"Kasaba" : le premier film de Nuri Bilge Ceylan sort enfin en salles en France
Nuri Bilge Ceylan sait filmer, ce n’est pas une découverte. Son premier long métrage, Kasaba, Petit village en turc, sorti en 1997, annonce déjà tout le talent du réalisateur. Nuri Bilge Ceylan peint avec sa caméra. Son expérience de photographe est visible dans chaque plan, relevant d’une poésie absurde pure. La scène où le personnage de Saffet voit dans le ciel une balançoire tournoyer révèle la prévalence de l’esthétisme chez le réalisateur de Winter sleep, Palme d’Or 2014. Son choix du noir et blanc affirme sa maturité artistique. Nuri Bilge Ceylan n’avait pas quarante ans quand il a voulu s’adresser au monde depuis son village.
Chronique d’une famille ordinaire
Le film est adapté d’une histoire écrite par Emine Ceylan, sœur du cinéaste, elle-même inspirée par leur enfance commune. Kasaba est une chronique familiale. Pour son premier film, Bilge Ceylan a fait appel à ses proches pour interpréter la quasi-totalité des rôles. On retrouve même ses propres parents lors du long chapitre du pique-nique. Le face-à-face entre le patriarche et sa progéniture est tendu. Au petit-fils qui rêve d’une urbanité plus épanouissante et qui rend son village natal responsable de tous ses malheurs, son grand-père lui demande pourquoi il ne rejoint pas cette ville fantasmée. Au fils prodige revenu des Etats-Unis pour s’installer au village, le père lui avoue n’avoir jamais compris sa décision. Ce long échange avec tous les membres de la famille, sous le regard des enfants, est intensifié par les gros plans de Nuri Bilge Ceylan.
Cette partie peut sembler bavarde. Un choix assumé par celui qui se dit admirateur de Tchekhov et qui affirme "regarder le monde à travers le filtre de cette littérature". On retrouve cette façon de filmer dans nombre de ses oeuvres, notamment le dernier, Les herbes sèches.
Le film s’ouvre sur un village enneigé. Le tableau est d’une extrême beauté. Avant de rentrer en classe, les élèves récitent un texte de propagande. L’instituteur manie la compassion et l’humiliation. Détectant une mauvaise odeur dans la classe, il fait subir à ses élèves un contrôle stressant. La petite Asiye, larmes aux yeux, subit cette fausse bienveillance avec rage. Le cinéaste décrit cette relation de domination entre l’instituteur et ses élèves, sur un fond de discours sur l’égalité et la solidarité. La narration est hachée, libre, non linéaire. Kasaba parle aussi de frustrations, des rêves inaboutis, fracassés par la réalité. Kasaba, naissance d’un grand cinéaste.
La fiche
Titre : Kasaba
Réalisation : Nuri Bilge Ceylan
Scénario : Nuri Bilge Ceylan d’après un livre d’Emine Ceylan
Interprètes : Mehmet Emin Toprak, Emin Ceylan, Havva Saglam, Cihat Bütün, Fatma Ceylan et Muzaffer Ôzdemir
Distribution : Memento Distribution
Durée : 1h24
Genre : Drame
Année : 1997
Date de sortie : 16 août 2023
Synopsis : Turquie, un petit village dans les années 70. Au fil des saisons deux enfants se frottent au monde adulte à sa complexité́ et à sa cruauté́…
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.