"Taormine" : un nouveau polar décalé d'Yves Ravey sous le ciel de Sicile
Ce nouveau roman d'Yves Ravey nous embarque dans un projet de voyage idyllique en Sicile, qui va tourner au cauchemar.
Le romancier Yves Ravey, auteur d'Un notaire peu ordinaire (2013) ou de Trois jours chez ma tante (2017), publie dans cette rentrée littéraire Taormine, l'histoire d'un voyage touristique en Sicile qui tourne au cauchemar pour un couple en instance de séparation. Taormine est publié aux éditions de Minuit et paraît le 1er septembre 2022.
L'histoire : Melvil a décidé d'offrir à sa femme Luisa une escapade en Sicile. Son couple bat de l'aile, et il espère que ces vacances leur apporteront "le calme et le repos" dont ils ont tant besoin, et aboutira peut-être, qui sait, à une réconciliation. Arrivés à l'aéroport (première erreur), ils décident de quitter l'autoroute pour aller voir la mer. Sur le chemin, la voiture heurte violemment un obstacle. Melvil intime à sa femme l'ordre de rester dans la voiture, et ils reprennent la route.
Après une nuit passée dans un village à dormir dans la voiture, ils arrivent enfin à l'hôtel, où (deuxième erreur) ils s'enquièrent auprès du personnel d'un carrossier où réparer en toute discrétion l'aile de leur voiture complètement défoncée par l'accident.
Sous-entendus
On retrouve la patte d'Yves Ravey, imbattable pour installer des atmosphères inquiétantes, l'air de rien. Derrière l'histoire que le romancier nous raconte, presque badine, se cache une vérité des personnages, des situations, et du monde, qui se révèle peu à peu entre les lignes, dans les non-dits, dans les sous-entendus.
D'une écriture descriptive, à l'os, faussement neutre, le romancier parvient à dessiner cette histoire trouble, ses tenants et ses aboutissants, avec une netteté étonnante. L'intrigue est développée à la première personne, du seul point de vue de Melvil, que l'on découvre au fil du récit être un homme lâche, égoïste, calculateur et paresseux.
Ce personnage mesquin incarne et concentre en lui-même tous les travers de la société que le romancier épingle avec ironie, en décrivant un monde où règnent des rapports de domination qui s'exercent à l'échelle du couple, mais aussi de la société, et même du monde.
Le piège
En situant l'action de son roman sur des terres où cohabitent sans se croiser (sauf accident) les touristes en goguette et les migrants qui échouent chaque année par milliers sur ses côtes, l'auteur décrit un monde fracturé, peuplé d'individus mus par leurs seuls intérêts, obnubilés qu'ils sont par leurs petites névroses.
Le propos n'est jamais directement revendicatif, c'est la juxtaposition des faits, leur enchaînement, qui donne à voir une réalité révoltante. Mais le romancier reprend la main, et se charge, tel un démiurge (avec l'aide d'une belle galerie de personnages sans scrupules) de refermer le piège dans lequel Melvil a précipité son couple. Du grand art.
Taormine, d'Yves Ravey (Editions de Minuit, 140 pages, 16 €)
Extrait :
"Sorti de l'aéroport de Catane-Fontanarossa, j'ai engagé la voiture de louage dans le premier rond-point vers le Nord, direction Taormine. L'idée que nous commencions nos vacances me réchauffait le cœur. De temps à autre, Luisa tournait les pages de son guide touristique de la Sicile. Ainsi j'oubliais nos derniers instants passés ensemble, proches de la séparation, car cela vaut la peine d'être retenu : après ces journées difficiles, nous avions besoin, l'un comme l'autre, de calme et de repos." (Taormine, page 9)
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