"À balles réelles" : Sergio Ramirez vise au cœur le régime de Managua dans un thriller à charge
S'accrocher au pouvoir, à tout prix. Les héros d’hier sont fatigués, mais toujours voraces, souples idéologiquement et insatiables. Le pouvoir corrompt, au Nicaragua comme ailleurs. À balles réelles (éditions Métailié) est un livre à charge, un puissant réquisitoire contre les maîtres d’hier et d’aujourd’hui. Sergio Ramirez sait de quoi il parle. Après des études en Allemagne, il abandonne sa carrière pour s’engager aux côtés de la révolution sandiniste et devient membre de l’Assemblée nationale, puis vice-président du premier gouvernement élu en 1984.
Il est revenu de ses anciens engagements. Ses idéaux ont été confrontés au réel. L’écrivain a été condamné à l’exil et déchu de sa nationalité. Ses frères d’hier sont devenus de féroces adversaires. Voire des ennemis. L’auteur du Châtiment divin et du Bal des masques décrit la déconnexion entre un régime prêt à tout pour demeurer aux manettes et une population déterminée à tourner la page.
Arbres de vie
Le ridicule tue, l’absurde aussi. Ainsi quand la capitale Managua et d’autres grandes villes se parent d’arbres de vie gigantesques en métal pour attirer l’énergie cosmique à la demande expresse du Président, la population se résigne puis se rebelle. La révolte est venue des lycéens et étudiants qui, excédés par une provocation de trop, expriment bruyamment leur colère et envahissent la rue. Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé ne serait absolument pas fortuite et ne pourrait pas être le fruit d'une pure coïncidence. Le régime de Daniel Ortega a bien tué 300 étudiants en 2018 dans une répression sanglante. Des étudiants ont été assiégés dans une église par des milices armées par les autorités.
Le livre, donc. Sergio Ramirez installe ses personnages dans ce contexte brûlant. À balles réelles est un thriller politique, à charge. Sergio Ramirez a de nombreux comptes à régler. Son personnage principal, l’inspecteur Dolores Morales, s’entoure d’une équipe improbable pour une mission des plus insolites. Au-delà de l’intrigue, l’auteur nous fait découvrir de l’intérieur l’appareil répressif. Une première. On voit naître les infox et la fabrique d’une narration sous les ordres, un récit à la solde du régime. On voit aussi les rouages des ambitions dévorantes qui se saisissent des hommes du pouvoir. Sergio Ramirez s’en prend à un régime à bout de souffle, qui perdure par la ruse et la force.
"À balles réelles" de Sergio Ramirez, traduit de l’espagnol par Anne Proenza, éditions Métailié, 23 euros
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