Festival d’Avignon 2023 : pour la réouverture de la Carrière de Boulbon, Philippe Quesnes se perd dans un théâtre de l’absurde confus avec "Le Jardin des délices"
L’effervescence du public est à son paroxysme au moment de prendre les navettes en direction de la Carrière de Boulbon, située à 15 km d’Avignon. Après sept ans de fermeture, les spectateurs peuvent enfin découvrir ou redécouvrir ce lieu légendaire du festival d’Avignon, choisi par Peter Brook en personne pour son spectacle Mahâbhârata en 1985.
L’immense enceinte de pierre, jonchée d’oliviers et de pins, avait fermé pour des raisons principalement financières. Le coût pour sécuriser la zone et la protéger des incendies est important. De multiples panneaux rappellent de ne pas fumer.
Boulbon star du spectacle
Une douce odeur de thym enveloppe l’air du site. Au moment de gagner sa place avant le début du spectacle, des habitués constatent qu’un nouveau flanc de la Carrière sera exploité cette année pour le spectacle de Philippe Quesnes, Le Jardin des délices.
Le lieu attire toute l’attention des spectateurs. Pas de scène, ni de décors avant le début du spectacle. Seuls des haut-parleurs sur les côtés rappellent qu’il ne s’agit pas d’une visite du site mais d’une pièce de théâtre.
D'un coup, un bus s’avance lentement, poussé par des personnages tout droit sortis des années 70. Ils portent des pantalons à pattes d’éléphants, des franges, des bottes et des chapeaux de cow-boy, et poussent leur bus appartenant visiblement à la même époque.
Ils piochent à même le sol de la carrière pour déposer ce qui ressemble à un œuf de dinosaure. Les moments absurdes se succèdent sans que l’on sache exactement ce qu’il se passe. Que fait ce groupe au milieu de nulle part ? Qui sont-ils ? Ces questions demeureront sans réponse.
Délices au goût d'incompréhension
Après les succès du spectacle d’ouverture de Julie Deliquet, Welfare, et la danse enflammée de Bintou Dembélé avec G.R.O.O.V.E, Philippe Quesnes laisse le public mitigé. Il joue avec les codes du théâtre de l’absurde sans vraiment réussir à les maitriser. L’intrigue est vidée de toute cohérence ou de logique tout comme les propos tenus sur scène. La pièce joue sur la déstructuration avec des moments particulièrement drôles à saluer, comme les chansons en chœur pas toujours justes, les danses ridicules ou les dialogues sur l’absurdité de la vie. "Quand on veut tuer un serpent est-ce que l’endroit d’où on tire a vraiment de l’importance ?", lance une comédienne aux cheveux longs blonds platine.
Ces moments prometteurs mais décousus, ne parviennent pas à donner à la pièce une unité et un sens qui existe pourtant dans le théâtre de l’absurde. La mise en scène reste une remarquable réussite et s’imbrique parfaitement dans le lieu. La Carrière est un personnage à part entière qui vit, fait gronder le tonnerre, et joue avec les effets pyrotechniques.
Rétrofuturisme
Le public semble apprécier à la sortie du spectacle le monde rétrofuturiste de Philippe Quesnes : "J’étais étonnée que les spectateurs n’aient pas plus applaudi que ça. J’ai adoré. Je comprends que tout le monde n’explose pas de rire parce que c’est particulier", raconte une programmatrice de spectacles de 27 ans qui a déjà collaboré avec le metteur en scène. "Je ne sais pas s’ils sont sur Mars, dans le futur ou dans le passé, mais peu importe, j’ai juste envie d’être avec eux ! Je recollaborerai avec lui sans problème. A l’origine il n’y a rien dans ce lieu. Techniquement, c’est très fort et crédible", poursuit-elle.
Un étudiant de 22 ans en études théâtrales qui vient pour la première fois au festival d’Avignon a conscience de la confusion sur le sens de la pièce : "Quand on fait du théâtre, on brasse du vent, et Philippe Quesnes a mis ça sur scène de la manière la plus merveilleuse possible" explique-t-il. Une question demeure, la mise en scène aurait-elle le même effet en salle ? "Je ne pense pas", répond-il.
Inspirée du Jardin des Délices, le fameux triptyque du peintre flamand Jérôme Bosch (1450-1516), la pièce reprend les allégories d’un monde rêvé entre utopie et fantaisie. Les personnages semblent errer sans raison à la recherche d’un sens à leur existence. "Pas besoin d’un autre monde, le nôtre suffit. Nous ne pouvons pas l’accepter tel qu’il est". Le groupe de personnages veut fuir cette humanité qui se perd, vers un autre monde moins troublé.
Création "Le Jardin des délices" de Philippe Quesne à la Carrière de Boulbon, jusqu’au 18 juillet.
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