34 ans qu'on l'attendait : "Les Testaments", la suite haletante de "La Servante écarlate" de Margaret Atwood
Trente-quatre ans après la publication de son best-seller, Margaret Atwood nous ramène dans un Galaad crépusculaire avec une suite aux accents hollywoodiens.
"Nolite te bastardes carborundorum" (en français "Ne laisse pas les bâtards t’écraser"), le mantra de Defred dans La Servante écarlate, prend tout son sens dans Les Testaments, avec trois personnages féminins déterminés à lutter contre l'Etat totalitaire de Galaad (nouvelle traduction française de Gilead).
C'est l'un des romans les plus attendus de l'automne. La suite de La Servante écarlate a été dévoilée en grande pompe à Londres, le 10 septembre, par Margaret Atwood et est sorti en France jeudi 10 octobre. Sélectionné pour le Booker Prize, prestigieuse récompense littéraire britannique, le livre est déjà un succès outre-Manche, avec 100.000 exemplaires vendus les cinq premiers jours, selon le Guardian, soit un exemplaire toutes les quatre secondes ! Pas étonnant, vu l'engouement planétaire autour de La Servante écarlate. Publié en 1985, le roman est adapté en série par Hulu et devient un symbole pour les militantes féministes anti-Trump aux Etats-Unis.
Avec ce nouvel opus, on retrouve le même système totalitaire. Dans ces Etats-Unis frappés par une catastrophe écologique développant l'infertilité, des fanatiques religieux, Les Fils de Jacob, ont pris le pouvoir. Les femmes sont assignées à une fonction selon leurs facultés reproductrices. Les Epouses sont les maîtresses de maison tandis que les Marthas s'occupent des tâches ménagères. Les Servantes, des femmes coupables d'adultère, sont chargées de la procréation et les Tantes sont des gardiennes et des guides spirituels. Voilà pour les bases, déjà posées dans La Servante écarlate.
Pour ceux qui frémissent à l'idée de se replonger dans le monde terrifiant de Galaad, sachez que Les Testaments est différent à plusieurs égards du conte de la Servante. Si le premier tome offre le récit introspectif d'une victime ordinaire du régime de Galaad, sa suite relate une histoire sans Servantes, mais pleine d'action et d'espoir, au coeur de la résistance.
Un récit à trois voix
Les Testaments est composé des témoignages de trois personnages féminins. La première est l'impitoyable Tante Lydia déjà présente dans le premier tome. A Galaad, les Tantes sont des figures d'autorité, elles éduquent les petites filles (essentiellement de la broderie et de la décoration florale, les femmes de Galaad n'ayant pas le droit de lire) et les marient à l'aube de leur adolescence, supervisent les punitions (les mortelles "Particiutions", devenues "Dilacérations" dans la nouvelle traduction). Secrètement, la Tante raconte son histoire sur les pages d'un livre d'Ardua Hall, le lieu de vie des Tantes, s'adressant directement à son lecteur potentiel. Les deux autres récits sont les transcriptions des déclarations des témoins "369A" et "369B". Le texte sous nos yeux n'est donc pas un roman, nous dit Margaret Atwood, mais un rassemblement de documents historiques, édité à l'occasion du treizième colloque sur les études galaadiennes, au XXIIe siècle, retranscrit à la fin de l'ouvrage.
Nos deux "témoins" sont des adolescentes. La première, Agnes Jemima, a grandi à Galaad. Elle raconte son enfance au sein d'une famille de Commandant et son éducation auprès des Tantes. On découvre une autre facette du régime, la façon dont il gère ses si précieux enfants avec un point de vue inédit : celui d'une génération qui n'a rien connu d'autre que Galaad. Les discours idéalistes qu'on assène à Agnes se heurtent à la réalité violente d'un pays corrompu, au bord de la faillite. "Comme toi, je pense que Galaad doit disparaître – il abrite trop de mal, trop d'hypocrisie et trop de choses qui vont à l'encontre des desseins de Dieu -, mais accorde-moi aussi la possibilité de pleurer de tout ce qui a pu être bien."
Au Canada, Daisy a eu une enfance bien différente. Elle connaît Galaad à travers ses réfugiés, des documentaires accablants, des manifestations, et la figure de Bébé Nicole (oui c'est bien le personnage développé par les créateurs de la série The Handmaid's Tale !), une enfant de Galaad qui a été envoyée au Canada et érigée en martyr au sein de l'Etat totalitaire. Cette diversité de points de vue permet de résoudre quelques inconnues sur le fonctionnement de Galaad, ce qui a l'avantage de satisfaire notre curiosité mais enlève de la force au système. Car le mystère, c'est un peu ce qui rendait Galaad si terrible.
Un page-turner
On suit tour à tour les récits de ces trois personnages. Celui de Tante Lydia est sans doute le plus marquant car il raconte la naissance du régime. Cette femme lettrée, ancienne juge aux affaires familiales, donc destinée à être exécutée, raconte pourquoi elle a décidé de collaborer. "Je comptais parmi les fidèles pour les mêmes raisons que bien des gens à Galaad : parce que c'était moins dangereux", se confie la Tante. De son côté, Agnes, à peine sortie de l'enfance, est contrainte de se marier à un Commandant âgé, une situation qu'elle refuse. Au Canada, les parents de Daisy sont assassinés et la jeune fille se retrouve enrôlée dans Mayday, un réseau de résistance contre Galaad. Bientôt, les destins de ces trois protagonistes vont se croiser.
Le récit prend des accents de thriller alors que les trois héroïnes vont entrer, chacune à leur façon, en résistance. Quand la Servante faisait le terrible récit de sa captivité, les protagonistes des Testaments sont dans l'action, sans doute facilitée par les vacillements du régime. Margaret Atwood développe dans ce tome plus grand public des héroïnes dans la lignée des figures présentes dans la série télévisée. Avec un scénario prônant l'espoir et le combat, l'auteure emmène le lecteur là où il veut aller. Les Testaments est un page-turner - un livre qu'on ne peut pas lâcher - captivant et efficace, mais une histoire peut-être moins puissante que La Servante écarlate.
Les Testaments, Margaret Atwood, traduit de l'anglais (Canada) par Michèle Albaret-Maatsch (Robert Laffont – 552 pages – 22,90 €)
Extrait :
"Quel âge avais-je à l'époque ? Six ou sept ans peut-être. J'ai du mal à le savoir, vu que je n'ai pas de souvenirs clairs des années qui ont précédé. J'aimais énormément Tabitha. Elle était belle malgré son extrême minceur et passait des heures à jouer avec moi. On avait une maison de poupée qui ressemblait à notre maison, avec un salon, une salle à manger et une grande cuisine pour les Marthas, ainsi qu'un bureau de papa avec une table de travail et des étagères. Les pages de tous les petits livres factices étaient vierges. J'ai demandé pourquoi il n'y avait rien dessus - j'avais la vague impression qu'il aurait dû y avoir des signes - et ma mère m'a répondu que les livres étaient là pour décorer, comme les vases de fleurs."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.