"Le Consentement", ou le récit terrible de Vanessa Springora qui, à 14 ans, a vécu une relation d'emprise avec l'écrivain Gabriel Matzneff, 50 ans
Publié aux éditions Grasset, "Le Consentement" est le récit glacial et autobiographique de la liaison d'un homme de 50 ans qui séduit une jeune fille de 14 ans. Vanessa Springora y raconte cette emprise : "Pour prendre le chasseur à son propre piège, il faut l'enfermer dans un livre".
C'est un livre que l'on peut commencer par la fin, avec son post scriptum et l'avertissement au lecteur. Un court texte clair et précis qui dit : "La littérature se place au-dessus de tout jugement moral mais il nous appartient en tant qu'éditeurs de rappeler que la sexualité d'un adulte avec une personne n'ayant pas atteint la majorité sexuelle est un acte répréhensible puni par la loi." Un rappel à la loi face à un récit qui secoue le monde de la littérature avant même sa sortie. Le Consentement, de Vanessa Springora, en librairie le jeudi 2 janvier.
"Le consentement", le récit autobiographique d'une emprise sur une enfant
Le Consentement est un récit autobiographique qui raconte la liaison longue d'une année entre G.M. et V.S. Des initiales qui cachent à peine Gabriel Matzneff, écrivain qui connut une certaine heure de gloire dans le passé, et une jeune fille de 14 ans, l'auteure Vanessa Springora. Il s'agit d'un terrible récit de cette adolescente prise dans les mailles d'un prédateur. V. rencontre G. dans un dîner. Elle est venue avec sa mère ; lui n'aura d'yeux que pour elle. Elle est séduite par un homme de lettres, elle aime les livres.
Elle a 14 ans et a cette phrase assassine : "Dès que j'ai mordu à l'hameçon, G. ne perd pas une minute. Il me guette dans la rue, quadrille mon quartier. ( ..) Nous échangeons quelques mots et je repars transie d'amour." Les scènes de leur sexualité sont des pages où l'emprise de l'homme est détaillée minutieusement, sa délicatesse est celle d'un chasseur. La jeune fille est une proie et ne peut entendre les cris de sa mère : "Tu n'es pas au courant que c'est un pédophile ?" A 14 ans, une mère ne peut détruire l'amour que sa fille croit vivre.
La relation entre V. et G. n'est pas une histoire d'amour
A 14 ans, V. est amoureuse. Mais elle sait que quelque chose ne tourne pas rond. Implacable, l'écriture de Vanessa Springora donne la définition juste de la pédophilie.
A quatorze ans, on n'est pas censée être attendue par un homme de 50 ans à la sortie de son collège, on n'est pas supposée vivre à l'hôtel avec lui, ni se retrouver dans son lit, sa verge dans la bouche, à l'heure du goûter.
Vanessa Springoradans son livre "Le consentement"
Car la relation entre V. et G. n'est pas une histoire d'amour. "G. a fait profession de n'avoir de relations sexuelles qu'avec des filles vierges ou des garçons à peine pubères pour en retracer le récit dans ses livres", décrit l'auteure. Aux côtés de l'intime et de sa douloureuse liaison, Vanessa Springora revient sur l'époque du milieu des années 80, où l'interdiction des relations avec des mineurs était remise en cause. Des appels à la révision du Code pénal sont même signés par les plus grands intellectuels (Aragon, Barthes, Sartre, entre autres) pour dépénaliser les relations sexuelles avec des mineur(e)s. Et la presse, au nom de la libération des mœurs, soutient ceux qui déclarent qu'"empêcher la sexualité juvénile relève de l'oppression sociale".
Le Consentement fait le procès de ce milieu, "cet environnement bohème d'artistes et d'intellos" où les écarts libertaires sont accueillis avec tolérance. La confusion entre mœurs libres et pédophilie avaient bon dos. Et jouir sans entrave, slogan de liberté des années 68, devient sous la plume de Vanessa Springora, un cri de douleur jusqu'au plus profond de son intimité.
Gabriel Matzneff, écrivain dandy aux penchants pédophiles assumés
Qui est Gabriel Matzneff, homme derrière l'histoire ? Son portrait se trouve page 130 du Consentement. "Cet homme n'est pas animé que des meilleurs sentiments. Cet homme n'était pas bon. Il était ce qu'on apprend à redouter dès l'enfance: un ogre", écrit Vanessa Springora. Depuis les années 70, cet homme est dans l'actualité littéraire. Ecrivain dandy libertaire, il était dans le milieu de l'édition perçu comme un esprit libre et transgressif. "Il manie le verbe, comme on manie l'épée", dit encore Vanessa Springora.
Il n'a jamais fait mystère de son goût pour les très jeunes adolescents. Son œuvre littéraire est constituée en grande partie de son journal intime (12 tomes sur une cinquantaine d'années). En 1975, il publie un essai, Les Moins de seize ans, dans lequel il raconte son goût pour les "jeunes personnes", soit les mineurs des deux sexes. En 1975, sur Antenne 2, il déclare aussi, comme le rappelle Le Monde (article en accès abonnés) : "Je pense que les adolescents, les jeunes enfants, disons entre 10 et 16 ans, sont peut-être à l'âge où les pulsions d'affectivités, les pulsions sexuelles également, sont les plus fortes parce que les plus neuves."
Il rajoute : "Et je crois que rien ne peut arriver de plus beau et de plus fécond à un adolescent ou une adolescente que de vivre un amour. Soit avec quelqu'un de son âge (…), mais aussi peut-être avec un adulte qui l'aide à se découvrir soi-même, à découvrir la beauté du monde créé, la beauté des choses." C'était il y a 45 ans.
"Le Consentement", un "#metoo" littéraire ?
Quelques années plus tard, sur le plateau d'Apostrophes, l'écrivain est interpellé par Denise Bombardier, chroniqueuse et romancière canadienne. Dans son pays, dit-elle, "une telle situation, se vanter dans ses livres des conquêtes de si jeunes filles seraient inenvisageable, les droits de l'enfant ont évolué chez nous." Nous sommes en 1990, et peu d'intellectuels ou journalistes français soutiennent Denise Bombardier. Pire, c'est elle qui est accusée de démolir un monument de la littérature. Le Paris littéraire de l'époque adulait Matzneff.
Aujourd'hui, on attend les réactions à la lecture du Consentement de Vanessa Springora. Après le témoignage de l'actrice Adèle Haenel qui a ébranlé le monde du cinéma, il est certain que ce récit pose question, comme l'écrit son auteure à la page 193 : "Tout autre individu qui publierait (..) la description de ses ébats avec un adolescent philippin ou se vanterait de sa collection de maîtresses de quatorze ans (...) serait immédiatement considéré comme un criminel. La littérature excuse-t-elle tout ?" Cette interrogation sera celle de la rentrée littéraire de janvier 2020 et le monde de l'édition devra bien y répondre. Si Gabriel Matzneff n'a jamais été inquiété à ce jour, la publication du Consentement pourrait changer la donne.
Le Consentement de Vanessa Spingora
(Grasset, 216 pages - 18 euros, en librairie le 2 janvier)
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