"La colonne vertébrale de mon travail est l’improvisation" : Nochapiq, l'artiste qui enrubanne des objets avec des bolducs griffés, se dévoile plus que jamais
Noémie Chaillet Piquand, alias Nochapiq, est une artiste. Sa matière de prédilection : le ruban utilisé par les maisons de mode pour envelopper leurs produits. Confinée, elle a continué ses emballages dans un Paris désert, puis post-confinement a donné carte blanche à 22 invités.
Noémie Chaillet Piquand, alias Nochapiq, est une artiste touche-à-tout. Sa matière de prédilection : le ruban utilisé par les maisons de mode pour envelopper leurs produits. Son process : "Embolduquer", c'est-à-dire "gainer façon sellier" avec du ruban un objet. Sur chaque bolduc, elle pose de l’adhésif double-face ajusté à la taille du ruban. Puis, avec cette nouvelle matière, elle recouvre l'objet.
C’est en 2017 que le ruban utilisé par les maisons de luxe s’impose à elle. Elle choisit le bolduc parce qu’il ne s’achète pas. En 2019, Noémie Chaillet Piquand se rebaptise Nochapiq. Entre septembre et décembre 2018, l'artiste crée 700 pièces assorties de 200 vidéos tournées entre New York et Paris. Début 2020, elle expose dans une galerie parisienne.
Malgré le confinement, débordante d'énergie et la tête pleine de projets, elle emballe dans un Paris désert les objets puis organise dès le confinement levé une carte blanche d’artistes. Du 22 mai au 5 juin, ses invités se sont succédés dans son atelier parisien. Retour sur cette expérience riche en rencontres et en improvisation.
Franceinfo culture : Quels étaient vos projets le 7 mars lors de la clôture de votre exposition Nochapiq Road Trip à la Galerie Joyce à Paris ?
Noémie Chaillet Piquand : Mon projet était de lever le pied car j’ai beaucoup puisé dans mes réserves depuis septembre 2018, date à laquelle j’ai effectué mon coming out artistique avec mes premiers couverts embolduqués de ruban Hermès. Pendant l’exposition à la Joyce Galerie, j’ai été contactée pour des collaborations et des performances… notamment pour une exposition au New York Art Center TriBeCa (initialement programmée en juin) et une autre à Vancouver au Leisure Center, un endroit à cheval entre art contemporain, fashion, design, food, librairie et salle de concert (l’expo était prévue en mai). J’avais en projet une vente aux enchères de mes pièces emballées, projet qu'on relancera aussitôt que le contexte, me permettra de la programmer. Mon objectif : redistribuer des profits de cette vente à des associations luttant contre les troubles mentaux. Je suis bipolaire diagnostiquée en 1991. La cause des troubles mentaux est encore un véritable tabou : modestement, je voudrais faire avancer les mentalités et la médecine avancera seulement quand les mentalités progresseront.
Que vous a apporté l’exposition à la Galerie Joyce ?
Cette exposition m’a apporté un précieux bonheur : celui de discuter de mon travail avec des inconnus, d’avoir leur regard sans filtre, vierge et spontané. J’accepte que je puisse déranger, que l’on adhère pas à ma démarche et que l'on puisse détester mon travail ! J’assume et je trouve cela sain et constructif. Je suis chanceuse car grâce à mon travail, j'ai fait de magnifiques rencontres et une communauté me soutient désormais sur les réseaux sociaux. C’est le plus beau cadeau : mon travail autour du lien s’incarne désormais à travers des relations humaines qui se tissent avec des personnes du monde entier. Depuis 25 ans, je pensais que l’artiste était forcément seul dans son atelier, en marge, coupé du monde à cause de sa bulle. Erreur ! Enfin, l'exposition a eu un rôle de pilote ! Voir mon travail extra muros m'a aidée à prendre du recul. J’ai compris que les objets doivent être vivants et ne pas être exposés sur une toile ! Désormais chaque pièce est signée d’un message et datée avant son emballage, qui est lui-même capturé en photos et vidéo. Bien entendu, cette exposition m’a aussi aidée à me faire connaître : j’ai eu des articles à Paris mais aussi en Chine !
En quoi l’annonce du confinement le 17 mars a chamboulé vos projets ?
D’abord déstabilisée par la perte d'un proche, mon énergie s’est transformée en pulsion de vie et de liberté absolue. J’ai arrêté de penser à tous les projets programmés : à quoi bon ! Cet état d’urgence à vivre m’a conduit à travailler sans discontinuer jour et nuit pendant ce confinement : emballage d’objets avec captation de la transformation en auto-shooting puis montage en clip vidéo et aussi, en parallèle, acquisition via internet de nouveaux objets à emballer. Le plus sublime ? Des moments entre Paris et moi que je n'oublierai jamais. Une ville déserte qui m'a servi d'atelier. J'ai ainsi dansé - une croix emballée de scotch Suprême à la main - dans les jardins des Tuileries en chantant Don’t stop me know des Queen alors qu’un proche venait de disparaître. Gravés à jamais dans ma mémoire ces objets enrubannés que j’ai photographiés avec en toile de fond la place de la Concorde, les Champs-Elysées avec la vue jusqu’à l’Arche de La Défense, l’Opéra Garnier, la place des Victoires, le pont de la Concorde, le Centre Pompidou… Le tout transformé en clip vidéo, par exemple, sur une poignante chanson de Jeanne Moreau. J’ai même un jour exposé plus de cent pièces en bas de mon atelier rue des Feuillantines en les positionnant au milieu de la rue, sans que cela ne dérange ni passants ni véhicules !
Votre travail a-t-il évolué pendant le confinement ?
J’ai étendu mon champ d’action à la performance, à la production, à la chanson, à la réalisation et un début d’initiation au travail de comédienne bien que mon point de départ reste toujours l’improvisation. Je capture désormais en autoshooting - presque toujours en itinérance - chaque emballage et, avec ce contenu, je réalise une vidéo avec mes petits secrets de fabrique ! J’aime travailler seule, tout faire, de l’achat de la matière première au collage fastidieux de l’adhésif jusqu’au clip vidéo Autre évolution : la capacité à emballer (caler les bandes, les ajuster, les couper) en live sur les réseaux sociaux ! Le tout en expliquant comment je fais, en répondant aux questions ou en faisant un blind test musical. Encore une évolution significative : grâce à des rencontres inattendues, une dream team de confinement s'est improvisée avec Paolo Ferreira (artiste-coiffeur), Eva Provence (musicienne, chanteuse et pianiste), Sylvery Bolotte (expert de montage vidéo) et Aloïs Lang-Rousseau (ingénieur du son)... En obtenant une dérogation, nous avons improvisé un clip enregistré sur la chanson de France Gall et Michel Berger Il jouait du piano debout. La cover song s’apelle Love is the new black, du nom de l'association éponyme et du collectif d’artistes que suis en train de monter. Cette chanson est en quelque sorte son manifeste et ces paroles sont les valeurs de la future association. J’écoutais cette chanson petite et elle m’a toujours accompagnée. Le vrai pop art, c’est selon moi celui qui peut toucher tout le monde, sans distinction de milieux sociaux culturels ou de CSP (catégories sociaux professionnelles, ndlr), c’est pour cela que j’aime les musiques populaires, parce que tout le monde les connait ! C’est un clip de confinement avec ce que cela comporte d'étouffant. Autre évolution enfin : je suis désormais moi-même une pièce parmi les autres que j’emballe. C'est un bonheur de se transfigurer à l‘infini, de se transformer grâce aux vêtements, au maquillage, à la coiffure. Vive les Terra Nova !
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Vous étiez accroc au bolduc mais dans les vidéos vous embolduquez d’autres matériaux...
Partie du bolduc, symbolisant pour moi le pop art, j’ai eu besoin de lui donner du sang neuf. J'ai déniché de véritables pépites sans quitter l’atelier des Feuillantines grâce à tout ce que j’ai collecté de matériaux, objets et curiosités depuis des décennies. J'ai ainsi utilisé une bande de foulard Hermès, j’ai découpé des vieux chemisiers Versace, Kenzo, Issey Miyake, Jean Paul Gautier… ainsi que le manteau en renard dessiné par ma maman dans les années 60. J’ai aussi mis la main sur du cuir, classique ou à effet disco, perforé, alvéolé, pailleté, nacré, résillé, martelé... que j’ai préparé en bandes avec de l'adhésif double-face. De cette nouvelle palette sont nés de nouveaux emballages, parfois tout cuir, parfois mixés avec du bolduc, parfois fourrure et parfois tout à la fois. J’en ai profité pour réinjecter plus d’exigence dans les finitions des pièces avec d’avantage de savoir-faire et de temps dans leurs réalisations. J’ai ainsi des pièces multicolores, Brandees ou non, composées de superposition de micro-bandelettes. Je me suis également mise à emballer à nouveau avec du scotch (Suprême, Nike, fragile, scène de crime... ). Chaque nouvelle matière pose une question : les foulards en soie sont très fins et se collent sur eux-mêmes en cours d’emballage, la fourrure met des poils partout !
Dix jours après le déconfinement, vous lancez une carte blanche à des invités qui débute dans un hôtel parisien puis se poursuit dans votre atelier.
Ce qui est merveilleux, c’est que cette carte blanche en live - du 22 mai au 5 juin - a évolué au fur et à mesure ! Son but : partager avec les invités ce qui leur tient à cœur. Premier élément pragmatique : initiée au départ depuis une chambre "Nochapiquisée" de l’hôtel parisien French Theory, la carte blanche s'est poursuivie dans mon atelier, la connexion pour retransmettre sur les réseaux sociaux n'y fonctionnant pas bien. Autre élément : la colonne vertébrale de mon travail est l’improvisation ! J’ai eu la chance de recevoir comme premier invité le chef étoilé et Meilleur Ouvrier de France Eric Trochon. La rencontre s'est faite depuis son restaurant Solstice dans l'idée de partager son univers ! J'ai alors décidé de m'adapter à ce hasard d'un premier live chez l'invité et les rencontres suivantes ont été faites depuis le lieu choisi par l'invité (ce fut le cas aussi avec Karine Raffalli et Armelle Kersii du beauty Lab By Calliste ainsi que le parfumeur Francis Kurkdijan) ou dans mon atelier de la rue des Feuillantines. Parmi mes 22 invités, j'ai eu, entre autres, Iza Menni Laaberki (directrice concept et scénographe chez Hermès), Patricia Dinev (créatrice de bijoux), Olivier Pascalie (manager à Mazarine Atelier Pascalie)... J'ai emballé systématiquement un objet apporté par l’invité pendant ce moment d’échange en direct sur instagram puis en replay sur Facebook et Linkedin. Autre évolution : compte tenu des retours très positifs, je vais continuer. L'événement s'arrêtera ou non, selon cette ligne conductrice de l'improvisation qui porte mon travail ! Il faut donc s'attendre à voir encore ce format évoluer au fil du temps.
Des projets ?
Le New York Art Center veut reprendre l’organisation d’une exposition en solo mais pour l'instant je n'ai aucune certitude, ni visibilité. Un autre projet est le lancement à la rentrée d'une collection de 501 coques d'i-phone 11 avec le créateur Alexandre Ferrand. Cette édition limitée sera gainée de soie et renforcée avec un procédé à la fois high tech et artisanal. La soie proviendra de ma collection de foulards vintage ou actuel (Cardin, Jean-Louis Sherrer, Nina Ricci, Saint Laurent, Carven, Dior des années 60... et Hermès). Seront édités également trois motifs exclusifs by Nochapiq. Dernier projet souhaité : la version non confinée de la chanson Love is the new black avec, cette fois ci, un clip plein de soleil, de couleurs, de ciel bleu, de Paris et d’emballage !
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