"Lux Aeterna" : Gaspar Noé filme Béatrice Dalle et Charlotte Gainsbourg en sorcières du cinéma
Le cinéma était associé à ses débuts à la magie et Georges Méliès, prestidigitateur de formation. Gaspar Noé, lui, réalise un film sorcier.
Empêcheur de tourner en rond du cinéma, Gaspar Noé sort à nouveau un film hors-normes. D’abord par son format : Lux Aeterna, qui arrive dans les salles mercredi 23 septembre, est un moyen métrage de cinquante minutes. Ensuite par ses actrices : Béatrice Dalle et Charlotte Gainsbourg sont réunies pour la première fois à l’écran. Enfin, il filme encore des images nouvelles et créé une mise en scène sulfureuse.
Film de commande de la fondation Yves Saint-Laurent pour l’art contemporain, Lux Aeterna se déroule sur un tournage de cinéma et stigmatise le sexisme de la profession. Un pamphlet puissant.
La Sorcière
Béatrice Dalle propose à Charlotte Gainsbourg de jouer dans son premier film une sorcière condamnée au bûcher. Sur le plateau, rien ne se passe comme prévu suite à la décision du producteur de squeezer la réalisatrice, incapable, selon lui, de mener à bien le projet. Il la laisse tourner, en montant toute l’équipe contre elle, et en provoquant des incidents qui vont entraîner une suite de catastrophes, jusqu’à mettre en danger son actrice et toute l’équipe, voire le public de ce making-of virtuel…
Le film précédent de Gaspar Noé, Climax, était déjà le récit de la montée en puissance d’une folie sur un plateau. Mais il ne stigmatisait pas le milieu où se déroulait l'action, une troupe de danseurs. Dans Lux Aeterna, le drame est clairement déclenché par le producteur du film qui piège sa réalisatrice pour la discrédité aux yeux de la profession. Le choix du sujet de Béatrice Dalle-réalisatrice, l’autodafé d’une sorcière, n’est pas gratuit. Gaspar Noé ouvre son film sur des extraits des chefs-d’œuvre La Sorcellerie à travers les âges, de Benjamin Christensen (1922) et Jour de colère, de Karl Théodore Dreyer (1943) qui traitent de l’Inquisition. Il place ainsi son film sous l’égide du cinéma.
Par ailleurs, depuis le mouvement @MeToo, les féministes s'identifient aux sorcières du moyen-âge (jusqu’au XVIIIe siècle), dans le sillage de Michelet (La Sorcière, 1862). L’historien y dénonçait les persécutions contre les sorcières assimilé à un combat contre les femmes par une société patriarcale théocratique. Gaspar Noé fait de même, en le transposant dans le monde du 7e art.
Inventif et perturbateur
Une certaine critique a taxé le réalisateur d’homophobe ou de misogyne : un contresens absolu. Irréversible (2002), et sa version remontée, sur les écrans depuis peu, en font encore les frais. Comment Béatrice Dalle et Charlotte Gainsbourg, dont l'engagement féministe ne fait aucun doute, pourraient tourner avec un tel metteur en scène ? Absurde.
Au-delà des préjugés, Lux Aeterna permet à Gaspar Noé de creuser son sillon, inventif et perturbateur. Comme à son habitude, le cinéaste n’a pas écrit de scénario, mais une trame narrative solide. La première scène voit les deux actrices échanger des confidences improvisées, sur leurs expériences de tournages et leurs relations avec les réalisateurs. La suite montre l’apocalypse au travail sur le plateau jusqu’à une acmé, où les lumières stroboscopiques et un son strident traduisent la torture qu’inflige un système sur les créateurs (créatrices). Car les dix dernières minutes sont éprouvantes… On en sort retournés.
Toujours dans une démarche expérimentale, Gaspar Noé s’essaye pour la première fois au split screen (partage de l’écran en plusieurs plan), et pousse à l’extrême son usage des lumières et des sons saturées. Son filmage perturbe l’œil et les oreilles… Une œuvre exigeante et puissante, au service d’un discours nécessaire et contemporain : Lux Aeterna montre le cinéma au travail, pour préparer celui de demain. Renversant.
La fiche
Genre : Drama
Réalisateur : Gaspar Noé
Acteurs : Béatrice Dalle, Charlotte Gainsbourg, Félix Maritaud, Clara Desayes, Yannick Bono
Pays : France
Durée : 0h50
Sortie : 23 septembre 2020
Distributeur : UFO Distribution / Potemkine Films
Synopsis : Charlotte Gainsbourg accepte de jouer une sorcière jetée au bûcher dans le premier film réalisé par Beatrice Dalle. Or l’organisation anarchique, les problèmes techniques et les dérapages psychotiques plongent peu à peu le tournage dans un chaos de pure lumière.
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