand on retourne en Algérie, là où sont nos origines, Algérie, Maroc, Tunisie… on n’est pas chez nous. J’aurais presque pu réaliser un film et le dédier aux citoyens du monde.

"Barbès, little Algérie" évoque la binationalité, mais aussi le fait de vivre ensemble en ayant des croyances différentes. Il y a une superbe scène de prière à proximité du Sacré-Cœur qui vaut mille discours sur le sujet...
Elle est très importante pour moi. Le plan commence par le Sacré-Cœur et les cloches, puis la caméra descend sur les trois musulmans. C’est juste pour expliquer qu’il faut arrêter ces guerres de religion. Les juifs, les musulmans et les chrétiens appartiennent à trois religions dont les textes sacrés – la Bible, que je n’ai pas lue, mais que je connais un peu, le Talmud et le Coran – disent la même chose avec des mots différents.

Le film offre une belle brochette de personnages. Comment avez-vous choisi les autres comédiens ?
Khaled (Benaïssa qui interprète le truculent Préfecture), je l’avais casté il y a trois ans quand j’ai commencé à écrire. C'est un comédien très connu en Algérie. Je savais qu’il allait me ramener le plus que l’on m’avait demandé d’ôter du scénario. J'ai connu Adila (Bendimerad) sur La Dernière reine [qu'elle a co-réalisé et dans lequel elle tient le premier rôle], film que je défendais. Elle est exactement la femme que je voulais pour incarner cette patronne de café, une femme de poigne qui tient les hommes. Quand il y a une bagarre, il n’y a qu’elle pour intervenir parce que personne ne la touche. C’est ma façon de rendre hommage aux femmes. Je la trouve sublime d'intelligence et de beauté. Tout comme Eye Haïdara. Je suis très fier d'avoir travaillé avec elle parce que, pour la première fois, je suis content de montrer une femme africaine noire qui est juste comme elle est dans la vie : intelligente, belle, cultivée, douce, ayant un vrai travail. Et elle est binationale.

Vous êtes attaché de presse cinéma. Qu’est-ce que vous ne saviez pas et que vous avez appris en passant derrière la caméra ?

Je continue d’être attaché de presse et j’adore mon métier. J’ai découvert toute la réalisation. On m’a donné des plannings, j’y allais et je ne savais pas de quoi il était question. J’ai tout improvisé du premier au dernier jour. Je découvrais les étapes et j'ai tout appris au fur et à mesure. Je ne m'en suis pas rendu compte en faisant le film. Je suis quelqu’un d’assez désinhibé et mon métier d’attaché de presse m’a beaucoup aidé. J’allais très vite sur le tournage : il y a un problème ? J’avais la solution tout de suite. Et j’ai découvert la post-prod, ce que j'ai adoré. Je connaissais un peu le montage image parce que j’ai remonté des films mais pas la partie son. Anecdote : je croyais que j’avais rendez-vous avec un mec du son mais... ils étaient trois. J’ai eu la meilleure équipe technique au monde : le chef opérateur Amine Berrada qui est l’un des plus grands aujourd’hui. Au son, j'avais le très expérimenté Philippe Welsh qui m’a beaucoup aidé. J’avais une scripte qui était constamment derrière moi pour m'aider.

Une question qui fâche. Vous êtes Hassan Guerrar et vous connaissez beaucoup de gens dans l’industrie du cinéma. C’est plus facile de faire son premier film, non ?

Quand on est Hassan Guerrar, c’est la pire chose. Je ne suis pas traité comme les autres. Après, j’ai eu la chance d’avoir un scénario qui plaisait beaucoup et je pense que personne n’a jamais vu un film comme celui-là. C’est du moins ce que les gens me disent. C’est ainsi que j’ai eu l’avance sur recettes (du Centre national du cinéma et de l'image animée). Mais le fait de s’appeler tartempion et d’être connu dans le métier, ça joue contre nous. J’ai eu beaucoup de mal à financer le projet.

Vous êtes à Angoulême, un festival qui s’impose comme un rendez-vous incontournable pour le cinéma français. Comment trouvez-vous l'accueil du film par le public ? 

Je suis assez bouleversé de voir le public me faire des standing ovations. Je ne m’attendais absolument pas à ça. Je crois que je n’ai jamais reçu autant d’amour de ma vie que sur ce festival. C’est même un trop-plein. C’est un festival qui ne vous envoie que de l’amour. Je suis très fier d’être là. Je connais ce festival depuis 17 ans. Je connais Besnehard [Dominique, cofondateur du Festival avec Marie-France Brière] pratiquement depuis 40 ans. J’étais très touché qu’il ait aimé le film et qu’il l'ait pris. 

Le film sort en France en octobre. Une sortie algérienne est-elle prévue ?
Il va également sortir en Algérie.

La fiche

Genre : comédie dramatique 
Réalisateur : Hassan Guerrar 
Acteurs : Sofiane Zermani, Khalil Gharbia, Khaled Benaïssa, Adila Bendimerad, Eye Haïdara et Clotilde Courau
Pays : France
Durée : 1h33
Sortie : 16 octobre 2024
Distributeur : Jour2Fête

Synopsis : Malek, la quarantaine, célibataire, vient d’emménager à Montmartre et accueille bientôt chez lui son neveu Ryiad fraîchement arrivé d’Algérie. Ensemble ils découvrent Barbès, le quartier de la communauté algérienne, très vivant, malgré la crise sanitaire en cours. Ses rencontres avec les figures locales vont permettre à Malek de retrouver une part de lui qu’il avait enfouie, et de se réconcilier avec ses origines.

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