"Que du vent" : dans le dernier roman d'Yves Ravey, une femme demande à son amant de vider le coffre-fort de son mari
Après Taormine, roman sur l'explosion d'un couple en villégiature en Sicile, prix des libraires de Nancy - Le Point 2022, Yves Ravey scrute dans ce 19e roman, une étrange relation entre un mari, sa femme et son amant, sur fond de braquage entre amis. Que du vent paraît aux éditions de Minuit le 29 août.
L'histoire : Barnett Trapp, le narrateur, ancien militaire passé par la guerre en Irak, fait commerce de produits d'entretien discount qu'il stocke dans l'entrepôt jouxtant sa maison. Une affaire qu'il vient de lancer après avoir fait faillite dans les ambulances. Il vient aussi d'être quitté par sa femme, Josefa, en instance de remariage avec un professeur d'histoire, et il ne voit plus son fils David. Il observe aux jumelles sa voisine Sally, une belle femme rousse mariée à un certain Miko, patron d'une entreprise de blanchisserie. Un peu plus loin dans ce quartier désertique en plein développement, il y a aussi la maison de Steve et Samantha, qui auront un rôle à jouer dans cette aventure.
Tout commence le jour où Miko propose à Barnett de venir boire un verre. "Ma femme sera ravie de vous accueillir." Quelques confidences et l'ennui rapprochent les deux voisins, qui finissent par devenir amants. Une fois harponné, Barnett, empêtré dans ses problèmes d'alcool, de dettes et ses déboires post-conjugaux, se laisse entraîner dans les plans machiavéliques de Sally pour dépouiller son mari Miko.
La vérité dans le mensonge
Voilà la trame d'un scénario digne d'un film de braquage à l'américaine. Mais là n'est pas l'essentiel, comme toujours chez Ravey. Une fois encore, l'écrivain s'attache à scruter un milieu, une géographie sociale, la personnalité de ses personnages, et les relations qu'ils nouent et entretiennent entre eux. Autant d'aspects que le romancier développe en arrière-plan, mais qui finissent par prendre le dessus, reléguant l'intrigue policière au second plan, pour mieux la faire revenir sur le devant de la scène dans les dernières lignes.
Ici le personnage principal est le narrateur. On découvre ainsi toute l'histoire de son point de vue. Mais, et c'est tout l'art narratif subtil d'Yves Ravey, le récit distille toutes sortes d'informations et d'indices glissés dans les dialogues, dans les propos repris dans le monologue intérieur, ou dans les situations. Autant d'éléments qui finissent par faire émerger, au-delà du discours du narrateur, une vérité des personnages avec un point de vue beaucoup plus objectif, beaucoup plus large. Cette narration engage l'interprétation du lecteur, qui dispose pour se faire une idée de ce que dit le narrateur, mais aussi de tout ce qui lui échappe.
"Deux choses nous rapprochaient, Sally et moi, je le savais : la fuite et l'argent"
"Que du vent"p. 73
Comme il l'avait fait dans son précédent roman, Yves Ravey brosse le portrait d'un homme pathétique. Lâche, jaloux, avide, dans le déni, peu enclin à l'autocritique, Barnett n'en est pas moins hanté par le doute. Le mensonge et la vérité, thèmes de prédilection de l'écrivain, sont ainsi au centre de ce nouveau roman, qui pose une fois encore la question de la fiction, celle que le romancier nous propose, mais aussi celle que les humains passent leur temps à se raconter pour mieux supporter la réalité.
Ainsi, dans une économie remarquable de mots et en utilisant avec une certaine ironie les stéréotypes d'un genre qu'il ne cesse dans toute son œuvre de réinventer, Yves Ravey parvient à plonger dans les replis les plus sombres et les plus misérables de l'âme humaine.
"Que du vent", d'Yves Ravey, Editions de Minuit, 128 p., 17 €, sortie le 29 août 2024
Extrait :
"Dans mon esprit, c'était évident, David reviendrait, un jour ou l'autre, chez moi. J'ai assuré à Josefa que je ne vendrais pas la maison - car je savais très bien qu'elle voulait s'en séparer - sans que David ait dormi de nouveau dans sa chambre. Josefa m'a demandé si j'étais prêt à l'écouter, cette fois. Elle a voulu savoir si je lui répondrais avec franchise, et d'abord, c'était primordial, où en étais-je avec la boisson ? Ma réponse fut très claire, il n'y avait plus de problème. Elle a soupiré qu'elle m'avait si souvent entendu dire ce genre de choses qu'elle en venait à se demander si je serais un jour ou l'autre en mesure de lui dire la vérité." (Que du vent, p. 28-29)
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