Cet article date de plus de trois ans.

"Sémi" : la maladie d'Alzheimer sous un jour inédit, par la romancière japonaise Aki Shimazaki

"Sémi", deuxième opus du nouveau cycle romanesque de la romancière québécoise d'origine japonaise Aki Shimazaki évoque avec un regard décalé la maladie d'Alzheimer, comme un agent révélateur de la vérité, et de l'amour.

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 3 min
La romancière québécoise d'origine japonaise Aki Shimazaki, 2021 (Marie Royer)

Sémi, publié chez Actes Sud le 5 mai 2021, est le deuxième volet du nouveau cycle romanesque entamé en 2020 avec Suzuran, par l'écrivaine québécoise d'origine japonaise Aki Shimazaki. Ce nouvel opus aborde avec une grande délicatesse et sous un jour inédit la maladie d'Alzheimer, ici présentée comme une nouvelle chance pour un couple en fin de vie.  

L'histoire : le premier volet de ce nouveau cycle était consacré à Anzou, une jeune femme qui épouse le mari de sa sœur Kyôko, décédée après avoir accouché d'une petite fille. On fait la connaissance dans Sémi de Tatsuo et Fujiko, les vieux parents d'Anzu, Ils vivent dans une résidence pour personnes âgées depuis qu'Anzu et sa famille ont racheté leur maison pour s'y installer. Leur fille, et aussi leur fils cadet, Nobuki, leur rendent visite régulièrement. "C'est bien ainsi, après tout. Nous ne sommes une charge pour personne", remarque Tatsuo.

Fujiko montre depuis quelques temps les signes de la maladie d'Alzheimer. Elle ne reconnaît plus ses proches et finit par demander à ce qu'un paravent sépare son lit de celui de son mari, qu'elle prend pour son fiancé. Même si Tatsuo est agacé par les égarements de sa femme, il accepte de suivre les conseils des infirmières, qui lui recommandent de ne pas contrarier sa "fiancée"… Ce gigantesque saut dans le temps va provoquer des révélations inattendues et donner une nouvelle chance, étonnamment, à leur couple.

Catharsis

Ce nouvel opus aborde la maladie d'Alzheimer d'une manière originale. En général si difficile à vivre pour l'entourage, elle apparaît au contraire ici comme une opportunité de réparer le passé. En projetant Fujiko dans sa jeunesse, dans un temps où Fujiko et Tatsuo se connaissaient encore à peine, la maladie d'Alzheimer offre l'opportunité au couple de rebattre les cartes de leur vie conjugale, de lever les secrets et les malentendus, et de laisser enfin place à l'amour.

Mariés à la suite d'un "Miaï", une rencontre arrangée en vue d'un mariage, Tatsuo et Fujiko ont bâti leur vie et cohabité plusieurs décennies sans se connaître vraiment, enfermés dans une relation basée sur les conventions sociales, à l'ombre des mlaentendus, des mensonges et même d'un énorme secret de famille. La maladie d'Alzheimer fait sauter les verrous, ouvre les vannes, et c'est paradoxalement en jouant sciemment la comédie que Tatsuo apprend enfin à regarder sa femme, à lui porter attention, à la connaître et à l'aimer.

Aki Shimazaki raconte cette histoire avec la plus grande délicatesse, piochant comme à son habitude dans la nature l'emblème de ce nouvel opus : abura-zémi, la cigale dont les larves restent sous terre très longtemps, parfois jusqu'à quinze ans avant de se déployer dans l'air, pour un mois seulement, évoquant ainsi la brièveté de la vie.

Avec Sémi, Aki Shimazaki évoque d'une écriture limpide mariant réalisme sensuel et poésie le temps qui passe, les aléas de la vie conjugale, la fin de vie et les mystères de l'amour, capable de surgir là où on l'attend le moins. La romancière japonaise, québécoise d'adoption et écrivant en français, poursuit ainsi son œuvre, qui, par petites touches, compose une peinture de la société japonaise, mais propose aussi une exploration, universelle, de l'âme humaine.  

Couverture de "Sémi", d'Aki Shimazaki, mai 2021 (ACTES SUD)

"Sémi", d'Aki Shimazaki (Actes Sud, 160 pages, 10,90 €)  

Extrait :

Une cigale se met à striduler au-dessus de nous. Fujiko imite le chant :
- Jiii, jiii, jiii...
Distrait je lui demande : C’est quelle espèce ?
- Abura-zémi !
- Combien d’années vit-elle sous terre ?
- Six ans.
Ce qui m’impressionne, ce n’est pas la longue vie de cet insecte, mais la sélectivité de sa mémoire. Fujiko ne peut pas se rappeler ce qu’elle a mangé ce matin, mais elle se souvient parfaitement de choses qu’elle a apprises dans son enfance.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.