Affaire Matzneff : "On est très vigilants, juger à dix, ce n'est pas comme juger seul", assure le nouveau président de l'académie Goncourt
Didier Decoin était l'invité de franceinfo mardi au lendemain de sa désignation comme président de l'académie Goncourt en remplacement de Bernard Pivot.
"Juger à dix, ce n'est pas comme juger seul", souligne le romancier Didier Decoin, invité de franceinfo mardi 21 janvier, au lendemain de sa désignation comme président de l'académie Goncourt en remplacement de Bernard Pivot. Alors que l'affaire Matzneff secoue le monde littéraire, Didier Decoin, membre de l'institution depuis 1995, affirme que l'académie a toujours été "très vigilante". Gabriel Matzneff n'a d'ailleurs jamais reçu le prix Goncourt. L'écrivain de 74 ans, lui même prix Goncourt en 1977, salue par ailleurs le travail "exemplaire" effectué pendant cinq ans par Bernard Pivot et explique pourquoi il y a aussi peu de femmes à l'académie Goncourt.
franceinfo : Bernard Pivot vous a-t-il donné des conseils ?
Didier Decoin : Pendant tout le temps où il a exercé son mandat, il a été tellement exemplaire qu'il suffisait d'ouvrir les yeux et de se déboucher les oreilles, on prenait automatiquement des conseils. C'est quelqu'un qui ne fait pas de sermons, mais qui vous montre comment lui il est, et on a envie de l'imiter parce que c'est bien ! Il m'a appris à remettre les choses à leur place : l'écrivain n'est guère plus qu'un autre citoyen. Il a simplement une autre fonction avec une responsabilité qui est de faire rêver ou d'essayer d'apprendre quelque chose à ses concitoyens, mais il n'est pas au-dessus.
Vous arrivez en pleine affaire Matzneff. Il n'a jamais eu le Goncourt, mais est-ce que cela va désormais changer quelque chose pour vous ? Serez-vous plus vigilants quant aux choix des auteurs ?
Cela fait 25 ans que je suis à l'académie Goncourt et j'ai l'impression qu'on est très vigilants. Juger à dix, ce n'est pas comme juger seul. Il y a eu des ouvrages qui ont été récusés, notamment par notre ami Jorge Semprún parce que c'était écrit par des gens dont le comportement pendant la guerre ne lui avait pas paru correct. On ne l'aurait peut-être pas remarqué, mais lui savait. En ce qui concerne la pédocriminalité, c'est pareil, ça ne serait pas passé. Il n'y a pas que Matzneff, il y a d'autres auteurs… Je ne sais pas si on aurait couronné Nabokov.
Vous êtes membre de l'académie Goncourt depuis 1995. Quelle direction souhaitez-vous lui donner désormais ?
Déjà, Bernard Pivot a fait un travail formidable qui était de légitimer l'académie, de la lever des soupçons qui, parfois, pesaient sur elle. Je crois que, maintenant, notre petit groupe est assez indiscutable. Ce que je voudrais, c'est qu'on comprenne, à l'extérieur, que nous ne sommes pas un jury. Ce n'est pas parce que nous décernons une fois par an le prix littéraire le plus prestigieux de France qu'on est un jury. On a été fondés par les Goncourt comme étant une académie. Et une académie travaille toute l'année. Dans quelques semaines, on va décerner le Goncourt de la nouvelle, le Goncourt du premier roman, le Goncourt de la poésie... Ça passe au-dessus de la tête de beaucoup de gens, mais ça veut dire qu'on a lu, qu'on est en train de lire des recueils de poésie, et qu'on confronte nos points de vue.
Le 11 février prochain, il va falloir également remplacer Virginie Despentes, elle aussi démissionnaire. Il ne reste donc plus que deux femmes pour huit hommes à l'Académie. Est-ce que ce n'est pas l'occasion de rétablir un peu de parité ?
Bien sûr que si. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'on rêve d'avoir des femmes parmi nous. Le problème, c'est qu'il n'y en a pas tellement qui sont prêtes à sacrifier une part de leur travail d'écrivaine pour venir lire les livres des autres. C'est extrêmement chronophage. Il y a déjà trois mois qui sont complètement annihilés par les lectures d'été. J'ai déjà posé la question, au cours des années précédentes, à plusieurs femmes qui sont parmi les très bonnes écrivaines et qu'on a envie d'avoir à notre table et qui m'ont répondu : "Oui mais plus tard, quand j'aurais écrit un peu plus de livres".
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