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Jean Raspail, auteur notamment du "Camp des saints", roman culte de l'extrême droite, est mort à 94 ans

L'écrivain, royaliste et catholique traditionaliste, était hospitalisé depuis la fin du mois de décembre 2019.

France Télévisions - Rédaction Culture
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L'écrivain Jean Raspail photographié chez lui en 2001. (ULF ANDERSEN / ULF ANDERSEN / AURIMAGES VIA AFP)

L'écrivain royaliste Jean Raspail, auteur notamment du livre Le Camp des saints, un roman imaginant avec effroi l'arrivée d'un million de migrants sur la Côte d'Azur, est mort samedi 13 juin, à quelques jours de son 95e anniversaire, a appris l'AFP auprès de son éditeur et de son fils. Hospitalisé à l'hôpital Henry-Dunant à Paris, l'écrivain, catholique traditionaliste, avait reçu vendredi les derniers sacrements et est mort "entouré des siens", a indiqué son fils Quentin à l'AFP.

Farouchement opposé au "métissage"

Jean Raspail était hospitalisé depuis la fin décembre et, en raison de l'épidémie de coronavirus, sa famille n'a pas pu le voir jusqu'à ces derniers jours. "Cette situation a touché beaucoup de familles et c'est vraiment horrible", a confié le fils de l'écrivain.  Admiré par les uns, décrié par les autres, l'écrivain, qui s'était autoproclamé consul général de Patagonie, se défendait d'être d'extrême droite, se définissant comme "royaliste", "homme libre, jamais inféodé à un parti". Il reconnaissait cependant être "ultraréactionnaire", "attaché à l'identité et au terroir" et farouchement opposé au "métissage".

Auteur d'une quarantaine de livres, lauréat du Grand Prix du roman de l'Académie française (en 1981) pour Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie et du prix du Livre Inter (en 1987) pour Qui se souvient des hommes, il restera comme l'auteur du roman Le Camp des saints, un livre sans cesse réédité depuis sa parution en 1973.

"Le Camp des saints", une inspiration "étrange"

Salué comme un "roman culte" par la mouvance nationaliste, qualifié de "raciste" par les autres, Le Camp des saints imagine l'arrivée, une nuit, sur les côtes du sud de la France, de cent navires à bout de souffle chargés d'un million d'immigrants. Ils sont l'avant-garde d'un tiers-monde qui se réfugie en Occident pour y trouver l'espérance. Face à cela, que faire ? C'est ce choc que raconte le livre, tandis que l'auteur s'interroge : "Y a-t-il un avenir pour l'Occident ?"

A propos de cet ouvrage, l'écrivain confiait au magazine Le Point en 2015 : "C'est un livre surprenant. Il a été long à écrire, mais il est venu tout seul. J'arrêtais le soir, je reprenais le lendemain matin sans savoir où j'allais. Il y a une inspiration dans ce livre qui est étrangère à moi-même. Je ne dis pas qu'elle est divine, mais étrange."

En 2015, en pleine crise migratoire en Europe, la présidente du RN, Marine Le Pen, avait invité "les Français à lire ou relire Le Camp des Saints". Samedi, sur Twitter, elle a qualifié le décès de Jean Raspail d'"immense perte pour la famille nationale".

Une jeunesse d'aventurier

Né le 5 juillet 1925 à Chemillé-sur-Dême (Indre-et-Loire), Jean Raspail a d'abord connu une vie de bourlingueur, prenant le large après deux ans d'études de droit avant de se consacrer à l'écriture. Il se considérait comme "un marin manqué, qui a longtemps exploré le monde avant de découvrir que l'écriture est aussi un long voyage". Mais avant cette révélation, il a vu du pays : "Mes universités, ce sont mes voyages." En 1948, il part de Québec à bord d'un canoë avec trois camarades et, sur les traces du père Marquette, un missionnaire jésuite du XVIIe siècle, rejoint La Nouvelle-Orléans, via les Grands Lacs et le Mississippi.

En 1951, il traverse en automobile les deux Amériques dans leur totalité. Ce raid, considéré comme la dernière grande expédition automobile, lui inspire son premier récit de voyage, Terre de feu-Alaska (1952). D'autres suivent : Le Vent des pins (Japon), Terres et peuples incas (Pérou), Terres saintes et profanes (Congo)... Il y aura aussi Le Jeu du roi (1976) ou Pêcheur de lunes (1990). Jean Raspail s'était pris de passion pour la Patagonie, royaume imaginaire dans les terres australes d'Amérique du Sud dont il s'était proclamé "consul général".

Lauréat de plusieurs prix littéraires

En 1981, il écrit ce qui restera son plus grand succès, Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie, ou le destin d'un aventurier français qui débarqua en Argentine en 1860 et se fit proclamer roi d'Araucanie et de Patagonie par les populations locales. Ce livre obtient le prix du roman de l'Académie française. En 1989, puis en 1998, il "occupe" brièvement l'archipel des Minquiers, éparpillement de granit peuplé de lapins, au sud de Jersey, "en représailles à l'occupation des Malouines, territoire purement patagon, par les Britanniques".

Lauréat du prix Chateaubriand et du livre Inter pour Qui se souvient des hommes... (1986), du prix Maison de la presse pour L'Anneau du pêcheur (1995), du grand prix du roman de la ville de Paris pour Sire (1991), il préside, pour le bicentenaire de 1793, le Comité national pour la commémoration solennelle de la mort de Louis XVI.

Jugé pour "provocation à la haine raciale" et relaxé

Jean Raspail, qui se situait politiquement, selon ses mots, à "droite-droite", revient dans l'actualité en 2004 avec une tribune parue dans Le Figaro, intitulée La patrie trahie par la République, qui suscite de vives réactions. Il y prédit "le basculement définitif des années 2050 qui verra les 'Français de souche' se compter seulement la moitié – la plus âgée – de la population du pays, le reste étant composé d'Africains, de Maghrébins ou Noirs et Asiatiques (...), avec forte dominante de l'islam, djihadistes compris". Attaqué en justice par la Licra pour "provocation à la haine raciale", il est finalement relaxé.

En 2008, Le Camp des saints est réédité avec un grand succès. Le roman - un des livres de chevet de Steve Bannon, ancien stratège de Donald Trump - est chroniqué favorablement sur des sites comme celui de l'Action française ou du Rassemblement pour la France. Admiré par les déclinistes et les identitaires, Jean Raspail fait en 2015 la une de Valeurs Actuelles qui le qualifie de "prophète". Au magazine Le Point, cette année-là, il dit à propos des commentaires sur son livre : "Je ne vais pas sur internet, je ne suis pas entré dans le XXIe siècle, je ne sais donc pas ce qu'on y dit."

En 2019, à 94 ans, il avait publié deux romans : Les Pikkendorff (Albin Michel) et La Miséricorde (Les Equateurs), bref roman inspiré du terrible crime du curé d'Uruffe, dans les années 1950. Ce meurtre (un jeune prêtre avait assassiné sa maîtresse, enceinte, puis l'enfant qu'elle portait, non sans l'avoir préalablement baptisé) avait scandalisé la France de l'après-guerre. Jean Raspail avait laissé cet ultime roman inachevé, laissant au lecteur le soin de décider si l'auteur d'un tel crime méritait le salut.

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