Mort de Michel Blanc : "Il avait une sorte de désespoir de la joie", confie Lionel Baier, réalisateur de "La Cache", l'un des derniers films du comédien

Lionel Baier, le réalisateur de "La Cache" dans lequel Michel Blanc a récemment joué et dont la sortie est prévue en 2025, revient sur l'une des dernières performances de l'acteur.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Michel Blanc en 2008 aux Hospices de Beaune. (JEFF PACHOUD / AFP)

Le cinéaste Lionel Baier est actuellement au montage de son film La Cache, adaptation du roman éponyme de Christophe Boltanski, où Michel Blanc incarne le grand-père d'un petit garçon de 10 ans, Christophe, qui vit les événements de Mai 68 chez ses grands-parents. Le film, distribué par Les Films du losange, a été tourné au printemps avec Michel Blanc qui s'est éteint dans la nuit de jeudi 3 à vendredi 4 octobre 2024. Sa sortie est prévue en 2025.

Franceinfo Culture : Vous êtes aujourd'hui l'un des derniers cinéastes à avoir dirigé Michel Blanc. Que ressentez-vous depuis l'annonce de son décès ?
Lionel Baier : Je suis évidemment bouleversé. J'ai appris la nouvelle cette nuit. C'est particulier puisque je le vois tous les jours parce que je monte le film dans lequel il a tourné de la mi-mars à fin avril dernier. La Cache est une adaptation du livre de Christophe Boltanski. Quand on monte un film, on se dit toujours qu'on le fait aussi parce qu'on se réjouit de montrer aux comédiennes et comédiens tout ce qu'ils nous ont donné. Je pensais à lui, je pense à lui tous les jours parce qu'il a vraiment accompli un travail exceptionnel sur le film, un travail d'une très grande précision avec toute sa générosité. C'était quelqu'un de très organisé dans son travail de comédien. Il se préparait beaucoup comme le font parfois les Américains. Il imaginait un parcours pour son personnage, il avait quelque chose à livrer, une proposition à faire. J'étais très impatient de pouvoir lui montrer le résultat de ce travail de recherche qu'il avait mené.

Vous lui aviez parlé récemment, après le tournage ?
Lionel Baier : Nous devions aller déjeuner ensemble. Je lui ai encore envoyé un message la semaine dernière en lui disant à quel point tout le monde, en sortant des projections de travail, le trouvait exceptionnel. Je lui avais aussi dit que je n'avais qu'une hâte : qu'il puisse voir le film. Comme il était très perfectionniste, il ne me serait pas venu à l'idée de le lui montrer sur la table de montage. Je voulais vraiment qu'il soit terminé. C'était quelqu'un de très précis dans son jeu et c'était aussi un réalisateur, nous parlions beaucoup de réalisation ensemble. Je voulais lui montrer que, moi aussi, j'étais allé au bout de ma proposition pour rendre hommage à ce qu'il m'avait, lui, proposé.

Michel Blanc joue le grand-père. Il a toujours revendiqué le fait qu'il n'était pas qu'un acteur comique et a prouvé qu'il excellait aussi dans le drame. Dans quel registre est-il dans La Cache ?
Dans ce film, j'ai l'impression qu'il nous donne tout ce qu'il sait faire. Comme tous les très grands acteurs comiques, c'était un très grand comédien parce qu'il faut l'être pour faire de la comédie. Michel Blanc avait toutes les cordes à son arc. Dans le film, je crois qu'il nous montre tout ce qu'il est capable de faire parce qu'il nous fait pleurer. Il est bouleversant à certains moments. À d'autres, il est certainement le personnage qui a les scènes les plus drôles. Au début du film, il nous fait vraiment rire avec une scène d'ouverture complètement absurde, avec un humour très britannique, en retenue comme il sait si bien le faire. À la fin du film, il est bouleversant de sincérité dans ce qu'il raconte à l'un des personnages. C'est magnifique. Je savais, en bénéficiant de sa présence sur le tournage, que j'aurais toute cette gamme chez une seule personne. C'est ce que le film essaie de faire, à savoir passer du rire aux larmes, c'était donc formidable avec lui. Dans toutes les scènes ou presque, j'avais l'impression qu'il était en train de répéter le mouvement général du film.

Pourquoi aviez-vous fait appel à Michel Blanc pour ce personnage ?
C'est quelqu'un que j'admire beaucoup. J'ai aussi beaucoup apprécié son travail de réalisateur sur Marche à l'ombre, un film assez incroyable quand on le revoit. Sa capacité à la très grande angoisse m'a aussi interpellé. Michel Blanc est quelqu'un de très angoissé, tout le temps, et il le portait sur lui. Même quand il souriait, riait, il y avait une sorte de fond angoissé qui était très proche du personnage. C'est pour sa technique également. C'est-à-dire son amour du cinéma dans tout ce qu'il peut avoir de contraignant pour les acteurs. Comme on allait tourner en grande partie en studio – le film se déroule en 1968 –, je savais que ça ne lui poserait pas de problème et que ça l'amuserait même. À l’instar des acteurs américains. Plus il y avait de choses liées aux contraintes techniques – fond vert, transparence – plus ça le faisait rire, l'intéressait. Il était content d'être dans une sorte de folie organisée. Je suis protestant suisse et il me disait : "Vous êtes sans doute l'un des réalisateurs les plus cinglés que j'ai rencontrés, mais vous faites tout très sérieusement". Je lui répondais que c'était pour ça que l'on s'entend si bien : "Il y a aussi chez vous une sorte de sérieux qui m'a toujours troublé".

La disparition de Michel Blanc change-t-elle votre état d'esprit dans l'approche de ce montage que vous êtes en train de terminer ?
Je vous dirai ça quand je retournerai au montage dans une heure. Moi, je monte toujours un film pour les acteurs. Je me dis toujours que je vais leur montrer qu'ils ont eu raison de me faire confiance, de venir sur le film et d'y croire. Je monte tous les matins en pensant à eux. On a eu hier une projection de montage et quand je voyais Michel, je me réjouissais vraiment de pouvoir lui rendre ce qu'il m'a donné. J'ai l'impression que mon cadeau reste en rade, qu'il m'a donné quelque chose que je ne peux pas lui rendre.

Quand le film sortira, ce sera certainement le dernier dans lequel Michel Blanc aura joué...
La dernière image sera vraiment bouleversante parce que c'est une image à la Chaplin malgré moi. Quand je l'ai vue, je me suis fait cette réflexion. Peut-être qu'il y avait de ça en lui, c'est-à-dire une sorte de désespoir de la joie.

Pour quand est prévue la sortie de La Cache ?
En 2025, mais je ne peux pas encore vous dire quand. Je pense le premier trimestre 2025 puisque nous sommes en train de terminer le montage.

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