Le dernier tome des "Sept sœurs" de Lucinda Riley en librairie : retour sur un phénomène littéraire mondial
Dans les transports en commun, sur Instagram, sur Tik Tok ou bien dans les rayons des librairies, ses livres s’affichent partout. Lucinda Riley est une autrice irlandaise très en vogue et cela se voit sur les réseaux sociaux. Comme les stars, elle a même ses fans, et ce partout dans le monde. Ses romans mettent au jour des héroïnes et des secrets, des histoires de famille, entre passé et présent. Le succès ne se dément pas. Sa plume a été traduite dans 37 langues et certains de ses livres ont été vendus à plus de 25, 30 ou 40 millions d’exemplaires. Alors, qu’est-ce qui plaît autant chez cette romancière ?
Lucinda Edmonds, née le 16 février 1965 à Lisburn, en Irlande du Nord, a d’abord fait carrière dans la danse mais une maladie la contraint à abandonner ce projet à l’âge de 22 ans. Elle devient ensuite actrice au théâtre, à la télévision et au cinéma tout en écrivant à côté. Son premier roman, Lovers and Players, paraît alors qu’elle a 24 ans et devient tout de suite un best-seller. Ce sera le début d’une toute nouvelle histoire, même si elle fait une pause pour s’occuper de ses quatre enfants.
En France, Lucinda Riley, son nom de plume, a été publiée chez City dans les années 2010 avant de devenir une autrice majeure des éditions Charleston, une maison d’édition appartenant au groupe Leduc et dont l’ambition est de raconter des histoires avec des "femmes fortes et inspirantes". Ce qui coïncide parfaitement avec les romans de Lucinda Riley. La maison d’édition a publié 20 de ses romans. Cela aurait pu continuer mais l’autrice est malheureusement décédée d’un cancer le 11 juin 2021, à l’âge de 56 ans. Si elle n’a pas eu le temps d’achever le huitième et dernier tome de sa saga au succès international, Les Sept sœurs, elle avait anticipé son élaboration : Atlas, l’histoire de Pa Salt a donc été rédigé par son fils, Harry Whitaker, et paraît jeudi 11 mai. La série raconte l'histoire de sept filles qui ont été adoptées à différents endroits du monde par un milliardaire, Pa Salt. Autant dire que l'œuvre semi-posthume, qui achève la saga, est très attendue par les fans.
Troisième autrice étrangère la plus lue en France en 2022
Karine Bailly de Robien, directrice générale des éditions Leduc, a été la première chez Charleston à voir le potentiel de Lucinda Riley. C’est en 2014, lors d’un salon international à Londres, qu’elle voit Lucinda Riley mise en avant partout. Elle contacte alors l’écrivaine sur son site Internet pour lui témoigner son intérêt et trouve dommage qu'elle ne soit pas plus visible en France. Le mari de Lucinda, qui est aussi son agent, lui répond dix minutes après. Une rencontre est alors prévue avec l’éditrice, qui se rend dans l’une des maisons du couple en France, à La Croix-Valmer (Var). Elle décrit une autrice "très inspirée, comme connectée à quelque chose de plus grand qu’elle". La saga des Sept sœurs n’est alors qu’un projet pour l’autrice. L’éditrice française raconte : "Pour moi, c’était vraiment le best-seller assuré. Il répondait à ce que je considère comme les critères d’un best-seller. Il y a des ressorts qui rappellent d’autres livres qui ont bien marché et en même temps il y a quelque chose d’unique, qu’on ne trouve pas ailleurs." De quoi répondre aux attentes des lecteurs, tout en apportant quelque chose de nouveau et en renouvelant ainsi le genre.
"Il y a à la fois les ressorts un petit peu habituels du roman féminin avec des femmes qui ont une personnalité forte, auxquelles on a envie de s’identifier, le côté transmission, secrets de famille… tous ces codes qu’on trouve dans les romans féminins et qu’on retrouve dans cette série-là mais qui sont vraiment très bien maîtrisés", rapporte Karine Bailly de Robien. Sans compter deux autres caractéristiques du genre : le côté page-turner (roman qui se lit avidement) et la concomitance entre deux temporalités, avec une partie qui se passe de nos jours et une partie qui se passe dans le passé. "Et en même temps, il y avait quelque chose de très différent, d’unique, qu’on n’avait pas vu ailleurs, c’était la métaphore des Pléiades, les constellations avec sept sœurs, qui donne une dimension beaucoup plus spirituelle, mythologique à la saga", conclut-elle.
Le tome 1 des Sept sœurs sortira en 2015 dans la maison d’édition, puis la série sera reprise chez Le Livre de poche à partir de 2020. Aujourd’hui, Charleston a donc publié huit tomes de la série et 12 standalones (romans seuls). Depuis deux ans, Lucinda Riley figure dans le top 10 des auteurs les plus vendus en France alors que seulement deux auteurs étrangers sont présents sur cette liste, les écrivains français étant privilégiés par le lectorat français. C’est donc la troisième autrice étrangère la plus lue en France en 2022. Un cas exceptionnel puisque "c’est une romancière femme. Il y a dix ans, les listes des meilleures ventes, c’était à 90 % des hommes. Et en plus, elle est étiquetée dans un genre qui n’a pas forcément une bonne image de marque en France qui est le genre de la littérature féminine donc cela fait qu’il y avait quand même des difficultés pour la faire connaître ", explique Karine Bailly de Robien.
La reconnaissance est désormais assurée. Le nombre de lecteurs de Lucinda Riley en France a décuplé entre 2015 et aujourd’hui. Comme le constate la maison d'édition Charleston, les lectrices sont aussi bien des adolescentes que des grands-mères et les posts sur Lucinda Riley sont aimés par un peu plus de 90 % de femmes. Les débuts n’ont pourtant pas été simples car si l’engouement s’est étendu sur les réseaux sociaux, les librairies indépendantes n’étaient pas intéressées par la série au départ.
La saga des "Sept sœurs", un phénomène mondial
"Je me souviendrai toujours de l’endroit où je me trouvais et de ce que je faisais quand j’ai appris que mon père venait de mourir." C’est ainsi que commence chacun des sept tomes qui composent la saga des Sept sœurs, écoulée à 50 millions d’exemplaires dans le monde depuis 2014. L'autrice était revenue sur la genèse de cette saga avec des lectrices de Charleston en 2017 : "En janvier 2013, je réfléchissais à ma prochaine histoire. Je voulais trouver un angle plus général, ajouter un élément de mon passé/présent d’auteur, quelque chose qui nous pousserait dans nos retranchements, mes lecteurs et moi. J’ai toujours été fascinée par les étoiles – en particulier par les Sept Sœurs de la ceinture d’Orion, et pendant une nuit glaciale dans le Nord de Norfolk, j’ai regardé le ciel, en pensant aussi à mes sept enfants… L’idée m’est venue d’une série de sept livres, basés sur l’allégorie de la légende de la constellation des Sept sœurs." Chaque tome raconte ainsi l’histoire d’une sœur, à différents endroits du monde : Rio de Janeiro, la Norvège, la Grèce, l’Angleterre, l’Australie en passant par l’Extrême-Orient.
Si le succès de la série se répand autant, c’est peut-être en partie grâce au bouche-à-oreille. Hanan, 35 ans, croisée sur le quai d’un métro avec le tome 1 sous les yeux, s’est vu prêter le livre par une collègue et depuis, "elle ne peut plus s’empêcher de le lire". Si elle a eu du mal à accrocher dans les premières pages, elle aime le fait que l’écriture aille "droit au but. C’est très facile à lire. Je n’aime pas trop quand on donne beaucoup de détails et là ce n’est pas le cas". Il y aussi les fans de la première heure, comme Stéphanie, 30 ans, qui fait également partie des "victimes collatérales". C’est une amie, Mélusine Huguet, qui lui a conseillé la série. Et depuis, elle a lu les sept tomes intégralement deux fois. "Elle a ce don de me transporter vraiment à une autre époque. Je découvre l’histoire d’un pays à travers ses personnages", déclare la Strasbourgeoise, qui a pu rencontrer l’autrice en 2017. C’est tout l’univers de la série qu’elle apprécie, au point de se rendre dans les villes dans lesquelles a lieu l’histoire : avec son mari, elle a prévu de visiter Nice en mai, Paris en juillet et Rio en octobre, en se rendant sur les lieux exacts qui sont cités dans les romans.
Le succès n’a pas de frontières. Lucinda Riley est notamment numéro 1 des ventes aux Pays-Bas, en Norvège, en Suède… et égaement en bonne place en Angleterre. Le phénomène littéraire pourrait également se prolonger car les droits de la saga ont été rachetés par la société de production hollywoodienne de Raffaella de Laurentiis en 2016. La série télévisée pourrait sortir en 2025.
"La prêtresse du page-turner"
En tout, Lucinda Riley a publié 23 romans durant sa carrière. En-dehors de la saga, le livre La jeune fille sur la falaise est le roman qui a le plus marché chez Charleston, avec près de 150 000 exemplaires vendus. Ensuite vient Le domaine de l’héritière, qui est pourtant tout juste sorti en novembre 2022, avec 60 000 exemplaires. Sur son compte Instagram livresse_delire_delivre, Louise explique à propos de ce roman : "Son écriture est douce, fluide mais surtout très immersive. Elle amène souvent de la poésie dans ses descriptions et nous emporte entièrement."
La "méthode Lucinda Riley" : des mystères, des indices et au final des secrets révélés, avec des allers-retours entre passé et présent, pour le plus grand plaisir des lectrices. Au-delà de ces caractéristiques, l’autrice a malgré tout réussi à se renouveler. "Elle n’a pas toujours fait la même chose en fait donc à chaque fois que j’ouvre l’un de ses romans, c’est une surprise", rapporte Stéphanie, qui partage ses lectures sur son compte Instagram Sorbet Kiwi. Comme son unique roman policier, Les mystères de Fleat House. Dans ce roman comme dans les autres, Lucinda montre son talent pour façonner des personnages. S’ils n’ont a priori pas de liens les uns avec les autres, c’est vite oublier que l’autrice tire les ficelles derrière. "Je pense que ses romans sont vraiment humains parce que que ce soit un thriller, le côté contemporain ou le côté historique de ses romans, ses personnages sont toujours très travaillés. Du coup, cela peut même avoir un côté un peu psycho je trouve."
Ce n’est pas un hasard si l’autrice est qualifiée de "reine du roman féminin", une appellation qu’elle-même n’aimait pas, préférant le terme de "romancière" à une étiquette. Son style "est terriblement efficace" pour Karine Bailly de Robien. "Ce que j’admire le plus chez elle, c’est vraiment sa capacité à faire en sorte que le lecteur soit happé. En fait, elle ne nous laisse aucune chance pour ne pas passer la nuit à lire son roman. Elle a une efficacité dans le rythme. C’est la prêtresse du page-turner. C’est vraiment un cas d’école."
Une histoire à suivre
C’est le fils aîné de Lucinda Riley, Harry Whittaker, qui a eu la lourde responsabilité de rédiger l’épilogue de la saga des Sept sœurs. Jusqu'à présent écrivain jeunesse, c’est la première fois qu’il écrit un roman. Lucinda Riley avait déjà travaillé avec lui sur leur série pour enfants The Guardian Angels (Les Anges gardiens). Ce dernier roman donnera la clé de l’intrigue sur qui est Pa Salt, le père adoptif des sept filles. "C’était assurément un défi de faire en sorte que tout soit relié de la manière la plus crédible possible", a déclaré Harry Whittaker à l’AFP. Le secret a été d’autant bien gardé jusqu’à la parution car le livre a fait l’objet d’un embargo mondial. En France, pour le huitième tome, un tirage de 120 000 exemplaires a été prévu, mais une réimpression de 30 000 livres a été relancée avant même la sortie.
Au moment où paraît cet article, Stéphanie doit être dans un état de fébrilité absolue. Elle a évidemment précommandé le tome 8 des Sept sœurs dans une librairie. Demain, vendredi 12 mai, elle a posé un congé exprès avec sa meilleur amie Marielle pour une "journée dédiée à la découverte du tome 8". De quoi savourer chacune des 800 pages de ce qui s’avère être la fin d’une saga. Mais que les fans se rassurent. L’histoire n’est pas complètement terminée. Charleston publiera en 2024 deux nouveautés grands formats : une nouvelle traduction du roman La Rose de minuit (déjà paru en France en 2014 chez City) ainsi qu’un inédit en fin d’année. D’autres livres de Lucinda Riley pourraient être publiés en 2025. Après tout l’autrice, qui aimait tellement disséminer des secrets dans ses ouvrages, a peut-être laissé derrière elle des histoires inédites…
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