Identité de genre : grosses tensions dans le mouvement féministe sur la place des femmes trans
Accusations de "transphobie" ou d'"invisibilisation des femmes" : de violentes polémiques secouent le mouvement féministe, notamment sur les réseaux sociaux, et mettent en lumière tensions et fractures sur le sujet de l'identité de genre.
L'identité de genre divise les associations féministes. Dernier exemple en date : le mouvement #NousToutes cesse de relayer le décompte des féminicides conjugaux réalisé depuis 2016 par les bénévoles de Féminicides par compagnon ou ex. "Le collectif a tenu des propos transphobes, c'est contraire à nos valeurs", accuse Marylie Breuil, porte-parole de #NousToutes, auprès de l'AFP.
Le 3 janvier 2022, des propos transphobes ont été tenus par un collectif comptabilisant les féminicides conjugaux. Ces propos sont oppressifs, et par ailleurs illégaux. Depuis, une vague de propos transphobes s’exprime librement sur les réseaux sociaux.
— #NousToutes (@NousToutesOrg) January 5, 2022
Les propos mis en cause critiquaient "les aspects toxiques" de la "masculinité antérieure" de certaines femmes transgenres, et répondaient à des insultes et des attaques sur le décompte du collectif "Féminicides", défend Lisa (prénom d'emprunt), membre du groupe. "Ce n'est pas de la transphobie, c'est une réalité scientifique que les femmes trans étaient des hommes avant", ajoute-t-elle.
Guerre sur les réseaux sociaux
Mais pour Claire Vandendriessche, co-porte-parole d'Acceptess-T, association de santé communautaire trans et féministe, de telles paroles "ravivent des traumatismes" chez les femmes trans qui ont subi "une éducation masculine forcée par la famille". Elle souhaite toutefois, comme d'autres associations féministes, "un apaisement du climat".
Le Planning familial a lui affiché son soutien à la décision de #NousToutes de ne plus utiliser le décompte de "Féminicides" et a été attaqué sur Twitter, dénonce sa coprésidente Sarah Durocher.
"L’Etat peut-il continuer à financer le Planning familial (il reçoit actuellement 272 000 euros de subvention annuelle de l’État) sans exiger en retour le retrait immédiat de ce lexique ?" https://t.co/UvQl8xfeFu https://t.co/qAKuSP2esW
— Féminicides Par Compagnons ou Ex (@feminicidesfr) January 12, 2022
Le cas J.K. Rowling
Les militantes et les associations féministes de tous bords observent un climat dégradé, voire violent, dès que le thème de l'identité de genre est abordé : insultes, diffamation, harcèlement etc. "Le sujet est miné", relève Céline Piques, porte-parole d'Osez le féminisme, qui a soutenu le collectif "Féminicides". Elle déplore des "raids très agressifs" envers les féministes sur les réseaux sociaux.
Les commentaires, souvent anonymes, accusent le Planning familial de faire passer les personnes trans avant les femmes et d'invisibiliser ces dernières, jusque dans ses communications. "Le Planning est ouvert à tous et toutes, on utilise un vocabulaire plus inclusif pour que les personnes s'identifient mais ce n'est pas pour autant qu'on enlève le mot femme", déclare Sarah Durocher à l'AFP.
Des figures féministes, accusées de transphobie, ont été attaquées sur les réseaux sociaux ces dernières années, en France comme ailleurs. Au Royaume-Uni, où le statut des personnes trans est l'objet de vifs débats, c'est par exemple le cas de l'autrice de la saga Harry Potter, J.K. Rowling, qui défend l'importance du sexe biologique.
La division fait partie du féminisme
En France, des militantes féministes rapportent des faits de violence lors de manifestations. "On a reçu des oeufs dans le visage, on a été frappées parce qu'on tient cette position de dire qu'être une femme n'est pas un sentiment, c'est une réalité biologique matérielle", témoigne auprès de l'AFP Marguerite Stern, créatrice des Collages contre les féminicides.
Pour l'ancienne Femen, il n'est "pas normal" que les personnes trans, "minoritaires", prennent "autant de place dans le débat", car cela entraîne, selon elle, des mécanismes d'"invisibilisation des femmes".
"La division fait partie du féminisme, cela a toujours été le cas, elle ne porte pas sur les mêmes thèmes selon les périodes", observe Françoise Picq, historienne du féminisme. "Les débats sur le voile et la prostitution étaient tout aussi violents lors des décennies précédentes", rappelle-t-elle.
Deux groupes de féministes
Le sujet de l'identité de genre a émergé récemment en France. Il oppose deux groupes de féministes : les "critiques du genre", qui définissent les femmes à partir de critères biologiques communs et excluent donc les femmes trans de la catégorie, et les "intersectionnelles" ou "inclusives", qui soutiennent que les femmes trans sont des femmes de par leur sentiment et leur expérience individuelle.
"Le féminisme est une question politique et non pas morale, qui relève de la liberté et de l'égalité, deux concepts de la démocratie qui ne se conjuguent pas ensemble facilement", rappelle Geneviève Fraisse, philosophe et autrice d'À côté du genre, sexe et philosophie de l'égalité (repris en poche aux PUF en mars 2022).
Rien d'anormal donc à ce que le mouvement soit traversé de divergences. "C'est un signe de bonne santé politique, nous sommes suffisamment nombreuses pour être en désaccord", souligne à l'AFP Geneviève Fraisse.
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