Impressionnisme : la love story de l'eau
Trois superbes expos dans des musées normands explorent la passion des impressionnistes pour l'eau douce et salée.
L'histoire d'amour a commencé par un reflet rougeâtre, dispersé par des vaguelettes... Avec "Impression, Soleil levant" (aujourd'hui conservé au musée Marmottan), Claude Monet réalisait la première toile impressionniste à fleur d'eau dans l'avant-port du Havre. Le tableau a fait beaucoup de vagues et même donné son nom au mouvement. Mais les impressionnistes ont persisté, en posant leur chevalet près de la mer (les ports de Rouen et du Havre...), sur les quais de la Seine, ou les canaux de Venise. Pourquoi cette fidélité à l'eau ? Le festival Normandie impressionniste donne des éléments de réponse dans trois belles expositions en cascade : au musée des Beaux-arts de Rouen, de Caen et au musée d'Art moderne du Havre.
Le grand plongeon dans la modernité et les loisirs
On sait que les impressionnistes cherchent à rompre avec les peintres académiques de leur époque. Ils ne veulent plus créer en atelier, mais en plein air. Peindre, non plus des modèles professionnels éclairés par des lumières artificielles, mais s'inspirer au grand jour de la vie de leurs contemporains. Et l'eau va leur permettre de faire souffler une brise de modernité dans leurs toiles.
On peut s'en étonner aujourd'hui, mais le motif du pont industriel, par exemple, est totalement révolutionnaire pour l'époque. Et il y a beaucoup plus à voir dans ce tableau qu'une simple construction. D'abord, ce pont est bien un emblème du progrès, un édifice moderne pour l'époque, partiellement en métal. Il crée métaphoriquement un lien entre le passé et le présent. En plus, lorsque Monet le peint, en 1874, il vient d'être reconstruit après la guerre, il symbolise donc aussi le redressement de la France. D'un point de vue pictural, le pont suspendu entre l'eau et le ciel permet un découpage symétrique de la composition en trois bandes horizontales. Il donne surtout l'occasion aux peintres d'étudier le jeu des reflets sur une surface neutre. Pissarro et Caillebotte s'y intéresseront aussi.
Le progrès, c'est aussi montrer la transformation des loisirs, du moins pour les couches les plus aisées de la population, qui s'essaient de plus en plus aux plaisirs de l'eau.
Gustave Caillebotte peint ici un canotier ramenant vers la rive sa "périssoire", une embarcation de l'époque proche du kayak. Et l'artiste, grand amateur de sport nautique, sait de quoi il parle. Vice-président du Cercle de la voile de Paris, il s'est lancé avec ferveur dans le yachting et a même gagné plusieurs courses à bord de voiliers. Héritier richissime (d'ailleurs mécène des impressionnistes), il est tout à fait représentatif de cette grande bourgeoisie qui part à l'assaut des jeux de l'eau.Il s'appuie sur ses observations sur le vif pour peindre fidèlement les reflets, avec cette belle palette de verts dans la lumière filtrée par les frondaisons. Vous remarquez le cadrage, très inhabituel et dynamique ? L'artiste s'est aussi souvent inspiré de photos, dont celles de son frère Martial.
On l'oublie, mais les impressionnistes ont aussi révolutionné la peinture en introduisant simplement un peu de modestie dans leurs toiles. Finis les grands sujets littéraires ou mythologiques ! Ici, par exemple, John Singer Sargent, peintre mondain américain qui s'est inspiré de la petite touche impressionniste, représente simplement un moment de farniente ! C'est avec ce genre de scène charmante — deux belles endormies encadrées par les joncs et les branches tombantes d'un saule — que l'avant-garde a aussi secoué l'art de la fin du XIXe siècle. Le sujet, très simple, n'empêche pas une grande maîtrise technique pour rendre les vibrations de la lumière au contact de l'eau et des vêtements. Notez l'élégance des modèles : à l'époque, on s'habillait avec autant de soin pour sortir en ville que pour aller à la campagne ou à la plage.
Des vagues pour se jeter à l'eau
Si l'eau a tant passionné les impressionnistes, c'est surtout qu'elle s'est changée en un joyeux terrain d'expérimentation.
Ici, par exemple, Auguste Renoir essaie de saisir différents types de reflets. Remarquez comme les ridules calmes de l'eau, en haut à gauche, s'opposent à celles beaucoup plus contrastées à droite. L'artiste cherche aussi subtilement à rendre la sensation de mouvement avec ce bateau qui semble vouloir sorti du cadre et ces discrètes notes jaunes et blanches — l'écume — le long de l'embarcation.
On découvre aussi que Camille Pissarro, très impressionné par la série des cathédrales de Monet, s'est lancé dans le même type de projet, mais en représentant le port du Havre. Regardez les tableaux ci-dessous, quasiment identiques. Le sujet —un simple port — n'est qu'un prétexte pour étudier l'influence des variations de la lumière et de la météo.
Pour l'anecdote, une maladie des yeux contraignait Pissarro à peindre en intérieur. Il choisit donc, au Havre, une chambre d'hôtel permettant d'observer l'activité du port fluvial. Ici, il est au Continental, dans une pièce possédant trois fenêtres... qui définiront le cadre de ses peintures. Mais regardez bien le cadrage, justement, il n'est pas rigoureusement le même, comme dans les séries de Monet : c'est parce que Pissarro cherche aussi à rendre l'agitation du port, et que si un voilier ou une foule en marche l'intéressent dans sa composition, il les intègre à son tableau.
Les marines sont aussi l'occasion de toiles très personnelles qui peuvent surprendre. Comme lorsque le sage Edgar Degas, amateur de petites danseuses et de courses hippiques, imagine —ci-dessus — des baigneuses nues, monumentales, qui semblent se raidir à cause du froid. Leurs positions très suggestives inspireront en tout cas Gauguin, qui a peint lui aussi de nombreuses déesses marines à la peau cuivrée.
Comme l'explique Sylvain Amic, directeur des musées de Rouen, les impressionnistes s'intéressent à l'eau, "parce qu'il s'agit de l'un des seuls espaces de liberté des peintres de l'époque". En ce temps-là, on demande d'abord aux artistes de faire ressemblant. L'eau, avec ses reflets qui brouillent le réel, se prête aux expérimentations de forme et de couleur les plus folles sans choquer le public ou les collectionneurs. Il est intéressant, d'ailleurs, de voir l'importance que l'élément aqueux a fini par prendre dans les toiles de Claude Monet. Le chef de file impressionniste avait même aménagé un bateau-atelier en 1871 pour peindre des points de vue impossibles à représenter depuis la rive. En voyage de noce, à Venise, il passera son temps sur le bord des canaux.
Au fil de son séjour et des tableaux, l'eau "grimpe" inexorablement et semble submerger les toiles. L'élément aqueux contamine même la surface des bâtiments : remarquez comme le palais Contarini prend ici la couleur bleue.
Mais Monet, plus tard, ira encore plus loin. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à faire un tour à l'Orangerie, à Paris. C'est là que sont exposés ses gigantesques nymphéas, son testament pictural, dont il a fait don à la France. Les plus grands, longs de 17 mètres, ne représentent rien d'autre que de l'eau.
Informations pratique :
- Pissarro dans les ports, Musée d'art moderne André Malraux, 2, bd Clémenceau, Le Havre
Du 27 avril au 29 septembre, 11h-18h, sf sam. et dim. 11h-19h, 6 / 9 euros
- Un été au bord de l'eau, Musée des beaux-arts de Caen
Du 27 avril au 29 septembre, 10h-18h, 6 / 9 euros
- Eblouissants reflets, Musée des beaux-arts, esplanade Marcel Duchamp, Rouen
En mai, juin et septembre : 9h-19h sf mer. 11h-22h. En juillet et août : 9h-19h, 7 / 10 euros
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