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"Leila et ses frères" de Saeed Roustaee : portrait d'une société à bout de souffle, dans une fresque familiale interdite en Iran

Repéré en 2021 avec son film coup de poing sur la drogue, "La loi de Téhéran", Saeed Roustaee est de retour dans les salles françaises avec "Leila et ses frères", présenté au dernier Festival de Cannes.

Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Taraneh Alidoosti dans "Leïla et des frères" de Saeed Roustaee.  (Amirhossein Shojaei)

Présenté en compétition au Festival de Cannes en mai, le film de près de trois heures, Leila et ses frères, n'a pas convaincu le jury dont était pourtant membre un Iranien, le réalisateur deux fois oscarisé Asghar Farhadi. Le long-métrage a en revanche séduit la presse qui a vu en lui une potentielle Palme d'or.

Du haut de ses 32 ans, son réalisateur Saeed Roustaee incarne la nouvelle garde du cinéma iranien. Il a raflé le prix du jury de la Fédération Internationale de la Critique de Cinéma (Fipresci). C'est dans son propre pays que le film a vu son destin brutalement s'arrêter : fin juin, les autorités cinématographiques iraniennes ont annoncé avoir interdit le film "jusqu'à nouvel ordre". Motif allégué ? Avoir "enfreint les règles en participant sans autorisation à des festivals étrangers (...) à Cannes et ensuite à Munich".

Revirement balzacien 

Pas frontalement politique, le film dresse le portrait d'Esmail (Saeed Poursamimi), vieil homme modeste et père de cinq enfants, qui rêve de prendre la tête du clan familial. Un titre honorifique auquel il pense avoir le droit par son âge. Mais voilà, avec ce titre viennent des obligations pécuniaires. Comment contribuer au train de vie du clan alors que ses moyens sont limités et que ses quatre fils sont au chômage ?

Dans un retournement de situation presque balzacien - comment ne pas voir des similitudes avec l'Eugénie Grandet de Balzac ? - le spectateur découvre qu'Esmail a, en réalité, bien plus d'argent qu'il ne le fait croire à ses enfants et à son épouse. Vient alors un choix moral pour la fratrie : doivent-ils voler l'argent de leur père ou le laisser l'utiliser pour son couronnement, et donc, voir leur unique chance d'avenir leur filer entre les doigts ?

Au coeur du film, une femme, Leïla, magistralement interprétée par l'actrice Taraneh Alidoosti. Manière pour le réalisateur et son actrice de souligner le rôle de "pilier" qu'ont les femmes dans la société iranienne, avaient-ils confié à l'AFP à Cannes. Mais Saeed Roustaee ne s'arrête pas à la description d'une famille dysfonctionnelle. Le réalisateur de La loi de Téhéran décrit subtilement une société iranienne à bout de souffle tant sur le plan politique qu'économique.

Double censure 

Lorsque l'AFP l'avait rencontré au printemps, Saeed Roustaee avait déjà en tête une possible censure de son film : "En Iran, il y a des lignes rouges et elles sont nombreuses". "Vous pouvez très facilement être arrêtés si vous ne respectez pas ces lignes rouges", avait-il ajouté. Une censure qui s'exerce donc à deux niveaux : la première permet au gouvernement de "valider" le scénario et la seconde de "vérifier" que le contenu du film est conforme à ses exigences. Si cela venait à ne pas être le cas, le gouvernement peut demander des "changements". Entretemps, le film est privé de sortie.

Début juillet, ce sont deux grands réalisateurs qui ont fait les frais de la censure du régime. Lauréat de l'Ours d'or 2020 à Berlin pour son film Le diable n'existe pas, Mohammad Rasoulof a été arrêté pour avoir cosigné en mai une lettre ouverte exhortant les forces de sécurité à "déposer les armes" face à la colère contre "la corruption, le vol, l'incompétence et la répression". Son camarade Jafar Panahi, Ours d'or 2015 pour Taxi Téhéran, venu s'enquérir de son sort, a ensuite été arrêté et envoyé à la prison d'Evin pour y purger une peine de six ans prononcée en 2010.

Face à cette épée de Damoclès, Saeed Roustaee a-t-il déjà pensé à quitter son pays? "Non, avait-il rétorqué à l'AFP sans sourciller. C'est là où nous avons nos racines. C'est notre pays, c'est chez nous".

L'affiche du film "Leïla et ses frères" de Saeed Roustaee.  (Amirhossein Shojaei)

La fiche

Genre : Drame
Réalisateur : Saeed Roustaee
Acteurs et actrices : Taraneh Alidoosti, Navid Mohammadzadeh, Payman Maadi
Durée : 2h49
Sortie : 24 août 2022
Distributeur : Wild Bunch Distribution
Synopsis : Leila a dédié toute sa vie à ses parents et ses quatre frères. Très touchée par une crise économique sans précédent, la famille croule sous les dettes et se déchire au fur et à mesure de leurs désillusions personnelles. Afin de les sortir de cette situation, Leila élabore un plan : acheter une boutique pour lancer une affaire avec ses frères. Chacun y met toutes ses économies, mais il leur manque un dernier soutien financier. Au même moment et à la surprise de tous, leur père Esmail promet une importante somme d’argent à sa communauté afin d’en devenir le nouveau parrain, la plus haute distinction de la tradition persane. Peu à peu, les actions de chacun de ses membres entrainent la famille au bord de l’implosion, alors que la santé du patriarche se détériore.

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