Redécouvrir la maîtrise littéraire étourdissante de Paul Auster en sept romans clés
En quarante ans de carrière, l'écrivain américain Paul Auster, mort mardi 30 avril à l'âge de 77 ans, a publié une vingtaine de romans, des nouvelles, des essais, mais aussi des mémoires et de la poésie. Cet auteur révéré en France, qu'il considérait comme "son deuxième pays", a également traduit Apollinaire, Sartre et Mallarmé, et a signé des scénarios de films (Smoke, Brooklyn Boogie et Lulu on the Bridge, qu'il a réalisé). Tous les livres de Paul Auster ont été publiés en France aux éditions Actes Sud.
"L'invention de la solitude" (1982)
Bien que beaucoup de lecteurs français ne l'aient découvert que quelques années plus tard avec sa Trilogie new-yorkaise, c'est avec ce premier livre que Paul Auster, alors âgé de trente ans, est entré en littérature aux Etats-Unis, dès 1982. Dans ce roman en deux parties finement articulées (L'Homme invisible (le père) et Le Livre de la mémoire), l'écrivain interroge la mémoire familiale, et tente notamment de cerner la personnalité d'un père distant jusqu'à l'absence, tout en explorant ses propres sentiments en tant que père. "Qui cherche la vérité doit être prêt à l'inattendu, car elle est difficile à trouver et, quand on la rencontre, déconcertante", dit la phrase d'exergue, signée Héraclite. Ce livre porte en germe les motifs de toute son œuvre : le deuil, l'absurdité et le hasard.
"La Trilogie new-yorkaise" (1986)
C'est avec ce roman découpé en trois livres, La Cité de verre, Revenants et La Chambre dérobée, que Paul Auster va triompher en tant que chef de file de la nouvelle génération littéraire américaine. Un succès international, en particulier en France, où il est depuis lors très apprécié des lecteurs. Dans cette trilogie fascinante constituée de romans noirs à tiroirs, les personnages enquêtent sur les autres et sur eux-mêmes : l'écrivain Quinn, pris par erreur pour un détective privé, accepte de mener l'enquête sur un universitaire religieux extrémiste dans Cité de verre, tandis que Revenants narre une filature qui s'étire sur des années dans les rues new-yorkaises et La chambre dérobée évoque la disparition inexpliquée d'un personnage nommé Fanshawe. New York, la ville-monde insaisissable, est le théâtre d'une quête métaphysique, où le hasard le dispute à l'absurde, mais où rien n'est laissé au hasard. Trois livres qui confirment l'écriture et l'inventivité éblouissantes de Paul Auster.
"Moon Palace" (1989)
Ecrit à la première personne du singulier, ce roman raconte les tribulations de Marco Stanley Fogg, étudiant désargenté arrivé à New York en 1965, qui se retrouve bientôt contraint, faute de toit, à survivre telle une ombre à Central Park. S'ensuivent de longues semaines d'errance dans la jungle new-yorkaise, immense et indifférente, où le narrateur finit par envisager sa propre fin. Jusqu'à ce qu'un ami, puis une jeune femme, dont il tombera éperdument amoureux, lui tendent la main. Un roman initiatique aux personnages ciselés qui s'impose "comme une représentation de la quête d'identité et de l'incomplétude universelles", écrit alors son éditeur Hubert Nyssen en quatrième de couverture.
"Leviathan" (1992)
Ce roman écrit comme une biographie met en scène le personnage de Ben Sachs, écrivain qui assure être né au moment où la bombe atomique pulvérisait Hiroshima, le 6 août 1945. Il se détourne de l'écriture pour se lancer dans le terrorisme et finit déchiqueté par l'explosion d'une bombe artisanale de sa fabrication. L'histoire est contée par un ami de M. Sachs, Peter Aaron (les mêmes initiales que l'auteur Paul Auster), lui aussi écrivain, qui décide de reconstituer le récit pour contrer l'enquête de la police. Ce roman, qui témoigne d'une Amérique déboussolée, en perte de repères, reçoit un accueil triomphal, notamment en France, où il reçoit le Prix Médicis étranger en 1993.
"Le livre des illusions" (2002)
Considéré par certains critiques comme l'un des plus aboutis de Paul Auster, ce roman est une réflexion sur le deuil, l'errance, la création artistique et les coïncidences de la vie. Le personnage principal, David Zimmer, professeur de littérature dans le Vermont, est dévasté par la mort de sa femme et de ses enfants dans un accident d'avion. Pour échapper au désespoir, il se lance dans l'écriture d'un livre sur une star du cinéma muet, Hector Mann, porté disparu depuis 1929. Un soir, une femme qui prétend être l'épouse d'Hector Mann, lui annonce que l'acteur le réclame sur son lit de mort, ce qui l'entraîne dans un périple inattendu.
"4,3,2,1" (2017)
Ce roman long de mille pages (son plus long), auquel Paul Auster a consacré trois longues années de réclusion, explore une nouvelle fois l'idée de hasard et des possibilités du destin. "Le vrai problème, c'est que l'on ne peut se trouver qu'à un endroit à la fois", expliquait Paul Auster au journal Le Monde lors de sa parution. "Sauf par la magie de la fiction, il est impossible d'emprunter quatre chemins simultanément. Il faut en choisir un et un seul. Celui qui deviendra l'histoire de votre vie." 4,3,2,1 raconte précisément quatre versions différentes de la vie du même personnage, Archie Ferguson, né en 1947 et fils unique dans un foyer juif et aimant de la classe moyenne, à New York. Quatre variations biographiques, quatre possibilités enchevêtrées pour un même personnage avec l'Amérique du XXe siècle, et particulièrement les années 60 bouillonnantes, en toile de fond. Une construction vertigineuse qui ouvre sur une question présente à chaque page : que serait-il arrivé si les événements avaient été différents ? Qui est Ferguson et qu'aurait pu-t-il être ? Quand on referme le livre, il n'en reste qu'un, le vrai.
"Baumgartner" (2024)
Dernier roman de Paul Auster, paru en France en mars 2024, Baumgartner a été rédigé alors qu'il était malade d'un cancer du poumon. Dans ce "petit livre tendre et miraculeux", comme le présentait Siri Hustvedt, écrivaine et épouse de Paul Auster, l'écrivain travaille une nouvelle fois la reconstruction et la destruction de la mémoire qui font partie de ses thèmes de prédilection. Le récit s'aventure dans les méandres de la mémoire d'un vieux professeur de philosophie, Sy Baumgartner, 70 ans, qui a perdu sa femme, Anna, morte noyée, une dizaine d'années auparavant. Avec un personnage qui ressemble à s'y méprendre à son auteur (tous deux nés à Newark dans le New Jersey, avec une femme poétesse), Paul Auster remonte le temps, fait le bilan d'une vie et signe ses adieux.
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