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Conflit Arménie-Azerbaïdjan : Brian May, Simon Abkarian, Ariane Ascaride et d'autres artistes expriment leur inquiétude

À la mi-septembre, l'Azerbaïdjan a mené une offensive meurtrière en Arménie, envahissant une partie de son territoire et laissant peser la menace d'aller plus loin. Face au silence de l'UE qui achète de plus en plus de gaz à Bakou pour compenser les conséquences de la guerre en Ukraine, des artistes s'expriment sur les réseaux sociaux.

Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 18min
Brian May le 4 juin 2022 à Londres / Simon Abkarian le 21 novembre 2020 à Paris / Ariane Ascaride le 30 mai 2022 à Paris, aux Molière (Kerry Davies/WPA Pool/Shuttersto/SIPA - Ludovic MARIN / AFP - Geoffroy Van der Hasselt / AFP)

L'Arménie, petite démocratie coincée dans le Caucase, sera-t-elle le dommage collatéral de la dépendance énergétique croissante dans laquelle l'Union européenne s'est engagée vis-à-vis de l'Azerbaïdjan, régime dictatorial proche de la Turquie de Recep Erdogan ? C'est en tout cas le cri d'alarme et de colère qui circule sur les réseaux sociaux depuis quelques semaines sous les mots-dièse (ou hashtags) #StandWithArmenia et #SaveArmenia. Différents artistes, pas forcément connus comme étant des porte-parole de la cause arménienne, se manifestent ces derniers jours via les réseaux sociaux.

Leur prise de parole fait suite à un silence pesant : celui de la direction de l'Union européenne face aux récents événements qui se sont produits en Arménie. Les 13 et 14 septembre, l'Armée azerbaïdjanaise a lancé une offensive contre son voisin, faisant plus de 200 morts côté arménien, avançant de plusieurs kilomètres dans le territoire de ce petit pays et provoquant l'évacuation de plusieurs villages (environ 7000 personnes ont été déplacées). Cette attaque est survenue deux ans après la guerre meurtrière opérée par l'Azerbaïdjan dans l'enclave arménienne du Haut-Karabakh (disputé depuis des décennies, son nom historique est l'Artsakh) durant l'automne 2020, guerre qui s'était soldée par une défaite douloureuse pour l'Arménie (4000 morts côté arménien, et une partie de ce territoire ancestral reprise par Bakou). Après 22 mois d'un cessez-le-feu ponctué d'incidents, la nouvelle attaque azérie, menée cette fois sur le territoire souverain de l'Arménie, donne un avant-goût de convoitises qui vont bien au-delà du Karabakh, alertent plusieurs personnalités dans une tribune publiée par Le Figaro le 27 septembre. Si l'Azerbaïdjan a beau jeu d'invoquer des provocations arméniennes, Erevan n'a aucun intérêt à attiser le feu face à un ennemi surarmé et soutenu politiquement et militairement par Ankara. Un visage symbolise la nouvelle escalade : celui d'une soldate arménienne suppliciée - identifiée comme étant Anush Apetyan - avec une barbarie inouïe par des soldats azéris, et dont le martyre a été filmé et diffusé sur Telegram. Les Arméniens l'affirment : Ilham Aliyev, l'homme fort de Bakou, et son allié turc considèrent leur pays comme un obstacle à leurs rêves expansionnistes. Mercredi soir, de nouveaux tirs azéris ont causé la mort de trois soldats arméniens.

Dans ce contexte, et alors que des mouvements de troupes à la frontière côté Azerbaïdjan et des prises de paroles de responsables azéris et turcs ont accru l'angoisse des Arméniens déjà hantés par le génocide de 1915 et le traumatisme de 2020, des voix d'artistes se sont élevées.

System of a Down fustige une "agression perverse"

Parmi les premiers à sonner l'alarme, le célèbre groupe américain de rock System of a Down, et dont les membres sont d'origine arménienne. Le 14 septembre, sur les réseaux sociaux, la formation très active en faveur de la cause arménienne dénonçait "l'agression perverse" des "forces azerbaïdjanaises dirigées par leur chef pétro-oligarque corrompu Aliyev", "bombardant des infrastructures et des maisons civiles". Le groupe ajoutait : "Leur objectif est de terroriser les Arméniens et d'obtenir plus de concessions de l'Arménie (...) deux ans après qu'ils ont attaqué le Haut-Karabagh dans le but de nettoyer ethniquement la région des Arméniens. Ils ont été enhardis par la dépendance de l'UE vis-à-vis de leur gaz naturel et par un affaiblissement de l'hégémonie russe dans la région." Le groupe appelait ses fans à partager son message, déplorait "la lenteur de la presse à réagir" dans un contexte de guerre en Ukraine, et son "erreur mortelle" de mettre les deux camps dos-à-dos.

Brian May (Queen) alerte sur une "autre tragédie"

Cet appel a obtenu un relais de poids dans le monde du rock : celui de Brian May, le guitariste iconique de Queen. Peu de temps avant l'offensive des 13 et 14 septembre, le musicien britannique, également astrophysicien, avait effectué une visite à Erevan où il s'était fait remettre le prix Stephen Hawking qui récompense des travaux de vulgarisation scientifique. Marqué par ce séjour ponctué de belles rencontres, il a posté un texte de soutien ardent à l'Arménie le 18 septembre sur Instagram et sur son site : "Je brise mon silence ici parce qu'une autre tragédie semble se dérouler (...). L'Arménie est un petit pays qui manque de pétrole ou de gaz (...), un îlot de christianisme et de démocratie entouré par des dictatures despotiques. C'est l'un des pays les plus pacifiques au monde, avec une profonde tristesse ancrée en raison de son histoire tragique - pendant la Première Guerre mondiale 1,2 million d'Arméniens ont été assassinés par l'empire ottoman, dans une opération de nettoyage ethnique brutale que la Turquie a toujours refusé de reconnaître. Aujourd'hui, l'Arménie est à nouveau menacée par un complot visant à l'effacer de la surface de la Terre", écrit-il avant d'inviter à lire le message de System of a Down et à le partager "pour contrer la désinformation qui est déversée par l'Azerbaïdjan et ses alliés prétendant que l'Arménie est un agresseur".



Ian Gillan (Deep Purple) : "Ne croyez pas les persécuteurs"

Ian Gillan, chanteur de l'illustre groupe de hard rock Deep Purple, a relayé à son tour l'appel du guitariste de Queen sur son site : "Lisez ce message bien écrit de Brian May concernant l'intimidation constante dont l'Arménie fait l'objet de la part de ses voisins. Et ne croyez pas ce que disent les persécuteurs en guise d'auto-justification. Merci. IG."

Simon Abkarian : "Notre sang n'est-il pas aussi rouge que celui des Ukrainiens ?"

Dans une tribune parue le 21 septembre dans le journal L'Humanité (texte intégral réservé aux abonnés, mais on le trouve sur les réseaux sociaux), intitulée Lettre ouverte à celles et ceux qui veulent entendre, le metteur en scène et acteur Simon Abkarian interpelle d'emblée Ursula von der Leyen. La présidente de la Commission européenne a signé avec Bakou, le 18 juillet, un accord visant à augmenter les importations de gaz azéri vers l'UE, qualifiant l'Azerbaïdjan de "trustworthy energy supplier" (traduction : "fournisseur d'énergie fiable" ou "digne de confiance"). Une expression qui ne passe pas au sein de la diaspora arménienne.

Simon Abkarian dénonce la politique de la dirigeante qu'il juge bien sélective : "Madame Von der Leyen sanctionne Poutine à juste titre et encense Aliyev. Elle préfère un autocrate à un autre. Il y aurait donc un gaz devenu intolérable, le gaz russe et un gaz noble, celui qui va chauffer nos prochains hivers, celui venu de la Caspienne, le gaz azéri." Face à un cas d'école de realpolitik, le texte bouillonnant de colère foisonne de questions : "Qu’est-ce qui fait qu’on s’inquiète plus d’un peuple que d’un autre ? Est-ce la proximité géographique et culturelle ? (...) Faudra t-il nous teindre les cheveux pour un peu plus d’attention ? Notre sang n’est-il pas aussi rouge que celui des Ukrainiens ? (...) Les vies n’ont pas la même valeur selon où elles se trouvent au moment où elles sont fauchées (...) Le conflit au Yémen (...), les Kurdes qui continuent de subir dans une indifférence obscène, l’obsession guerrière d’Erdogan, en sont la preuve." Dans les dernières lignes, Simon Abkarian conclut sans ambiguïté : "Quand nous sommes menacés (...), nous aussi souhaiterions avoir la même attention [que l'Ukraine], nous voudrions un peu de ces armes qui font la différence, et rétablissent l’équilibre sur le champ de bataille."

Macha Gharibian "atterrée" par "l'indifférence"

Le 21 septembre également, la pianiste et chanteuse de jazz française Macha Gharibian, d'origine arménienne par son père, exprimait son désarroi sur sa page Facebook personnelle : "Depuis le 13 septembre je me débats intérieurement contre impuissance, tristesse, colère, déception (...) L’Arménie est attaquée sur son propre sol." La musicienne s'est dite "atterrée par l’indifférence que suscite cette guerre".

Ariane Ascaride : la jeunesse d'Arménie "se bat comme David contre Goliath"

Le 19 septembre, l'actrice Ariane Ascaride a posté un "petit billet" sur son compte Facebook personnel, en soutien à l'Arménie. "J’ai rencontré voilà vingt ans ce pays et ses habitants. C’est un peuple très ancien avec une immense culture, ils sont les gardiens attentifs de valeurs, bientôt inconnues en Occident, la bonté, le grand respect du prochain (...), ils sont les témoins de ce que nous pourrions tous être. Attention, je ne dis pas qu’ils sont parfaits mais je dis qu’ils portent en eux un profond sens de l’humanité. Ils vivent dans un petit pays qui n’a aucune matière première mais qui peut vous donner des tonnes de musique, de poésie et d’élégance. Ça n’intéresse plus personne ?". Elle poursuit et s'interroge sur la haine anti-arméniens que partagent et cultivent le régime de Bakou et les ultra-nationalistes turcs : "On est en train de les étouffer, les étrangler, vouloir les rayer de carte. Toute une jeunesse se bat comme David contre Goliath (...) Jusqu’à quand voudra-t-on les exterminer, voilà longtemps qu’ils sont la cible d’une haine sans nom. Pourquoi ?" Ariane Ascaride connaît l'histoire des Arméniens, étant l'épouse du réalisateur Robert Guédiguian, de père arménien et très engagé sur la question. Juste avant l'attaque azérie du 13 septembre, le cinéaste avait appelé la diaspora de France à soutenir l'Arménie avant qu'il soit "trop tard".

Pascal Légitimus, "gentleman blessé" : "On ferme les yeux et on oublie"

Le 26 septembre, l'humoriste Pascal Légitimus (membre du trio des Inconnus), d'origine arménienne par sa mère, s'est exprimé en tant que "gentleman blessé", relayant le sentiment d'injustice ressenti par les Arméniens et postant l'une des affiches lancées sur les réseaux sociaux ces derniers jours pour sensibiliser l'opinion : "Toute la presse française met le focus sur l’Ukraine parce qu’il y a des enjeux économiques et tout le monde fait fi de la douleur actuelle et pérenne du peuple arménien qui subit encore les attaques cruelles de l’Azerbaïdjan. Sous prétexte que l’Europe sera fournie en gaz azéri cet hiver, on ferme les yeux et on oublie."

Serge Avédikian, sur la soldate arménienne mutilée : "Désarmés devant tant d'horreur"

Le 18 septembre, l'acteur et réalisateur Serge Avédikian a posté un message poignant sur Facebook, s'interrogeant sur la violence effroyable avec laquelle des soldats azéris se sont acharnés sur une militaire arménienne pendant l'offensive des 13-14 septembre. "À quoi pense ce soldat azéri, devant ses amis réunis et les cadavres des soldats de son ennemi autour de lui ? À quoi pensent-ils, lorsqu’il démembre avec application cette femme-soldat qui vient d’agoniser, lorsqu’il découpe ses doigts pour les mettre dans sa bouche, lorsqu’il lui arrache un œil ? (...) Au nom de quoi et pour qui fait-il cela ? A-t-il une conscience, a-t-il les moyens de se rebeller contre ce qui l’a fait prisonnier de cette violence inexpliquée ? Prisonnier de l’obscurantisme, de l’aveuglement stupide, de l’obéissance absurde, de l’anéantissement de ce qui le fait être un être humain ? Ce soldat est-il encore un être humain, un être qui aurait encore un peu de libre arbitre, un être qui pense et qui réfléchit ?" Le cinéaste français natif d'Erevan appelle implicitement à ne jamais s'abaisser à un tel niveau de barbarie par "désespoir", "haine" et esprit de "vengeance" : "Nous sommes désarmés devant tant d’horreur et entraînés à réagir sans tomber dans la haine et la vengeance. Le désespoir peut entraîner des actes incompréhensibles ou incontrôlés et nous n’y pouvons rien. Comment raison garder lorsqu’en face il n’y en a pas ?"

David Haroutunian, la lettre rageuse du violoniste à Emmanuel Macron

Le 20 septembre, dans une tribune postée par La Lettre du Musicien, le violoniste français David Haroutunian, né en Arménie, évoquait également le sort horrible de la soldate Anush Apetyan et interpellait Emmanuel Macron : "Pensez-vous que les enfants d’Anoush trouveront la paix un jour ? Pourront-ils dire un jour comme moi que la colère n’est pas bon guide ? N’auront-ils pas toute leur vie l’obsession de la vengeance de leur mère ? Dans un excès de générosité le président azéri pourrait même promouvoir ces barbares au rang de héros national. Et vous passez des accords économiques avec ce système ?"

Michel Petrossian : "Les Arméniens plus seuls que jamais"

Autre personnalité très engagée sur la situation des Arméniens, le compositeur Michel Petrossian (auteur de l'ouvrage Chant d'Artsakh écrit à la suite du conflit de 2020 au Karabakh - aux Editions de l'Aire), poste sur Facebook des textes documentés, volontiers lyriques et acérés. Dès le 13 septembre, il commentait l'offensive azérie, décryptant les "incidents" avant-coureurs, les "degrés d'amplification" qui préfiguraient l'attaque. "Passer outre la justice et le droit international à ce point - pour quelques dollars de plus - c'est encourager le meurtre à l'échelle de masse", lançait-il en allusion au silence de la communauté internationale. Le 14 septembre, il livrait une analyse - partagée par différents politologues et historiens - des ambitions de Bakou : "Couper l'Arménie en deux, en lui arrachant la région de Syuniq, qui se trouve dans le prolongement naturel et la continuité géographique du Haut-Karabagh... C'est comme si l'Espagne décidait d'arracher la moitié du Portugal, ou l'Allemagne occupait la moitié de la Pologne. (...) Si le but est atteint, il y aurait une continuité territoriale parfaite entre trois entités : la Turquie, le Nakhitchevan, région transfrontalière et jadis arménienne, octroyée à l'Azerbaïdjan par Staline et totalement évidée de sa population arménienne originelle durant la période soviétique, et l'Azerbaïdjan (...) Il ne faut être ni prophète, ni poète pour voir quel boulevard cela ouvre au déferlement d'un nouvel empire néo-ottoman. Les Arméniens sont vraiment les seuls empêcheurs de tourner en rond, et ils sont seuls - peut-être plus seuls que jamais."



Malgré ces sonnettes d'alarme, les Arméniens ont la sensation de crier dans le désert, alors que l'actualité de septembre aura été focalisée sur trois thèmes : la mort de la reine Elizabeth II, la guerre en Ukraine et ses conséquences sur les tarifs énergétiques et le pouvoir d'achat en Europe. Quelques personnalités politiques, en France et dans le monde, ont incriminé Bakou dans l'escalade avec l'Arménie, quand la plupart - dont le pape François - renvoyait les deux parties dos-à-dos et appelait au respect du cessez-le-feu. Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants aux États-Unis, a effectué une visite à Erevan peu après les combats et a dénoncé les attaques "illégales" de Bakou. Emmanuel Macron, qui avait appelé Ilham Aliyev le 13 septembre, a reçu le Premier ministre arménien Nikol Pachnian lundi 26 septembre. Ce dernier avait dû s'en remettre à Moscou en 2020 pour assurer la sécurité de l'Arménie. Alors que Moscou a désormais la tête ailleurs, le président français a appelé le régime dictatorial de Bakou à respecter "l'intégrité territoriale" de l'Arménie - donc, à retirer ses troupes. Sans résultat, jusque-là.

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