Hervé Le Tellier lauréat du Goncourt 2020 avec "L'anomalie" : le jury récompense un roman exigeant et divertissant
Le plus prestigieux des prix littéraires a été remis à la mi-journée, lundi. Mais pas au restaurant parisien Drouant comme le veut la tradition. Les délibérations et l'annonce se sont faites à distance, Covid-19 oblige.
L'Académie Goncourt a choisi. Le prix Goncourt 2020 a été décerné, lundi 30 novembre, à Hervé Le Tellier pour L'anomalie (Gallimard), un roman d'anticipation aux mille facettes et qui donne à réfléchir sur le monde. Hervé Le Tellier a reçu huit voix sur dix alors que deux voix sont allées à Maël Renouard, en lice avec L'historiographe du royaume.
Les membres de l'Académie Goncourt ont donné rendez-vous aux journalistes à 12h30 sur la plateforme de visioconférence Zoom. Avec la pandémie de Covid-19, l'édition 2020 du prix Goncourt a été complètement chamboulée. Prévue le 10 novembre, l'annonce du lauréat avait été repoussée à ce lundi 30 novembre pour concorder avec la réouverture des librairies, autorisées à accueillir des clients depuis samedi. Impossible, également, d'annoncer le résultat depuis le restaurant Drouant, à Paris, comme il est de coutume depuis plus d'un siècle.
Un livre qui va "enchanter beaucoup de monde"
La victoire d'Hervé Le Tellier a été annoncée par le président du Goncourt Didier Decoin, qui a ensuite invité le lauréat a rejoindre la visioconférence. L'écrivain, apparu à l'écran aux côtés de son éditeur Antoine Gallimard, a ensuite répondu aux questions des académiciens. "Vous vous y attendiez ?" questionne Didier Decoin. "Non pas du tout", répond l'écrivain. "On ne s'attend jamais à un prix comme le Goncourt. On n'écrit pas pour avoir un prix et on ne peut pas s'imaginer l'avoir", ajoute-t-il tout sourire, expliquant avoir "bien dormi cette nuit" malgré l'attente mais "très mal" les nuits précédentes.
Plusieurs membres de l'Académie Goncourt se sont ainsi succédé sur les écrans pour féliciter et interroger le lauréat, comme Pierre Assouline, dans un décor de plage que la plateforme Zoom permet d'ajouter artificiellement. "Il ne manque plus que la chemise hawaïenne", plaisante Eric-Emmanuel Schmitt.
Tahar Ben Jelloun a de son côté chaleureusement remercié le lauréat pour ce livre "qui va faire du bien et enchanter beaucoup de monde dans une époque qui n'est pas réjouissante." "Je trouve que vous avez résisté à deux choses", décortique le juré Eric-Emmanuel Schmitt. "D'abord vous avez résisté à une très très bonne idée car il n'y a rien de pire qu'une bonne idée pour écrire un roman. Vous avez su passer au-delà de l'idée pour arriver à une fin exceptionnelle et à faire en sorte que cette 'anomalie' soit révélatrice de chacun des personnages."
"Vous avez résisté à un deuxième danger qui est l'ironie", continue le dramaturge. "Il y en a constamment dans votre roman, par rapport aux religions et aux philosophies. Mais malgré tout s'affirme un amour des êtres, de la vie et même du questionnement."
Avec une idée pareille, on peut s'assécher dans l'ironie et la distance. Vous, au contraire, vous avez donné de la chair au 'Je' et c'est absolument remarquable.
Eric-Emmanuel Schmitt, membre de l'Académie Goncourt
Plongée dans une quatrième dimension
Dans L'anomalie, Hervé Le Tellier met en scène ses personnages dans une quatrième dimension, en 2021, à bord d'un avion secoué par des turbulences consécutives à un violent orage. Trois mois après cet incident, les passagers découvrent que durant l'orage, le temps (celui qui passe) a été saisi d'un léger hoquet. "A la première lecture nous avons été très enthousiasmés par le pitch", raconte Didier Decoin. "Puis en relisant le livre, on s'est aperçus que le style est également très fouillé."
Dans son récit, Hervé Le Tellier s'amuse avec les univers et les genres littéraires, naviguant du roman psychologique à la science-fiction, en passant par le roman d'espionnage. "Le personnage du tueur à gage, Blake, est par exemple associé au style du roman noir", précise l'écrivain.
Quand Didier Decoin l'interroge sur la fin du texte, l'auteur évoque une "métaphore des potentialités". "L'idée, c'est que puisque Trump est là, puisque Trump est la cause de la destruction du monde, la vision du livre c'est de proposer une autre version du monde, où Biden est président", a expliqué l'auteur. "C'est une option possible de lecture. (...) Les livres offrent des options. Il n'y a pas de dénouement en littérature, il y a des noeuds, et moi je l'ai noué comme ça", analyse-t-il.
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