"Le Jeune imam": Kim Chapiron signe la chronique douce-amère d'une ascension sur fond d'arnaque au pèlerinage à la Mecque
"C'est un voleur, ton fils !" Cette phrase lancée dans une scène du dernier film de Kim Chapiron en salles le 26 avril, Le Jeune imam, est celle justement que Madame Diallo (Hady Berthé) s'est toujours refusé à entendre. C'est la raison pour laquelle elle enverra Ali dans son pays d'origine, le Mali. Objectif : mettre du plomb dans la tête de l'adolescent de 14 ans.
Dans son village natal, Madame Diallo confie son rejeton au Cheikh Boubacar (Issaka Sawadogo) qui l'élève dans une madrasa (école coranique). La punition durera une décennie. Quand Ali revient, il pense se lancer dans l'export de produits invendus en ligne mais c'est plutôt une carrière d'imam qui l'attend.
Un imam connecté
Le Jeune imam est un long flashback durant lequel Kim Chapiron (Sheitan, La Crème de la crème, la série Guyane) donne le temps au spectateur(rice) de faire la connaissance d'Ali, interprété à l'âge adulte avec flegme par Abdulah Sissoko, bluffant dans son premier grand rôle au cinéma. A l'adolescence, le personnage semble fasciné par l'argent qu'il finit par voler : le regard que la caméra de Chapiron capte, quelques minutes avant que son héros ne commette ses larcins, est sans équivoque.
Quand Ali regagne plus tard la France et sa banlieue, apparemment libéré de ses démons, et qu'il est propulsé imam de son quartier, il a toutes les cartes en main pour réussir. Il chante les prières (cantillation coranique) comme personne et ses prêches modernes, prônant une pratique religieuse en phase avec son temps, touchent le cœur de nombreux fidèles. "Seule la critique sauve le religieux de l'idolâtrie", rappelle-t-il dans sa mosquée. Désormais star des réseaux sociaux, le charismatique imam envisage alors de faire sa petite révolution : rendre le pèlerinage à la Mecque, 5e pilier de l'islam, accessible à tous.
Montée en puissance
Ce rite sacré que tout musulman rêve d'accomplir, au moins une fois dans sa vie n'est pas une sinécure. Les règles en sont fixées par le pays organisateur, l'Arabie saoudite, qui attribue des quotas à chaque Etat souhaitant envoyer des pèlerins. Aussi bien sur le plan administratif que financier, les places sont par conséquent chères et font l'objet d'un commerce particulier, dont les agences de voyages étaient jusqu'à récemment les reines et qui est susceptible de générer des arnaques. Ces faits divers ont inspiré Kim Chapiron, qui a co-écrit avec son ami – le cinéaste Ladj Ly (Les Misérables) –, l'histoire du Jeune imam.
Au-delà de la religion musulmane et à l'heure des réseaux sociaux, la fiction de Chapiron revisite l'emprise que les leaders religieux peuvent avoir sur les fidèles de leur lieu de culte, pourvu qu'ils soient doués dans la transmission de la parole divine. Cependant, note le sage prédécesseur du jeune Ali, "les actes ne valent que par les intentions en islam". "Quel genre d'imam es-tu ?, lui demande pour sa part sa mère. "C'est quoi ton business ?", renchérit sa sœur. Ainsi, entre les dialogues et une mise en scène à la fois suave – à l'image du personnage principal –, et énergique, Chapiron réussit à entretenir l'intérêt pour une histoire dont la chute semble évidente en offrant une perspective originale sur une thématique récurrente au cinéma : la façon dont les histoires personnelles et familiales déterminent in fine la vie d'une communauté.
La fiche
Genre : drame
Réalisateur : Kim Chapiron
Acteurs : Avec Abdulah Sissoko, Hady Berthé et Moussa Cissé
Pays : France
Durée : 1h38
Sortie : 26 avril 2023
Distributeur : Le Pacte
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.