Le phénomène des cosy mysteries, ces polars légers et réconfortants qui cartonnent en librairie
Des meurtres… et de l'humour. Voilà les deux ingrédients principaux du "cosy mystery". Ajoutez à cela une enquêtrice amatrice et vous êtes sûr de tomber sur une histoire palpitante, avec des personnages attachants. Le tout se déroulant dans un petit village d'Angleterre (c'est là qu'il a été créé) ou d'ailleurs. Ce type de roman n'a pour autre but que de divertir alors exit les meurtres avec grande violence ou les effusions de sang.
Et pour repérer un cosy mystery, rien de plus facile. Il n’y a qu’à se rendre dans les librairies où des étagères et des tables entières leur sont consacrées. Leurs couvertures sont reconnaissables entre toutes, élaborées pour la plupart à partir d'illustrations colorées. Difficile de les manquer.
Agatha Christie et M.C. Beaton à l'origine
On croise parfois aussi le terme de "cosy crime", qui signifie littéralement "le crime au coin du feu", pour désigner les cosy mysteries. Si le sous-genre est en pleine vogue, il n'est pourtant pas nouveau. Au départ, il y a la célèbre Agatha Christie (1890-1976). "Je pense que le cosy mystery, dans ce que je lis moi aujourd’hui, est proche de la Agatha Christie qui va créer une miss Jane Marple, c’est-à-dire une vieille fille très observatrice qui a de remarquables pouvoirs de déduction et qui vit dans la campagne anglaise, dans un vieux manoir", estime Natalie Beunat, responsable éditoriale des collections de romans policiers chez Points (Points policier, thriller et cosy mystery) et co-autrice du Polar pour les nuls (First) avec Marie-Caroline Aubert.
Si la reine du roman policier est Agatha Christie, la reine du cosy mystery est sans aucun doute M.C. Beaton (1936-2019). Avec son héroïne Agatha Raisin, l'autrice écossaise a popularisé le genre, notamment en France, au point de générer un "revival" (renouveau) du sous-genre ces trente dernières années. De son vrai nom Marion Chesney Gibbons, l'écrivaine a d'abord été libraire, critique de théâtre puis journaliste avant de commencer à écrire des romans sur la régence puis des romans policiers. Sa série Agatha Raisin enquête (l'homonymie avec Agatha Christie n'est sans doute pas un hasard) va faire un carton et comprend à ce jour pas moins de 33 volumes.
Agatha Raisin, une quinquagénaire au fort caractère, quitte son poste dans la communication à Londres pour s’installer dans les Cotswolds. L'attachée de presse y découvre une nouvelle vocation : celle de détective ! Alors que la série a commencé à être publiée en 1992 en Angleterre, elle est arrivée seulement en 2016 en France. C'est grâce à l'intuition d'Anne Michel, la directrice du département étranger, qui a découvert la série. Elle dévore alors les quatre premiers tomes en un week-end. Agatha lui paraissait "tellement drôle et ce monde était tellement agréable que je ne voulais plus en sortir. Donc je me suis dit, mais sans espoir démesuré, que si ça me mettait dans un tel état je pouvais bien trouver 30 000 lecteurs qui vont aimer aussi'". "Cela a été un succès phénoménal", rapporte l'éditrice. Le tome 1 La Quiche fatale s'est vendu à 215 933 exemplaires (institut GfK) et s'est placée dans le top 20 des ventes, le tome 2 Remède de cheval à 127 808 exemplaires et même si les ventes s'érodent au niveau des tomes 20-25, comme pour toutes séries, cela reste de très bonnes ventes avec 40 000 exemplaires vendus. A ce jour, la saga s'est vendue à plus de 2 millions d'exemplaires en France.
Le succès perdure, en plus de celui d'une autre série de cosy mystery de M. C. Beaton : Hamish Macbeth, un policier de la campagne écossaise paresseux qui pratique le braconnage. Le premier opus a été publié en 1985 et en France seulement en 2019 par Albin Michel. Au total, les 18 tomes de la série traduits pour le moment (sur 35) ont généré 550 000 ventes. Les éditeurs français ont bien compris qu'il fallait se lancer dans le cosy mystery.
- Quand je vous vois vous morfondre, je n’aime pas ça du tout, dit la femme du pasteur d’un ton soucieux. J’ai l’impression que, chaque fois que vous vous ennuyez, un meurtre se produit quelque part.
- Les meurtres se produisent partout et tous les jours.
– Je veux dire dans les alentours.
– M.C. Beaton
Agatha Raisin enquête, tome 13 : Chantage au presbytère
Une source de réconfort digne d'une partie de Cluedo
Comment expliquer l'apparition (si tardive) du phénomène en France ? Anne Michel a misé sur la saga Agatha Raisin pour deux raisons : "Je me suis dit que un, les gens en avaient peut-être assez du [roman] noir, de la violence du [roman] noir et que des livres comme ça sont aussi des livres rassurants. Il y avait aussi le succès de [la série de Julian Fellowes] "Downton Abbey" en France qui avait ouvert la voie à un regain d’intérêt pour la culture anglaise. Donc grâce à tout ça, je me suis dit que c’était peut-être le moment favorable pour lancer ce type de livre." Et ça l'était, sans doute en plus de s'inscrire dans une période particulière. "Je pense que le revival a été reconduit au moment du Covid parce que les gens se sont remis à lire et il y avait ce besoin de réconfort. C'est typiquement une littérature de réconfort, de remède contre la déprime", estime Natalie Beunat. Ce genre n'a donc aucune prétention, si ce n'est de divertir le lecteur. Deux caractéristiques émanent également du genre : "l'humour - très britannique - et une forme de légèreté, de fantaisie", selon l'éditrice. "Pour faire un parallèle audacieux, c'est une sorte de forme littéraire qui pourrait être ce qu'on trouve comme plaisir à jouer au Cluedo par exemple". En plus d'être distrayante, la lecture s'avère aussi ludique. Au lectorat alors de jouer au détective et de faire ses propres hypothèses sur qui est le tueur.
C'est ce qui plaît notamment à Louise (@Louise Grenadine sur Instagram), une lectrice de 34 ans passionnée de l'Angleterre. Le cosy mystery est son genre de prédilection, qu'elle a découvert grâce à sa communauté sur les réseaux sociaux il y a environ quatre ans. Celle-ci lui a conseillé la saga Agatha Raisin, qui lui a beaucoup plu. "Forcément, j’aime le côté enquête. Je lisais beaucoup de polars et de thrillers que je ne lis quasiment plus à vrai dire maintenant, avant de lire des cosy mystery,. Ce qui me plaît maintenant dans le cosy mystery c’est qu’il y a en plus une véritable évolution des personnages."
Louise n'est nullement effrayée par le format en séries, qui pourrait pourtant lasser certains lecteurs. "J'ai vraiment plaisir à retrouver les mêmes personnages, suivre leur évolution, un peu comme une série qu’on regarderait à la télévision." Avec des personnages hauts en couleur. "Il y a une ambiance cosy et il y a toujours un peu d’humour quand même. Les personnages sont toujours un peu loufoques, un peu étonnants et puis souvent les écrivains de cosy mystery ont une plume un peu drôle."
De multiples univers
Espace de jeu pour les lecteurs donc, mais aussi pour les auteurs. Les cosy mystery embrassent tous les univers. Les histoires se déroulent à toutes les époques, que ce soit dans une période contemporaine ou au XVIIIe siècle comme dans Au service secret de Marie-Antoinette de Frédéric Lenormand (Points). Tous les continents sont concernés, comme dans Les enquêtes de Perveen Mistry (Charleston), une avocate qui enquête en Inde. Il y a tous types de profession : bibliothécaire, fleuriste, traiteur... Une possibilité de créativité infinie qui attire vraisemblablement de plus en plus d'auteurs français. L'écrivain de polars Mo Malø débarque avec sa série La Breizh brigade (Les escales) qui se passe à Saint-Malo ou encore l'autrice sarthoise Marilou Rouge avec son roman Cadavres à l'écossaise (City Edition).
Le phénomène a pris une telle ampleur qu'Albin Michel a lancé en juillet 2022 un site, un compte Instagram (@AgathaRaisinandco) et une newsletter dédiés à l'univers de M.C. Beaton et à ses personnages, dont la gestion a été confiée à Louise Grenadine. "Il y a une vraie communauté de fans", note-t-elle. L'histoire du cosy mystery est donc loin d'être terminée. Si M.C. Beaton est décédée en 2019, elle a passé le flambeau pour écrire la suite d'Agatha Raisin à l’auteur R. W. Green, avec qui elle avait co-écrit le tome 31, Au galop !, sans compter tous les titres lancés par les maisons d'édition. Si un crime peut en cacher un autre, un cosy mystery peut en cacher des tas d'autres.
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