"Fille en colère sur un banc de pierre" : une tragédie familiale racontée par Véronique Ovaldé dans un roman à la forme surprenante
Véronique Ovaldé raconte dans ce dernier roman paru aux éditions Flammarion le 4 janvier, l'histoire d'une famille insulaire, marquée par la disparition de la cadette, une nuit de carnaval. La romancière accroche le lecteur avec une narration théâtrale et ironique, qui met en abyme son récit.
L'histoire : après quinze années passées loin de sa famille, Aïda revient à Iazzia, l'île de son enfance, que l'on imagine située au large de la Sicile, pour enterrer son père, Salvatore Salvatore, "dit le vieux" ou "Sa Seigneurie". Aïda est la numéro trois d'une fratrie de quatre filles. Violetta, Gilda, Aïda, et Mimi, ces prénoms, les filles les doivent à la passion pour l'opéra de leur père, "l'un de ces hommes maussades et colériques qui ne retrouvent un semblant d'enthousiasme qu'en écoutant Verdi". Après le drame, il n'adressera plus la parole à sa fille Aïda, pourtant "la préférée".
Le drame, c'est la disparition pendant la nuit du carnaval de sa petite sœur Mimi, dont on la tient responsable, et qui a conduit autrefois à l'exil à Palerme d'Aïda. A son retour sur l'île, sa mère Silvia la prend pour Mimi la disparue, qu'elle n'a pas renoncé après toutes ses années à attendre. Ses deux autres sœurs, Violetta et Gilda, les aînées, l'accueillent avec froideur.
Aïda renoue avec Leonardo, qui fut son amant au début de son exil à Palerme, depuis devenu son beau-frère, le mari de Violetta, sa sœur. Celui-là même qu'elle observait autrefois, "en colère", assise "sur un banc de pierre". Au programme de ce séjour, l'enterrement du vieux, le passage chez le notaire, et surtout un grand flash-back pour Aïda, ramenée quinze ans en arrière au contact des terres et protagonistes de son enfance.
Sa mémoire la conduit jusqu'aux origines de cette famille, avec l'arrivée du père sur l'île à l'âge de 21 ans, embauché comme jardinier apiculteur dans la maison d'une comtesse, "La Demoiselle", "La Gandolfi", au service de laquelle travaille Silvia, qu'il épousera.
Qu'est-il arrivé à Mimi pendant cette nuit du carnaval où Aïda l'avait embarquée dans sa fugue nocturne, une expédition formellement interdite par le père ? C'est ce mystère que dévoile au fil du récit ce nouveau roman de l'autrice de La grâce des brigands (L'Olivier, 2013).
Mise en abyme
A travers ce roman gigogne, la romancière décortique les relations familiales, les secrets qu'elle charrie, les passions qui s'y jouent, de l'amour à la haine, en passant par la jalousie, la duplicité, la culpabilité ou la vengeance. Véronique Ovaldé explore également les différents chemins que chacun tente de se frayer au sein de cette cellule qui structure la vie, ici dans un contexte rendu encore plus aigu car frappé par un drame. Une île, un carnaval : les décors appuient cette idée d'une folie claustrée entre des murs invisibles souvent érigés autour de l'écosystème qu'est la famille.
Toute l'histoire de cette famille figée dans le malheur par le drame de la disparition de la petite dernière est racontée du point de vue d'Aïda, la coupable, mais pas seulement. Apartés, réflexions sur les personnages et les situations, sur la narration elle-même, Véronique Ovaldé déploie son récit à travers la voix d'un narrateur indéterminé mais omniprésent (la romancière ?), qui explique, commente, glose jusqu'au commérage.
Ces didascalies appliquées au roman, glissées entre des parenthèses ou pas, mettent en abyme le récit, marquant une distance permanente avec les faits. Si le procédé surprend, voire agace un peu au début, on finit assez vite par adhérer à cette narration, qui donne une tonalité théâtrale, ironique, voire désinvolte à cette histoire familiale, sans toutefois lui ôter sa dimension tragique et son mystère. Une lecture intéressante et surprenante.
Fille en colère sur un banc de pierre, de Véronique Ovaldé (Flammarion 320 p., 21€, numérique 15€)
Extrait :
"- J'ai pensé t'emmener d'abord à la maison. Tu pourras te délasser, te doucher, te changer, te reposer avant qu'on aille voir maman. De toute façon c'est l'heure de sa sieste. On passera chez elle après.
Leur mère fait donc dorénavant la sieste.
Et Violetta ajoute, mais tout est en vrac - impossibilité de hiérarchiser les informations, précipitation et panique :
- Maintenant maman habite la Grande Maison. On a pensé que ça te ferait plaisir d'y dormir. C'est toujours aussi beau. Tu vas adorer.
Aida regarde sa sœur, interrogative. Ah bon ? Je vais adorer dormir dans la Grande Maison? Elle se dit qu'il va falloir qu'elle arrête de percevoir des sous-entendus dans chacune des paroles de Violetta. Mais c'est difficile. Ça va nécessiter un ajustement de focale. Elle craint un instant que chaque phrase formulée ne soit doublée d'une phrase fantôme. C'est sans doute la règle dans toutes les familles. Tout ce qui se dit vraiment n'est jamais prononce." (Fille en colère sur un banc de pierre, p. 58)
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