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"Un silence brutal" : polar naturaliste et poétique du grand romancier américain Ron Rash

"Un silence brutal", de l'Américain Ron Rash inaugure la collection "La Noire", relancée ce printemps par les éditions Gallimard. Un bel augure.

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
L'écrivain américain Ron Rash, mars 2019 (Francesca Montavani / Gallimard)

Ron Rash, l'auteur d'Une terre d'ombre, du Chant de la Tamassee ou de Par le vent pleuré (Seuil, 2014 et 2016, 2017), revient avec Un silence brutal (Gallimard, La Noire), un polar magnifique, dans lequel il chante une fois encore la beauté de la nature, et la brutalité des hommes.

"Où donc une histoire, quelle qu'elle soit, débute-t-elle vraiment ?", s'interroge Les, le shérif d'un comté de Caroline du Nord, dans la région des Appalaches, à trois semaines de la retraite. Ce matin-là en arrivant au bureau, il aspire à la tranquillité, même s'il a dans son planning une dernière opération "antimeth" avant son départ. Le chômage, la drogue, la région n'est cependant pas aussi tranquille qu'elle pourrait en avoir l'air. Son remplaçant, Jarvis Crowe, est déjà arrivé, et le Shérif, trente ans de services, a commencé à lui transmettre le flambeau. Son bureau à vider, quelques petites choses à régler et Les pourra définitivement et sans regret quitter son uniforme de shérif. C'est comme ça qu'il voit les choses.

Les événements vont en décider autrement. Les se trouve plongé dans une enquête délicate à résoudre. Il lui faut découvrir qui a tué des dizaines de belles truites mouchetées en versant du kérosène dans le torrent de Tucker, propriétaire d'un relais de pêche pour touristes. Il aimerait sauver la peau de Gerald, que tout accuse. Ce vieux bonhomme acariâtre, amateur de nature, s'obstine à se balader sur les terres de Tucker, malgré les interdictions répétées. Becky, poétesse et responsable du parc naturel de la région, est intimement convaincue  que son ami le vieux Gerald n'a pas pu faire une chose pareille…  

La beauté du monde, la folie des hommes

Un silence brutal est un récit à deux voix. Celle de Les, le shérif décalé occupant ses heures de loisir à peindre des aquarelles. Et celle, sublime, de Becky, qui chante la nature avec des poèmes qu'elle glane au fil de ses promenades. Ils ont en commun un passé douloureux, qui leur a imposé à tous les deux, un "silence brutal". Ils essaient chacun à leur manière de trouver réconfort dans la beauté du monde, et entretiennent une relation étrange, pleine de retenue et de respect l'un pour l'autre.

Le romancier américain creuse son sillon du côté des Appalaches, son fief. Ce dernier roman est une fois encore un hymne à la nature sauvage. Les arbres, les fleurs, les insectes, le ciel… Comme Giono, qu'il cite en exergue de son roman, Ron Rash pose des mots sur chaque détail, chaque frémissement de la nature, qu'il déploie comme une multitude de personnages et de décors somptueux, macro, micro, enveloppant les protagonistes de l'intrigue. Une nature qui fait écho, à la manière de Rousseau, aux tourments et aux joies qui agitent des vies soumises à la brutalité des hommes, à leur soif insatiable de progrès, de richesse, de pouvoir, et aux défaites qui les accompagnent : chômage, drogue, violence… Déployée dans une écriture éblouissante, Un silence brutal offre une peinture aiguisée de la société américaine, et plus largement de notre monde, si beau, et si maltraité.  

Un roman qui accompagne joliment la renaissance de la collection La Noire de Gallimard, à suivre. 

Couverture de "Un silence brutal", Ron Rash (Gallimard - Collection La Noire)

Un silence brutal, de Ron Rash, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharez, (Gallimard, La noire - 272 pages - 19 €)

Extrait : "Je referme mon carnet et d'une main prends appui sur le tulipier pour me mettre debout. Sous mes doigts le lichen pareil à une veille peinture qui s'écaille, l'écorce, toute d'ivoire gravé et de peau morte. La semaine dernière, j'ai emmené des écoliers dans la prairie. Combien de choses différentes voyez-vous ? D'abord seulement trois – arbre, herbe, fleur – puis ils voyaient pour de bon, au fur et à mesure de leurs allées et venues dans le pré. Plus d'une centaine avant de partir. Lorsque que je quitte le couvert des arbres, un craquement creux sous ma semelle. Mue de cigale. Quel cadeau que se dépouiller de son vieux moi avec tant de facilité." 

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