Les dix polars et thrillers à (s')offrir pour les fêtes de fin d'année

Le roman noir se saisit des thèmes sociaux et politiques actuels et bouscule les certitudes. Avec humour et férocité.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Rayon polars et thrillers de la librairie Le Merle moqueur, à Paris, le 13 octobre 2024. (MOHAMED BERKANI / FRANCEINFO CULTURE)

Genre littéraire à part entière, le roman policier ne connaît pas la crise et continue de croître année après année. De Percival Everett à Hervé Le Corre, en passant par Lars Kepler ou encore Benoît Philippon, le thriller continue de sonder la société. Comme toute sélection, ce choix est forcément subjectif et non exhaustif.

1 "Châtiment" : Percival Everett fait payer les crimes

Drôle, fin, hilarant et brûlot contre le trumpisme, Châtiment est LE roman à ne pas rater. Percival Everett signe avec ce thriller d'une grande originalité une œuvre addictive et jouissive. L'auteur d'Effacement nous embarque dans une petite ville du Mississipi, Money, secouée par des meurtres d'hommes blancs. Sur chaque scène de crime, les policiers trouvent un second cadavre qui ressemble comme deux gouttes d'eau à Emmett Till, un garçon noir lynché dans la même ville en 1955. Dépassée par les événements, la police locale est secondée par des agents très spéciaux. Au fil des pages, entre deux fous rires, le lecteur est saisi par le tableau d'une société en prise avec son passé qui ne passe pas et avec un présent désespérément violent. Indispensable.

(Châtiment, Percival Everett, traduit par Anne-Laure Tissut, Actes Sud, 22,50 euros)

Couverture du livre "Châtiment" de Percival Everett. (EDITIONS ACTES SUD)

2 "Qui après nous vivrez" d'Hervé Le Corre : le futur n'a pas d'avenir

Hervé Le Corre sonne le glas dans ce livre crépusculaire. Il siffle avec Qui après nous vivrez (éditions Rivages/Noir) la fin de la récréation, de l'insouciance. L'ancien professeur de lettres acte la fin d'un monde. L'idée de ce livre lui est venue pendant le confinement, avec cette lancinante et angoissante question : demain a-t-il un futur ? Demain n'est pas loin, il se situe à la moitié du XXIe siècle, il arrive dans moins de trente ans. Pourtant, ce futur décomposé ressemble furieusement à un passé lointain où le vernis social craquelle de toutes parts. C'est dans une ambiance post-apocalyptique que se déroule cette dystopie qui met en avant la crise climatique, la fin d'un système politique et économique à bout de souffle, la résurgence des vieux démons, mais aussi un combat pour ne pas désespérer de l'humanité. Dans ce monde sans technologie, Hervé Le Corre nous raconte sur trois générations la naissance d'une utopie. Engagé, féministe, lumineux.

(Qui après nous vivrez, Hervé Le Corre, éditions Rivages/Noir, 21,90 euros)

Couverture du livre "Qui après nous vivrez "d'Hervé Le Corre. (EDITIONS RIVAGES)

3 "L'Araignée" : Lars Kepler tisse sa toile

Comme un animal pris dans les phares d'une voiture, le lecteur se retrouve happé dès les premières pages. Le dernier livre de Lars Kepler, pseudonyme du couple d'écrivains Alexander et Alexandra Ahndoril, L'Araignée (Actes Sud) est fascinant par son originalité et par son rythme. On retrouve le célèbre duo d'inspecteurs, alter ego des auteurs Joona Linna et Saga Bauer. Cette fois-ci, ils affrontent un tueur en série particulièrement retors qui nargue la police en envoyant une figurine avant chaque disparition. Au total, neuf victimes sont annoncées. Toutes sont proches de l'enquêtrice Saga Bauer. Et Joona Linna est la neuvième cible. La toile, tissée par l'assassin, laisse peu de liberté aux policiers, pris dans une course contre-la-montre mortifère. L'Araignée, un thriller psychologique sombre et haletant.

(L'Araignée, Lars Kepler, traduit du suédois par Mariane Ségol-Samoy, Actes Sud, 24,50 euros)

Couverture du livre "L’Araignée" de Lars Kepler. (EDITIONS ACTES SUD)

4 "Papi Mariole" : un roman qui fait du bien

Quelque part entre Donald Westlake et Daniel Pennac, entre un éclat de rire salvateur et une bienveillance désintéressée, Papi Mariole (Albin Michel) est un voyage au bout de la jubilation. Benoît Philippon signe un livre hilarant, plein de tendresse et d'humanisme. Et d'une originalité explosive. Papi Mariole, atteint de la maladie d'Alzheimer, n'en peut plus d'attendre la mort dans son Ehpad. Alors, il prend la poudre d'escampette. Parce que Mariole a une mission à accomplir. Laquelle ? Il ne se souvient plus. Maudit Alzheimer. Mariole est tueur à gages, ça complique un peu sa tâche. En compagnie de Mathilde, victime de revenge porn, et Madame Chonchon, sa truie de compagnie, Papi part en guerre pour réparer les injustices, et rendre ce monde un peu plus vivable. On rit souvent avec Papi Mariole, et entre deux éclats de rire, deux sourires, on réfléchit aussi. Jubilatoire.

(Papi Mariole de Benoît Philippon, Albin Michel, 19,90 euros)

Couverture du livre "Papi Mariole" de Benoît Philippon. (EDITIONS ALBIN MICHEL)

5 "L'Inuite" : Mo Malø sonde le passé

Mo Malø prouve, une fois encore, avec L'Inuite (La Martinière), tout son talent d'écrivain qui sait tenir en haleine son lecteur de la première à la dernière page. Qui est donc Paninguaq Madsen, dite l'Inuite, l'énigmatique sage-femme ? Une belle âme altruiste ou une dangereuse criminelle lancée dans un règlement de comptes ? Pourquoi est-elle toujours présente sur les lieux du crime ? Et que s'est-il passé dans les années 1950 ? Quels étaient les objectifs des autorités danoises en lançant une expérience déshumanisante sur 22 enfants inuits en bas âge, censés devenir plus tard l'élite de Groenland ? Quel a été leur sort ? Quel est le résultat de cette acculturation au forceps ? Mo Malø mène deux narrations parallèles en entrecroisant une investigation sur des meurtres et une enquête sur des enfants arrachés à leurs familles. Y a-t-il un lien entre les deux histoires ? Mo Malø, pseudonyme de l'écrivain français Frédéric Mars, plonge son roman noir dans des brûlures encore vives. Original.

(L'Inuite, Mo Malø, La Martinière, 21 euros)

Couverture de "L'Inuite" de Mo Malø. (EDITIONS DE LA MARTINIERE)

6 "Rat Island" : le darwinisme social selon Jo Nesbø

Le pire n'est peut-être pas certain, mais il peut advenir. L'écrivain norvégien Jo Nesbø n'est pas réputé pour son optimisme. Au contraire. Il désespère de l'espèce humaine. Dans Rat Island, recueil de cinq nouvelles, le créateur du célèbre personnage Harry Hole situe ses récits dans un avenir proche, dystopique, dans lequel l'État est remplacé par des intérêts privés. L'élite, complètement déconnectée, vit en haut d'un gratte-ciel et tout en bas de l'échelle règne une forme de darwinisme. Un équilibre, ou plutôt un déséquilibre, précaire. Jo Nesbø se montre sceptique quant au progrès scientifique. Dans la plus courte nouvelle du livre, L'Antidote, récit glaçant sur le pouvoir et l'ambition, il laisse éclater tout son talent d'écrivain déroutant.

(Rat Island, Jo Nesbø, traduit par Céline Romand-Monnier, Gallimard, 21 euros)

Couverture du livre "Rat Island" de Jo Nesbø. (EDITIONS GALLIMARD)

7 "Un autre éden" : l'enfer, selon James Lee Burke

James Lee Burke ne désespère pas de la nature humaine. Chacun de ses livres est un événement, une occasion de retrouver des personnages attachants et familiaux. Avec Un autre Eden, nous voilà à la fois en terrain connu et dans une nouvelle contrée. Un air de déjà-vu et une ambiance mélancolique typiquement burkéenne. À 87 ans, James Lee Burke continue d'ausculter la société américaine avec tendresse et férocité. Nous sommes dans les années 1960, dans l'Ouest américain. On suit Aaron Holland Broussard, écrivain en recherche d'inspiration, à bord de wagons de marchandises. Déjà présent dans Les Jaloux, le personnage trouve l'amour dans la région de Denver. Avant que la violence ne s'abatte. Immanquable.

(Un autre éden, James Lee Burke, traduit par Christophe Mercier, Payot et Rivages, 22 euros)

Couverture du livre "Un autre Eden" de James Lee Burke. (EDITIONS RIVAGES)

8 "Le Pouilleux massacreur" d'Ian Manook : rêver trop grand

Avec son écriture alerte, raffinée, un peu désenchantée et nerveuse, Ian Manook plonge le lecteur dans les années 1960. Par un sens de la formule qui fait tilt, il décrit les ambitions contrariées d'un homme qui veut s'extraire de sa condition sociale et de son milieu géographique, d'un homme qui rêve trop grand pour son HLM. Dans ce roman noir initiatique écrit à la première personne, Le Pouilleux massacreur (éditions La manufacture de livres), Ian Manook s'attaque au déterminisme social et met à nu les mécanismes d'exclusion. "Je m'appelle Sorb, c'est le diminutif de Sorbonne. Ceux de la bande m'ont donné ce surnom parce qu'ils me trouvent plus instruit qu'eux." La bande s'amuse, chahute, s'ennuie. Puis un accident arrive : une femme meurt à cause de l'un des leurs. Commence la descente aux enfers. Captivant.

(Le Pouilleux massacreur, Ian Manook, La manufacture de livres, 18,90 euros)

Couverture du livre "Le pouilleux massacreur" d’Ian Manook. (Editions La Manufacture de livres)

9 "Le Premier renne" d'Olivier Truc : tant qu'il y aura des hommes

Écologie, économie, traditions, discriminations… Le dernier livre d'Olivier Truc, Le Premier renne (éditions Métailié), est d'une grande ambition. Le romancier nous donne à voir derrière la carte postale. En plus du dépaysement, il saisit la folie des hommes attirés par le profit immédiat. La narration captivante offre une immersion au sein d'une population qui lutte pour sa survie. Le malheur du peuple sami, éleveurs de rennes, est de posséder des terres rares conservant des métaux convoités par les entreprises des hautes technologies. Et c'est donc en Laponie, en pleine période du marquage des faons qu'un troupeau de rennes est décimé. Nina Nansen et Klemet Nango, enquêteurs de la police des rennes, découvrent petit à petit toutes les ramifications d'une affaire pas comme les autres. Olivier Truc nous fait un immense cadeau avec le personnage d'Anja, la femme qui refuse la fatalité. Un thriller brillant.

(Le Premier renne, Olivier Truc, éditions Métailié, 22 euros)

Couverture du livre "Le Premier renne" d'Olivier Truc. (EDITIONS METAILIE)

10 "Triangle noir", le thriller sombre et angoissant de Niko Tackian

Pour son dixième roman, Triangle noir (Calmann-Lévy), Niko Tackian ne fait pas dans la dentelle. Les méchants sont très méchants, au-delà du bien et du mal. La gendarmerie découvre dans la forêt vosgienne deux corps, vidés de certains organes, après avoir reçu un mail indiquant des coordonnées GPS précises. Peu après, un jeune apprenti est porté disparu. L'auteur de La Lisière nous embarque dans une enquête extraordinaire. Triangle noir est une immersion dans une histoire morbide, à la frontière de l'aliénation. L'auteur installe une tension insoutenable. Il engage une course contre-la-montre, dès les premières pages, pour sauver le jeune apprenti, afin qu'il ne connaisse pas le sort effroyable des premières victimes. Qui sont les kidnappeurs ? Où cachent-ils leurs victimes ? Le pourquoi passe très vite au second plan. Grâce à une écriture fluide et nerveuse, Niko Tackian entraîne ses lecteurs dans une histoire anxiogène, dont les racines plongent en Amérique. Inquiétant.

(Triangle noir de Niko Tackian, Calmann-Lévy, 19,90 euros)

Couverture du livre "Triangle noir" de Niko Tackian. (EDITIONS CALMANN-LEVY)

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