Essais, livres d'histoire, récits personnels : Robert Badinter était aussi un homme de lettres et une grande plume

Mercredi 14 février sera rendu un hommage national à Robert Badinter, disparu dans la nuit du 8 au 9 février. Retour à cette occasion sur son œuvre littéraire. Il avait publié une quarantaine d'ouvrages, la plupart des essais, mais aussi un opéra, des récits, ou encore une autobiographie et un livre hommage à sa grand-mère.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
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Robert Badinter dans son bureau devant sa bibliothèque, le 27 février 2006. (CATHERINE GUGELMANN / AFP)

L'ancien garde des Sceaux, à l'origine de l'abolition de la peine de mort et de la dépénalisation de l'homosexualité, connu aussi pour ses combats contre l'antisémitisme, est mort à l'âge de 95 ans dans la nuit de jeudi à vendredi 9 février. Grand avocat et grand homme politique, il avait aussi une plume, qu'il a mise au service de ses plaidoiries, mais aussi de ses écrits, une quarantaine d'ouvrages publiés sur une période de près de 70 ans.

Plaidoiries et discours

C'est en tant qu'avocat que Robert Badinter a d'abord œuvré pendant plusieurs années contre la peine de mort. En 1972, il défend Roger Bontems, à qui il ne parvient pas à éviter la guillotine. Dès lors, il s'engage dans son combat contre la peine de mort. Quelques années plus tard, c'est grâce à sa plaidoirie contre la peine de mort en 1977 qu'il sauve Patrick Henry de la peine capitale, ce dernier a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.

Le 17 septembre 1981, Robert Badinter plaide devant l'Assemblée nationale en faveur de l'abolition de la peine de mort. Ce discours historique a conduit le 9 octobre 1981 à l'abolition de la peine de mort en France. Grand admirateur de Victor Hugo, c'est dans une langue vibrante, littéraire, que l'avocat et homme politique déploie son argumentation.

"Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n'y aura plus, pour notre honte commune, d'exécutions furtives, à l'aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées."

Robert Badinter

Discours du 9 octobre 1981 devant l'Assemblée Nationale

Au-delà d'une conviction chevillée au corps, c'est par sa plume et par son éloquence que Robert Badinter est ainsi parvenu à mener à bout son combat. Une grande partie des textes et de ses discours des années 1970 à 2006 ont été rassemblés dans un recueil publié en 2006, aux éditions Fayard, Contre la peine de mort : écrits 1970-2006.

Lors d'un colloque à l'Assemblée nationale en septembre 2021, Robert Badinter réitère l'exercice du plaidoyer, cette fois en faveur de l'abolition "universelle" dans le monde. Un discours qu'il prononce debout et sans notes. Il est alors âgé de 93 ans.

Livres sur la peine de mort

En parallèle de sa carrière d'avocat et d'homme politique, Robert Badinter n'a jamais cessé d'écrire, des essais, des livres d'histoire, des récits personnels et même du théâtre et un opéra. Il a en premier lieu publié plusieurs ouvrages liés à son combat contre la peine de mort. Dans L'Exécution (Grasset, 1973, réédité en 1998 chez Fayard), Robert Badinter fait le récit du procès de Roger Bontems, de ses visites à la prison, de l'exécution. Il y interroge également son métier d'avocat. Dans L'Abolition en 2000, il revient sur les différentes étapes de son combat, qui a duré près de dix ans.

Robert Badinter lors de son discours devant l'Assemblée nationale pour défendre la loi sur l'abolition de la peine de mort, le 17 septembre 1981. (DOMINIQUE FAGET / AFP)

En 2006, il défend l'idée d'une abolition universelle de la peine de mort dans le monde dans Contre la peine de mort (Fayard). "Le jour viendra où il n'y aura plus, sur la surface de cette terre, de condamné à mort au nom de la justice. Je ne verrai pas ce jour-là. Mais ma conviction est absolue : la peine de mort est vouée à disparaître de ce monde plus tôt que les sceptiques, les nostalgiques ou les amateurs de supplices le pensent."

Tous les droits

Robert Badinter a publié et dirigé de nombreux ouvrages consacrés à la justice et à son histoire. Dans Une autre justice, publié en 1989, il revient sur l'histoire de la justice sous la Révolution française, qui a, selon lui, fondé les principes de la justice contemporaine. "C'est le temps où se défait un long passé, où se forgent des institutions judiciaires entièrement nouvelles, fondées sur la souveraineté du peuple et inspirées par la philosophie des Lumières. Jamais notre justice ne connaîtra en si peu d'années un tel bouleversement", écrit-il.

En 2003, il publie Le Rôle du juge dans la société moderne (Fayard- Publications de la Sorbonne), un texte qui rassemble les réflexions émises lors d'un colloque organisé par Robert Badinter et Stephen Breyer sur la montée en puissance du juge et la judiciarisation de plus en plus étendue de la vie sociale.

Dans Le Plus grand bien, il s'interroge sur le Code civil. Dans Le Travail et la loi, publié en 2015 aux éditions Fayard avec Antoine Lyon, il s'intéresse au droit du travail, suggérant d'amender le Code du travail pour simplifier un droit du travail apparaissant selon les auteurs "comme une forêt obscure où seuls les spécialistes peuvent trouver leur voie".

Sur tous les fronts

Il a également consacré des livres à la prison ou à l'antisémitisme et à d'autres sujets de combat. La Prison républicaine est paru en 1992. En 1989, il publie Libres et égaux, L'Émancipation des juifs sous la Révolution française (1789-1791), une histoire qu'il décide de creuser après avoir travaillé sur Condorcet, un homme en politique, un ouvrage qu'il a coécrit avec son épouse Elisabeth Badinter en 1989.

En 1997, il revient sur cette question au centre de ses préoccupations avec Un antisémitisme ordinaire, Vichy et les avocats juifs (1940-1944), ouvrage dans lequel il examine la législation qui a conduit à la déportation des Juifs de France, et plus particulièrement l'attitude de l'administration, des juridictions et des milieux professionnels concernés.

"Ce livre évoque aussi les souffrances morales de ces avocats qui furent exclus du Barreau, comme des confrères véreux, par une loi promulguée par un maréchal de France, incarnation de la gloire nationale, simplement parce qu'ils étaient nés juifs"

Robert Badinter

"Un antisémitisme ordinaire, Vichy et les avocats juifs (1940-1944)"

Dans Vladimir Poutine, l'accusation (Fayard, 2023), Robert Badinter expose les fondements juridiques de l'accusation contre Vladimir Poutine, de crime et d'agression contre l'Ukraine et des crimes de guerre et contre l'humanité commis par les forces russes dont il est le chef suprême.

Autobiographie et récits personnels

En 2011, Robert Badinter fait le récit de son incursion "au pays du pouvoir" dans Les Épines et les roses. Dans ce livre, il raconte de l'intérieur son expérience du pouvoir, ses victoires et ses échecs, entre l'abolition de la peine de mort et son départ de la chancellerie en 1986. "En achevant cet ouvrage, ma conclusion est simple : Lecture faite, persiste et signe", conclut-il.

Dans Idiss (Fayard, 2018), Robert Badinter retrace le destin de sa grand-mère et son épopée pour fuir l’empire tsariste et se réfugier à Paris en 1912. Elle y vit les plus belles années de sa vie avant d’être rattrapée par les affres de la guerre et le nazisme. 

"J'ai écrit ce livre en hommage à ma grand-mère maternelle, Idiss. Il ne prétend être ni une biographie, ni une étude de la condition des immigrés juifs de l'Empire russe venus à Paris avant 1914. Il est simplement le récit d'une destinée singulière à laquelle j'ai souvent rêvé. Puisse-t-il être aussi, au-delà du temps écoulé, un témoignage d'amour de son petit-fils".

Robert Badinter

à propos de son live "Idiss"

Idiss a été adapté en bandes dessinées par Richard Malka et Fred Bernard, aux éditions Rue de Sèvres en 2021.

Couverture de la bande dessinée "Idiss", adaptée par Richard Malka et Fred Bernard d'après l'oeuvre de Robert Badinter, 2021. (RUE DE SEVRES)

Théâtre et opéra

Robert Badinter a publié plusieurs pièces de théâtre, toutes en lien avec la justice. Cellule 107, (Fayard,1995) dans laquelle il revient sur le procès pour homosexualité d'Oscar Wilde. Deux autres pièces seront publiées au crépuscule de sa vie, dans un recueil qui rassemble son œuvre théâtrale (Théâtre I, Cellule 107, Les Briques rouges de Varsovie et C.3.3. Fayard, 2021).

Dans Les briques rouges de Varsovie, Robert Badinter fait un retour sur les racines de son histoire familiale – son père, Simon, juif d'Europe de l'Est, immigré en France en 1919, a été arrêté en février 1943 par la Gestapo, déporté et assassiné dans le camp de Sobibor. Les Briques rouges de Varsovie est le récit de la résistance dans le ghetto de Varsovie à travers un dialogue entre un rabbin et un ouvrier membre du Bund, le mouvement révolutionnaire juif.

"Sur un rayon de ma bibliothèque, depuis près d’un demi-siècle, deux briques cassées sont posées", écrit-il en quatrième couverture pour expliquer le titre de la pièce. "Ce sont des fragments du mur qui entourait le ghetto de Varsovie, dont rien ne subsiste, hormis les souvenirs de quelques survivants et les écrits des contemporains." La pièce a été créée en mars 2023, à Lausanne, dans une mise en scène de Didier Nkebereza.

Cellule 107, enfin, est un dialogue entre Laval, qui vit ses dernières heures avant son exécution à la prison de Fresnes, et Bousquet, son voisin de cellule. En 2023 est paru Affaire classée (Théâtre II) chez Fayard, une dernière pièce de théâtre dans laquelle Robert Badinter met en scène le procès de Jésus, après une longue préface qui revient sur le contexte historique du procès.

Répétition de l'opéra "Claude", composé par Thierry Escaich, mis en scène par Olivier Py et écrit par l'ancien garde des Sceaux et ancien président du Conseil constitutionnel Robert Badinter, le 22 décembre 2013, à l'Opéra de Lyon. (JEFF PACHOUD / AFP)

Enfin, Robert Badinter est également l'auteur d'un livret d'opéra, Claude, créé le 27 mars 2013 à l'Opéra de Lyon, mis en scène par Olivier Py. Ce texte est inspiré du roman de Victor Hugo, Claude Gueux, un plaidoyer contre la peine de mort et les conditions carcérales de l'époque, qui raconte l'histoire d'un homme condamné à la prison pour avoir volé du pain pour nourrir sa famille. En prison, il assassine le directeur et il est condamné à la peine de mort. Il sera guillotiné à la maison centrale de Clairvaux, celle-là même où Roger Bontems fut exécuté de la même manière le 28 novembre 1972…

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