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Pour ou contre "Lincoln", le nouveau film de Steven Spielberg ?

Le réalisateur américain brosse le portrait du plus emblématique président des Etats-Unis. Une rencontre au sommet un peu scolaire.

Article rédigé par Léo Pajon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Daniel Day-Lewis interprète le président Lincoln, dans "Lincoln" de Steven Spielberg. (20TH CENTURY FOX)

Les canons tonnent, nordistes et sudistes s'affrontent sabre au clair au son des trompettes. Sur le champ de bataille, il n'y a plus de blancs ni de noirs, les soldats ont tous le même teint boueux. Lincoln s'invite en pleine guerre de Sécession pour brosser le portrait du plus populaire des présidents américains, alors que celui-ci se trouve à un moment charnière de son mandat, cherchant à mettre fin à la guerre et à l'esclavage. Favori des Oscars avec 12 nominations, le film est-il l'ultime consécration de Steven Spielberg ?

Pour : un ambitieux voyage dans le temps

Le projet du réalisateur américain frappe par son ambition. Il brosse bien sûr le portrait d'un président. Politicien plutôt roublard, Abraham Lincoln doit fédérer les rivaux pour mettre la Chambre des représentants de son côté et abolir l'esclavage. Une bonne partie du film s'attache ainsi à montrer de manière plutôt cocasse comment certains députés se font retourner à coups de pots de vin ou d'intimidation. Mais Steven Spielberg va plus loin. Fidèle à l'ouvrage de Doris Kearns Goodwin dont il s'inspire, il décrit aussi l'homme, le mari et le père, saisissant le président américain dans son intimité, jouant avec son fils ou se disputant avec sa femme. Mêler la petite histoire et la grande est devenu banal (on pense par exemple au portrait qui a été fait de Margaret Thatcher dans La Dame de fer) mais le réalisateur passe très habilement de l'une à l'autre et réussit à humaniser un personnage mythique.

Dans le rôle-titre, Daniel Day-Lewis, tout en retenue, contribue à crédibiliser le personnage. Méconnaissable avec sa houppette et sa barbiche cendrée, souvent filmé en contre-plongée pour allonger sa stature, l'acteur a accompli une véritable métamorphose façon Actors Studio. Même sa voix, adoucie et haut perchée, ajoute à l'humilité du personnage. Cette performance pourrait bien lui permettre de décrocher son troisième Oscar comme meilleur acteur – du jamais vu dans l'histoire du cinéma.

Le film ressuscite aussi magnifiquement une époque. Le travail réalisé sur les costumes par Joanna Johnston et sur les décors par Rick Carter, des fidèles des productions de Steven Spielberg, est tout simplement bluffant. D'autant que près de 140 personnages se croisent dans le film. Toute en nuances de bleu et de gris, la pellicule unifie cet univers et rend l'atmosphère crépusculaire des mois durant lesquels l'histoire américaine a basculé.

Contre : une leçon d'histoire un peu scolaire

Car Steven Spielberg essaie moins de nous raconter une histoire que de raconter l'Histoire. Comme si son film voulait donner la réplique, plus de cent ans après, à Naissance d'une nation, le chef-d'œuvre raciste de David Wark Griffith, qui célébrait les exploits du Ku Klux Klan durant la guerre de Sécession.

Le problème, c'est que sa leçon ronronne un peu. Le cœur du film, c'est le 13e amendement de la Constitution, qui doit permettre d'abolir définitivement l'esclavage. Ce que propose en filigrane le réalisateur, c'est donc un plaidoyer abolitionniste. Hasard du calendrier, Lincoln arrive en salles quelques semaines après la sortie en France de Django Unchained, le film explosif de Quentin Tarantino qui se déroule à peu près durant la même période. La comparaison ne tourne pas en faveur de Steven Spielberg, tant sa réalisation sage et académique échoue à rendre le chaos du moment. L'esclavage, d'ailleurs, n'est jamais montré : seules quelques photos de noirs torturés apparaissent ici et là comme pièces à conviction.

On a d'autant plus de mal à se passionner pour le sujet que la restitution des débats de la Chambre des représentants est, pour nous Français, un peu technique. J'avoue humblement n'avoir toujours pas compris la mécanique de cette assemblée (malgré 2h29 de film), ni la subtilité des positions des différents partis, entre centristes, républicains, démocrates, radicaux et transfuges de tous bords.

Pour nous intéresser à ce récit un tantinet austère, Steven Spielberg a recours à de grosses ficelles. Qui se changent parfois en câbles. Ainsi, à chaque fois qu'Abraham Lincoln se fend d'une parole historique, le réalisateur zoome lentement (très lentement) sur son visage. Et comme il y a beaucoup de citations importantes, il y a beaucoup trop de zooms. Pour faire passer la pilule, Steven Spielberg fait aussi raconter une foultitude d'anecdotes à son héros. Au bout de la troisième, le public rit, un peu gêné. Sans savoir que bien d'autres se glisseront encore dans les dialogues.

Faut-il y aller ?

Pourquoi pas, si vous êtes un amateur d'histoire pas trop allergique aux récits un peu scolaires.

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